Mémoires d’un critique : Le livre Textes et voleurs du critique tunisien Lazhar Nafti

Lazhar Nafti

Une fois en 2001, j’avais rencontré le critique tunisien Lazhar Nafti au festival annuel de la poésie de Bousalem(nord-ouest e la Tunisie) et il m’avait parlé d’un ouvrage volumineux intitulé Textes et voleurs  dans lequel il avait regroupé tous les plagiats commis par les poètes, les écrivains et les chercheurs tunisiens depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à la date de notre rencontre et il s’était plaint  à moi  du refus des éditeurs de le publier.

Le livre avait à cette époque près de quatre-cent pages-Et vous pouvez imaginer quel serait son volume aujourd’hui si son auteur avait continué à l’écrire!- .Chaque plagiat y est reproduit en facsimilé à côté du texte original d’une manière claire et nette de manière à ne laisser aux plagiaires la moindre possibilité de nier leur  forfait. La plupart des  auteurs de ces plagiats sont des personnes connues dans le milieu culturel et universitaire et le reste sont soit des débutants, soit des inconnus , avec la nécessité de préciser ici que le nombre des universitaires retenus dans ce livre ne dépassait guère les cinq ou six personnes que tous leurs collègues étaient au courant des affaires du copiage dans lesquelles ils s’étaient enlisées et certains de ces plagiaires avaient été dénoncés dans la presse ou punis par leur université ou leur ministère.

A cette époque, j’étais responsable dans une petite maison d’édition, general services , de quatre collections littéraires et linguistiques et j’eus tout de suite l’idée d’aider ce critique à publier son livre et de rendre  en même temps un grand service à la littérature et l’université tunisiennes, car il est de l’intérêt de chacun de ces deux milieux de purifier ses rangs de ces parasites. Mais comme à mon accoutumée, je ne prends jamais une décision qu’après avoir demandé conseil  aux amis en qui j’ai confiance.Et mon choix s’était porté sur mes deux collègues feus Kamel Omrane et Farhat Drissi  avec lesquels j’avais enseigné plusieurs années au secondaire et l’avocat Mohamed Rafii que je connaissais depuis l’époque de l’avant-garde littéraire  (1968 -1972).

Kamel avait rejeté catégoriquement l’idée de publier ce livre parce qu’il donnerait,  selon lui,  une mauvaise image sur la littérature et l’université tunisienne dans les autres pays arabes. Quant à Farhat, s’il adopta une attitude similaire ,il justifia son refus par le fait que le plagiat est un faux problème car tous les grands  penseurs et   hommes de sciences dans l’histoire l’histoire humaines étaient plus ou moins des plagiaires,  à titre d’exemple, la théorie linguistique de Ferdinand de Saussure,  celle de Noam Chomsky  et  l’existentialisme de Sartre avaient été inspirés  respectivement des travaux de l’allemand Humboldt ,de Saussure lui-même et de l’allemand Husserl .  Dans la civilisation arabo-musulmane , le livre de Sibawayh qu’on a appelé le destour(la constitution) de la grammaire arabe n’est qu’une reproduction presque intégrale des théories de son maître Al Khalil , le grammairien Suyuti avait écrit près de cinq-cents livres mais son vrai apport ne remplirait même pas la moitié d’un seul livre.Et Farhat clôt ce discours effervescent en ces mots : « Donnez-moi les thèses de ces gens qui accusent à tort les autres de plagiat et qui jouent l’innocence et je te montrerai ,preuves à l’appui, la quantité des idées qu’ils y ont usurpées aux autres ! ».

Enfin , l’attitude du troisième, l’avocat feu Mohamed Rafii, était la même mais pour une autres raison : le recours à la justice de la plupart de ceux que l’auteur du livre accuse de plagiat et qui sont près de cent personnes  posera à l’éditeur le problème de se défendre contre eux devant la justice.

Et depuis, le manuscrit de cet important ouvrage dort chez son auteur  notre ami Lazhar Nafti et j’ai bien peur que son sommeil soit définitif !

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