Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 2 – Les poèmes d’Alain Minod : 2-13 :Gravir sans rien ravir

Alain Minod

En passant ma fête sur le sommet des rois

J’en perdrai la tête et toutes mes lois

Et si – déniant toutes pensées

A la jeunesse –

J’y introduisais la mienne pour droit d’aînesse

Tous ces vains châteaux plomberaient ma poésie

Pour la faire ramper dans un monde

Sans merci

 

O tendre et sauvage jeunesse ! Emprisonnée ?

Il n’y a pas de léger poids de vos années

Qui ne puisse soulever de grandes

Montagnes

Et fructifier le savoir en rase campagne

 

Mais le temps seulement d’ouvrir toutes les vannes

Vous ferez sauter les eaux sur des sommets d’âme

En cassant toutes les digues

Qui vous encombrent –

Nettoyant les plaines moroses

Où tout est sombre

 

Temps épanouis où renaîtra la vertu

Et cette beauté qui nous est encore due

Plus d’échelle sur vos épaules d’où gravir

Toutes les étapes d’une vie et ravir

Vos jardins de bohème

Plains de fleurs

Qu’on aime

Pour vous – aimable jeunesse –

Tous ces jours se sèment

 

Et chacun de vos matins empourpre le monde

Vous passez outre les infernales rondes

Où les doctes vampires vous lancent

Des fêtes

Pour vider sang et pensées

De vos têtes

 

Avec les rois c’est l’ignorance qui les tient

En imitant tous les partages et tous les liens

Comme des singes à qui l’on donne

La pâture

Pour qu’ils se pâment devant l’humaine nature

De ces puissants qui sont sans-cesse sanctifiés

Par les Thénardiers  qui acceptent

De s’y fier

 

Jeunesse vous ouvrez la boîte de Pandore

Vous captez ces sommets où sonne le bel or

Votre aurore vient quand Misère

Ne l’attend

C’est une levée qui sommera tous les temps

Jusqu’à ce grand hasard qui fait l’éternité

De vos rencontres d’où votre art

Est Liberté

 

Etranger pauvre qui boit votre lait d’accueil

Il sait votre hauteur dans vos pas et sur vos seuils

Ici-même où mûrissent vos fruits du savoir

Avec tant et tant de hautes causes

A valoir

 

L’auteur de ce poème n’écrit pas seulement  de la poésie mais il appartient à cette catégorie de poètes  qui possèdent une conception bien déterminée de leur propre écriture. Néanmoins, cette catégorie  doit être convaincue  que nul dans le monde n’est capable d’exprimer exactement ce qu’il veut dire, car la langue , par le biais de  ses structures diverses très complexes , soumet le locuteur ou l’auteur au moment où il l’utilise  à de hautes pressions qui le contraignent à laisser échapper de petits sens qui pourraient changer totalement le sens général visé .Ce qui fait de l’auteur d’un texte un simple lecteur de ce texte et de sa lecture après l’avoir écrit une  interprétation comme toute autre .Ceci dit , et en nous tenant à ce que dit le texte et non à ce que le poète a voulu dire en l’écrivant , nous pouvons le placer aisément  dans le courant avant-gardiste français de la fin des années soixante sous la férule de Philippe Sollers au sein du groupe “Tel quel” . C’était  justement ce groupe qui avait  créé le terme d'”écriture”, voulant dire l’ouverture du texte littéraire sur tous les genres et les moyens d’expression artistique et  que notre auteur met ici en exergue,  en le plaçant dans un surtitre constant ( écriture et poésie  ). L’influence de ce même groupe apparait aussi dans l’épuration à fond de l’expression verbale des significations dénotatives au profit des sens seconds et à laquelle s’est adonné l’auteur de ce poème où  les termes de la dualité charnière sur laquelle il l’a construit : rois/ jeunesse  se présentent  comme deux  centres interférés  de connotations agglomérées .Le premier, considéré par lui   comme la source de tous les maux, a été assimilé à une boite de Pandore  à laquelle  se rattache une multitude de petits sens négatifs éparpillés ici et là dans le texte (vains châteaux plomberaient ma poésie pour la faire ramper dans un monde sans merci – les vannes – les digues qui vous encombrent – les plaines moroses où tout est sombre…etc…).Quant au second,  la jeunesse,  il nous fait penser au mouvement de mai 1968 en France duquel se réclamait l’Avant-garde citée précédemment et qui était un véritable soulèvement culturel, social et politique  mené par la jeunesse estudiantine contre  le conformisme et le pouvoir capitaliste et impérialiste et qui avait gagné le monde entier .Acquis franchement  aux idéaux prônés par cette jeunesse révolutionnaire (  tant et tant de hautes causes à valoir)  et plaçant en elle tous ses espoirs , le poète  prédit pour l’humanité un avenir radieux et plein de promesses (fructifier le savoir en rase campagne – sauter les eaux sur des sommets d’âme- nettoyant les plaines moroses- temps épanouis où renaîtra la vertu et cette beauté qui nous est encore due…etc…). Mais la mondialisation, après avoir fait main basse,  au niveau planétaire,  sur tout ce qui est économique , social, médiatique et militaire le permettra-t-elle  ? Espérons avec le poète que la jeunesse de demain réussira là où la génération actuelle a lamentablement échoué !

 

 

 

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*