Sondage de “l’Exil…” chez Med Baligh Turki par : Sadok Gaidi -Fouchana -Tunisie

Med Baligh Turki

Sadok Gaidi

Nous avons rencontré l’écrivain Med Baligh Turki, la quarantaine, jeune d’esprit et de cœur, ayant à son actif deux recueils de nouvelles et un  poétique. L’Exil au Temple des étrangers fut le dernier en date, paru en 2019.Ce dernier a été l’objet de notre approche sur les colonnes de  « CULMINENCES ». L’entrevue a porté principaux axes de l’histoire :

La notion de l’exil, la désolation, le sublime, le va et vient réel-fiction dans le rapport Espace-lieu et extraction sociale, les allégories des éléments aquatiques et spatiaux. Finalement la technique de description.

Arrêt sur l’agencement des axes de l’œuvre.

-L’exil dans l’œuvre de Med Baligh Turki constitue la toile de fond à partir de laquelle évolue l’action avec ses différents rayonnements. L’exil que l’auteur s’est imposé est tourné vers l’intérieur, dans la conscience humaine pour interroger la vie et essayer de comprendre le monde. C’est dire une quête vers un horizon meilleur, plus lumineux et réconfortant.

L’exil ou désolation.

Le préfix-ex dans exil et étranger désignent la séparation, le rejet, le dehors, l’errance …Dans un monde ésotérique, étrange et paradoxal, la quête tente l’écrivain pour fuir un monde lui paraissant clos et asphyxiant. Il débarque dans un ailleurs plus réconfortant pourvu de bonheur et sérénité. C’est au sein de ce milieu pourri et pétrifié que le Temple prôné immerge tout rayonnant porteur d’espoir et de guérison. On lit sur la page 38, chapitre 3, 1ère éd. « Au milieu de cette foule distraite, l’étrangère était un temple. » .L’étrangère, vue de loin par l’auteur comme silhouette puis reconnue, était une fille qui avait partagé avec lui le banc de l’école primaire (p. 32, 1ère éd)

Jeu de réel-fiction :

Le Temple tel qu’il est présenté dans le livre est fut une apparition comme s’il était un rêve, une manifestation du surnaturel. Une insinuation, passant inaperçue dans le cœur du rêveur. Quand le monde alentour s’enlise dans la pollution physique et morale, il devient insupportable et invite au voyage guérisseur. Les textes dans l’exil sont truffés des champs lexicaux du vide, de dépérissement et la pétrification. La souillure est le maillon majeur autour duquel s’agglutinent ces mots et dérivés. Ce vide ressenti amèrement appelle au remplissage par l’écriture qui devient une nécessité en ligne de compte.

Plusieurs lexis suggèrent des lieux imprécis, indéfinis et vagues noyés dans le mystère et l’exotisme tels « un coin isolé », « un sentier perdu », « un coin de paradis ». L’écrivain évoque dans beaucoup de chapitres la métaphore de la verdure  l’eau, la forêt, la rivière, les arbres, les îles. La forêt symbolise à notre avis la séparation entre deux mondes celui de la cité, les quartiers évoqués comme lieu de l’action et son évasion dans l’aventure de l’écriture. La forêt est aussi risque et paix de l’âme. C’est l’aventure dans l’écriture, pensons-nous. La recherche du naturel tente l’écrivain qui pense que la société passe par une crise de valeurs portant atteinte à l’éthique sociale, au crédit de la nation, à l’honneur. Les personnages sont des robots humains en perte d’identité gavés par les produits de la pub, la manipulation médiatique qui façonne inconsciemment leur esprit affecté par le conditionnement. Le simulacre prend la relève sur la vérité et la clairvoyance. Le champs lexical de la pourriture suggère des lieux asphyxiants, des personnages terrifiés sommés par la misère, l’alcool, les plaisirs mondains, la prostitution. Ils sont d’une extraction sociale misérable, laissés pour compte et l’ignorance. Le prêt- à penser culturel fait place au talent, la méritocratie cède la place à la médiocratie. Il y a le Boxeur, le Territoire occupé, une journaliste, l’écrivain, la môme, la strip-teaseuse, les masqués du bal etc. Les lieux sont suffocants, laids, exigus et moribonds. La femme de joies dans le roman fabrique des poupées. La lourdeur, selon l’auteur, peut être source de beau en écriture. Med Baligh interroge tous ces problèmes et tente de sonder les objets occultes dans la réalité.

Dans la page 57, on note cette phrase qui synthétise nos propos en parlant de l’écrivain à la journaliste « Sa vraie place était dans la potence des mots »

La sublimation.

Indéniablement, la terre symbolisée par la glaise semble pour l’auteur une un lieu insupportable parce que bourré de conneries et de souillure. L’adjectif  « embourbé » à lui seul résume l’essentiel du livre. Pour se sauver de cette prison, le Temple devient la sublimation par excellence fuyant la nudité de la vie rythmée des habitants par le rabâchage perpétuel. C’est un sublime thérapeutique  pour se décharger du fardeau qui écrase les personnages dans l’histoire pour la plupart détraqués et délinquants.

Arrivant à sa rive de prédilection, l’écrivain retrouve la tranquillité d’esprit après s’être réconforté auprès de sa bien-aimée qu’il appelle « la môme » après avoir découvert sur les lieux ici- bas que l’amour est un plaisir de passage, éphémère fondé sur l’artéfact et simulacre.

Les sentiments amoureux se partagent dans le Temple, ils sont limpides et immaculés. Les adjectifs mélioratifs truffent cette partie se substituant aux adjectifs dépréciatifs et négatifs.

L’envol apparait comme une ascension à la nouvelle demeure lointaine à la lisière de l’infini, en l’occurrence le blanc se succède au noir de la cité, des quartiers souillés, la quiétude à l’inquiétude. Cette série d’opposition est un point nodal de cette écriture Naturel vs artificiel, aquatique ou terrestre, enrichissement versus appauvrissement et j’en passe.

L’écriture-résistance.

D’après notre lecture de l’œuvre, l’écriture chez notre invité est une douleur en nous et une résistance parce que un vrai artiste ne supporte pas le factice, le remâchage il doit créer, sortir du groupe des soumis pour non seulement détruire mais restructure de nouveau pour vivre le présent, éterniser ce moment de l’écriture.

A voir la phrase inaugurale,  « Arrête d’être ou être »( chapitre 1, p.3) nous pensons que le 1er être est employé au sens passif décrivant un état, une situation ; le second pourrait  signifie Exister en tant que conscient, attentionné au milieu de la vie en commun. Exister c’est résister au prêt à penser, au facile, au artefact pour vivre pleinement sa vie.

Conclusion générale :

L’écriture de Med Baligh Turki nous parait imprégnée par le cinéma du fait que les personnages présentés de loin flous puis par un « zoom » ou un « gros » voire trop gros plan » fait sortir les détails. Une littérature de proximité.

Les textes sont agencés selon la technique de superposition, de coupes pour en quelque sorte simuler l’écriture partant du vide à remplir. La communauté est régie par la décomposition des gens, la solitude mais le fil conducteur de l’unité existe entre eux. Le Roman fait ce qu’il dit dans ce cas, tout fonctionne selon une logique mystérieuse qui explore l’occulte.

La naissance de la douleur déclenche la déchirure intérieure puis vient l’écriture pour re composer  ces plaies   et depuis le vide se remplit. Tout fonctionne selon cette logique du scripteur et ses divers états disparate mais l’Être est conscient…La raison cherche, le cœur trouve. « L’Exil au Temple des étrangers » se solde aussi par la mort de l’écrivain laissant un manifeste à son fils …Les balafres successifs qui jalonnent certains passages ont étés soudés dans cette unité, les bonnes odeurs sont un succédané balsamique du cœur faisant place aux odeurs nauséabondes et dégoûtantes dans les lieux revisités. Bref, le sublime l’emporte le réel déréalisé en fin de compte. Un roman qui vaut un profond détour.

 

 

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