Approche de la poésie du poète tunisien Midani Ben Salah par :Krystyna Skarzynska-Bochenska; 1980 Varsovie -Pologne — Traduit du polonais par: Monika Del Rio

Midani Ben Salah

Krystyna Skarzynska-Bochenska

Monika Del Rio

Al-Midani ibn Salih est né en 1929. Il est originaire de l’oasis de Nafta, une région d’oasis du sud – Garidu.

Nafta, capitale religieuse de Garidu, possède le tombeau du marabout Sidi Abu Ali. Sa richesse provient des 400 mille palmiers-dattiers irrigués par 150 sources. Comme al-Quairawan, Nafta a une atmosphère spécifique, liée aux traditions nomades des bédouins Banu Hilal et Banu Sulaym. D’ici, de as-Sabbiya (une petite oasis proche de Tozeur) est issu l’éminent poète tunisien Abu al-Oasim as-Sabbi (1909-1934).

Beaucoup de poètes viennent de Nafta. Parmi l’ancienne génération, on connaît le poète Mustafa  Hrayyif (1909-1967) et son frère, l’écrivain Bashir Hrayyif (né en 1917), le romancier « Ad-Duqla fi araginiha (Houppes de dattes, Tunis 1969), un magnifique panorama de la vie des gens dans les oasis Garidu. Les poètes de la génération moyenne, contemporains de al-Midani, sont Munawwar Sumadih (né en 1931) et Muhyi ad-Din Hrayyif (né en 1932). Al-Midani m’a semblé quand même le plus intéressant à cause de son grand attachement aux traditions bédouines et aussi pour sa chaleureuse liaison avec l’idée de socialisme arabe.

Al-Midani ibn Salih est issu du milieu le plus modeste de l’oasis – les exploitants travaillant la terre et irriguant les palmiers pour la cinquième part de la récolte (hammasuna). Dans son oasis natale, il poursuit ses études à l’école coranique et à l’école primaire. Puis il se rend à Tunis pour continuer ses études à la mosquée az-Zaytuna. Ces années passées à l’oasis exercent une influence décisive sur sa création poétique et le développement de sa personnalité. C’est un poète « hammas », enraciné entièrement dans la terre de son oasis natale, s’identifiant avec les plus pauvres, poète dont le symbole deviendra « un palmier arabe, fier et élevé».

Au cours de ses études à la mosquée az-Zaytuna (jusqu’à 1952), al-Midani participe activement aux manifestations d’étudiants qui demandent la réforme de l’enseignement et l’arabisation de tout l’appareil administratif. Cette attitude sera la cause principale du refus des autorités de lui permettre l’accès aux études supérieures. Cependant, les étudiants dont les études à az-Zaytuna avaient été couronnées de succès trouvaient un chemin ouvert pour enseigner, en province, dans les écoles primaires. Al-Midani ibn Salih a ainsi enseigné durant trois ans à l’école de Mazila (les mines de phosphates) au sud, où il a côtoyé la vie difficile des mineurs et des ouvriers.

Apres la déclaration de l’indépendance par la Tunisie (1956), il obtient une possibilité d’études en Iraq. Il suit ainsi les cours du département d’Histoire à l’Université de Bagdad. Son séjour dans la capitale iraquienne lui a donné l’occasion de connaître les nouveaux courants de la poésie arabe dont les précurseurs ont été les poètes iraquiens illustres Badr Shakir Sayyab (1926-1965), Abd al-Wahhab al Bayyati (né en 1926) et la poétesse Nazik al Mala’ika (née en 1923). C’est, probablement, au cours de ce séjour, que se forgera son idéologie socialiste qui s’épanouira avec force dans sa poésie. Dans des années 1969-1970, il étudie à Paris, à la Sorbonne, vivant de ses articles écrits pour le quotidien « Le Monde ».

Il a édité ses poésies dans des recueils : « Qurt ummi » (La boucle d’oreille de ma mère), publié en 1969, « Al-layl wa at-tariq »(La nuit et le chemin) 1972, « Min mudakkarat hammas » 1977. En 1974, il publie un drame poétique consacré à la lutte des Palestiniens « Zalzal fi Til Abib ».

Coutumes et pratiques de cultes liée avec la tradition

Dans les œuvres de son premier divan, « Qurt ummi » (La boucle d’oreille de ma mère), outre une description caractéristique de la nature dans ces régions de grandes oasis et les images de la lutte d’une population miséreuse pour une existence difficile, on remarquera les descriptions des coutumes liées avec une certaine forme de religion populaire qui n’a pas beaucoup de lien avec l’islam officiel.

Dans le poème « Ana himari wa al-qamar »(Moi, mon âne et la lune), les parents, disant adieu à leur fils qui part pour Tunis, lèvent leur mains vers le ciel en demandant à Allah de  le protèger. Ils détaillent leurs mérites envers dieu, leur respect de la loi islamique (charria) et les pratiques quotidiennes de leur foi religieuse : les visites des tombeaux des « saints » (awliya), les offrandes de cierges ou d’encens, les sacrifices de moutons et de volailles, avec le sang desquels on fait une onction des pierres tombales. Le « sayh » de la congrégation des derviches leur prédit la naissance d’un fils.

Le poète qui part ne va jamais rompre cette liaison forte avec son oasis natale et les valeurs familiales, mais il rejète les pratiques traditionnelles. On en trouve une illustration dans les strophes de son poème :

Moi je me révolte contre mon triste passé,

Contre les contes du passé dignes de mépris

La pauvreté maudite…

Dans mon âme grandit un défi,

Il parcourt l’espace, il gagne les époques…

J’irai sur le chemin des braves

Sur les champs de bataille…

Le poète dépeint les pratiques religieuses et les traditions des derviches demeurant à Tunis dans une longue qasida dans laquelle il exprime ses réflexions et ses doutes sur le sens de la vie des derviches qui sont complètement séparés des problèmes des gens et du monde. Pendant ses cinq années d’études à az-Zaytun, al-Midani, selon la coutume des élèves pauvres dormait dans la grotte de la congrégation des derviches qui poursuivaient le rite du mystique Abu al-Hasan as-Shadli. L’ambiance de cette grotte, la fantaisie et les réflexions du poète dont le ton très contemporain reste lié à la terre, à la vie et au travail, se fondent dans un vers de forme moderne  (le vers libre) qui présente une originale symbiose de la tradition et des valeurs modernes.

Ainsi, peut-on estimer l’œuvre « Fi al-kahf as Shadli »(Dans la grotte de as-Shadli, 1965) d’al-Midani comme moderne dans sa forme et dans son contenu. C’est un long poème, composé d’éléments de réflexions qui se complètent mutuellement. Composition spirale – basée en apparence sur la même vision, le cercle dansant des derviches – chaque strophe gagne des éléments nouveaux et enrichissants et dans chaque strophe le ton des sentiments change. Dans son ensemble le poème constitue une image – métaphore condensée, basée sur le profond sentiment artistique du poète.

La première strophe fait office de prologue ; premier image – les prières, l’étourdissement, l’humilité…

La deuxième – la plus importante pour l’intention de poète – est le rejet de la tradition engourdie par les rites des derviches, les fausses routes d’un tarika mystique, qui est le refuge des faibles, incapables d’agir.

La troisième strophe présente le rapport personnel du poète avec la grotte-refuge, froide, vide, sombre, le refuge d’un misérable. Al-Midani introduit ici la légende coranique des sept dormeurs et du chien . Avec une ironie profonde il place le chien au premier rang, en s’identifiant peut-être avec cet animal méprisé à cause de sa situation personnelle misérable. Mais dans cette strophe apparaissent également les valeurs traditionnelles de l’honneur arabe : persévérance, courage dans des situations difficiles – « je cachais ma misère, en prenant mon obstination sous le bras, je consolais la solitude, en ayant faim je ne perdais pas la raison ». L’expression « prendre mon obstination sous le bras » (ta abbatu inadi) est un rafraîchissement artistique du surnom d’un fameux poète-brigand de la période al-gahiliyya (Ta abbata Sarran) – celui qui prenait le mal sous le bras (VI s.), c’était un brigand qui attaquait les riches et donnait le butin aux pauvres. De cette façon, pour un lecteur qui ne connaît pas la tradition arabe, cette expression en apparence sans importance « avec mon obstination sous le bras » ouvre pour un initié un horizon intellectuel plus profond, qui trouve ses sources dans l’ancienne légende indigène.

La quatrième et dernière strophe commence par un développement complet d’images de la vie des derviches. Le poète approfondit ici ses réflexions, il ne rejette plus sans égards toute la tradition des derviches, il réfléchit sur le mystère d’un saint mystique qui a rompu avec la vie, au milieu des doutes, des illusions et du désespoir. Il « languit la vérité du mystère de l’existence ». La pensée du poète si nette dans la deuxième strophe, devient ici embrumée et embrouillée. Le lecteur perd sa certitude, la logique de la raison est mise en doute. Le poème de al-Midani devient ainsi moins clair, mais ce n’est pas une œuvre sombre. On pourrait le classer parmi les lyriques modernes d’un type évolutif. Il dépasse la poésie de type traditionnel d’après sa forme et son contenu.

Il faudrait signaler aussi l’originalité du sujet de cette œuvre basée sur le vécu authentique du poète. Sur le plan des valeurs, al-Midani présente une intéressante expérience pour se libérer de la tradition, comme celle des rites des groupes de derviches. C’est une avancée révolutionnaire, même si le poète ne l’accomplit pas d’une manière affirmée. Cependant, selon la thèse de K. Popper : « Nous ne nous libérons du tabou que  lorsqu’y on pense  et s’il le faut le conserver ou le rejeter… ». Dans le cas d’ al-Midani, c’est d’autant intéressant car ces rites sont en accord avec les coutumes d’un groupe social auquel il appartenait. Ce renoncement aux croyances locales du peuple n’a rien à voir avec le rapport du poète avec l’essence de la religion islamique.

La conscience musulmane

Comme dans les œuvres poétiques de son aîné al-Lagmani, celles de al-Midani mêlent la conscience musulmane avec la conscience arabe, et la lutte pour l’indépendance avec « la guerre sainte ». Seuls deux poèmes traitent de ce sujet « Butula sa b » ( L’héroïsme du peuple,1966) et « As – Sauma »(Minaret). Chaque strophe de vers du poème « Butula sa b » est suivie par un refrain caractéristique :

Que se réjouisse de la vie et de l’éternité

Notre peuple – le vainqueur de fer,

Le sourire rayonnant du Coran Glorifié.

« Dubaba » (La mouche, 1973), est une œuvre satirique. Le poète se moque de filles fascinées par la langue françaises et par la culture occidentale. Il dédie ces vers à une demoiselle, qui, à sa salutation en arabe, lui a répondu en français et continuait la conversation dans la même langue. Quand elle a appris qu’il ne connaissait pas le français elle l’a traité avec mépris d’« indigène, Arabe et paysan inculte». Le poète a soulevé le défi. Il n’a pas honte de ses origine arabes, décrivant l’Européen qui a vécu à moitié nu, ressemblant plutôt a un animal pendant que « Moi, Arabe , j’étais un homme heureux, intelligent, et même génial ». Il ne se réfère pas à l’histoire arabo-musulmane, mais aux cultures de l’Ancien Orient – les centres pré-arabes de Ma an au Yémen, de Quatabanu sur la péninsule Arabe, de Babylone et de Carthage. La filiation de ces deux dernières cultures apparaît évidente, le poète remonte jusqu’à Carthage qui fait partie de l’histoire de la Tunisie et à Babylone pour celle de l’Iraq où il a étudié. Il lie les réalisations de ces anciennes civilisations un peu rapidement avec la culture arabo-musulmane, qui issue du désert a engendré le « rayonnement du Prophète » et la civilisation. Ce vers est en même temps une preuve du rapport du poète avec la culture européenne, ou plutôt américaine, qu’il critique très sévèrement, en montrant toutes ses faiblesses. Je cite un fragment de « Dubaba » :

Tu bredouilles des mots étrangers,

Tu dis : inculte

Arabe, paysan, « indigène »…

Étrange ! Que le soleil se lève donc

Sur l’Occident lointain

Et que l’Orient véritable soit considéré

Comme la terre appartenant à l’Occident

Aux cow-boys !

Aux défenseur de l’humanité !

Conquérants de la lune

Et les marchands des guerres !

Étrange ! Que le soleil se lève donc

Sur l’Occident lointain,

Sur le monde que l’on dit nouveau,

Bien qu’il n’y ait rien de neuf là-bas…

A part les bruits de chaînes,

De balles et de fer,

A part les gémissements des esclaves

La suite de ce poème décrit les quartiers de noirs, les quartiers de la misère, entourés par de magnifiques hôpitaux, des usines, des fonderies, des statues de la justice et de la liberté; et des filles sans morale qu’il appelle les filles du rock and roll et des prostituées qui font la chasse aux hommes. A la fin, le poète montre la fille arabe tunisienne fascinée par le mirage de l’Ouest, côte à côte avec ces femmes, et la décrit comme une « mouche volant à l’aveuglette parmi les poubelles et déchets » et aussi comme le « symbole du mépris ». Dans ce fragment on peut observer une attitude sans compromis vis-à-vis de la moralité des femmes, caractéristique du milieu campagnard d’où vient al-Midani.

Dans la préface de son poème « Al-guarad wa al-ard » Al-Midani relie l’antiquité (Babylone, la légendaire Iram, citée dans le Coran) avec l’histoire de la Tunisie contemporaine, « la terre de la Bizerte chérie ». Il démontre les valeurs universelles, qu’il observe dans son peuple – la justice, l’amour fraternel et la poursuite de la paix.

Les sentiments de ses liens et de son amitié avec la communauté arabe et la culture contemporaine arabe transperce dans les vers « Risala ta ziya ila Bagdad » (La lettre de condoléances pour Bagdad), dédicacés « à l’esprit d’un poète mort Badra Sakir as-Sayyaba ». Ces vers parle ainsi de lui :

Dans ses yeux il y avait la lumière éternelle

géniale, arabe.

Il remplissait les déserts de ses hymnes. Il chantait pour les réfugiés.

Il éclaircissait les chemins de la nuit

Pour ses camarades qui se battaient.

La preuve de son sentiment d’unité avec les autres nations arabes transparaît son rapport avec le problème de la Palestine. Al-Midani aborde ce sujet avec une passion propre à lui-même et sans compromis dans une œuvre « I tidar », récitée pendant un congrès poétique à Tunis en 1973.

Le titre de ce poème est lié à la poésie arabe classique, dans laquelle la classification dépend du but du poème. C’était « si r al i tidar » ou « al-mu ta-dariyyat », c’est à dire la poésie suppliante ou les poèmes qui supplient le pardon.. Les œuvres de ce genre étaient écrites pas des poètes qui avaient perdu les faveurs de leur souverain ou de leur mécène, ou qui, injustement accusés, essayaient de démontrer leur innocence en demandant pardon. Al-Midani modernise cette ancienne forme en changeant le destinataire de la supplication qui devient le peuple palestinien :

On se réuni ici, pendant que la terre et la mosquée sont dans les mains du démon

On délibère, pendant que le souverain est vaincu, étourdi, renvoyé,

Et celui qui se révoltait – refoulé, emprisonné, exilé…

Est-ce que c’est digne dans une journée pareille de nous rencontrer, de dire de la poésie et d’applaudir ?

Dans la suite le poète oppose la situation des poètes, des érudits qui savourent la beauté de la littérature, des gens qui ont une terre, des oliviers, une famille et celle des Palestiniens, exilés de leur patrie, qui demeurent dans des camps de réfugiés ou dans des prisons. L’œuvre n’est pas dans son intégralité un poème suppliant, de nombreuses parties sont écrites comme une satyre d’un caractère traditionnel, bien qu’elle ait pour cible l’ennemi moderne – Israël. Le poète se base sur les satyres classiques et n’épargne pas aux ennemis les épithètes offensants, il lance aussi des imprécations issues directement du Coran :

Ils sont dispersés par une vague de haine

Et le désir des souverains de l’argent, des usuriers.

Que les mains tombent de ceux qui attribuent le mensonge aux Arabes !

Que les mains tombent de celui qui a vendu le peuple et trahi les Arabes !

Que les mains tombent de ceux qui ont faussé perfidement l’Evangile,

Qui ont publiquement déchiré le Coran…

Toutes les cloches se taisent sur leur perversité.

Ils ont éteint les bougies dans le lieu du massacre le jour de la naissance de Jésus

Ils ont brûlé la mosquée al Aksa à Jérusalem

Souvenir de la nuit d’un Voyage Miraculeux – le cœur d’arabes sur terre,

Et Josué souffle dans les trompettes de la trahison et de la haine.

Dans la suite de l’œuvre al-Midani se penche sur les problèmes de sincérité et de l’engagement de la poésie et des poètes. Malgré sa versification libre, ce poème rappelle par sa composition les qasidas traditionnels. Le poète aborde ici plusieurs problèmes en passant librement de l’un à l’autre, en abandonnant la présentation exigée dans la poésie arabe moderne où il faut petit à petit montrer les différents aspects de la même pensée.

Le méthode de l’illustration est liée avec la tradition coranique. Les imprécations commencent par les mots « que les mains tombent… » (tabbat al-aydi, i tabbat yad) qui sont tirés des imprécations jetées sur Abu Lahab, oncle infidèle du prophète Mohammed et ennemi juré des premiers musulmans, dans la Sura du Feu – « tabbat yada Abi lahab  – que les de mains de Abu Lahab tombent ». Le poète fait une liaison avec les lieus de culte des chrétiens et les mosquée des musulmans détruites par les Juifs.

La conscience de classe

Je considère sa liaison profonde avec la classe la plus pauvre, celle des fellahs tunisiens et des ouvriers comme un trait dominant de toute la création d’al-Midani ibn Salih. Le poète n’a pas honte de ses origines, il en est fier, comme il est fier de sa révolte contre l’injustice des classes. Son engagement sincère transperce à travers la plupart de ses poèmes, ainsi que le fait qu’il considère comme une valeur suprême le travail du paysan et de l’ouvrier.

J’ai choisi « Intisar » ( Victoire, 1965) , un des poèmes les plus typiques du recueil « Qurt ummi »

Alors que j’avais faim et que j’étais le fils d’un affamé,

Alors que j’étais élevé dans un berceau de malheurs

Et que j’ai vécu ma jeunesse dans la peine

Sur les chemins de la vie, perdu

Je me suis révolté contre les liens

Dans le jour, quand j’ai arraché le tissu de mon existence (wugud)

Pour que la paix regagne la terre de mes ancêtres

Pour que la vie (hayat) revienne ver les prolétaires (kadihuna)

Moi et le peuple (gamahir) hier on était fatigué (nakdah)

Nus, affamés, anéantis on a donné

Notre moisson à un étranger, qui se réjouissait

De ma tranche – dernier morceau d’affamés.

Voilà la faim qui a réveillé mon instinct

J’ai demandé le sens de l’existence et de l’âme

Je me suis révolté contre les liens et les ancêtres, contre les coups des agresseurs et des criminels.

Nous tous (gumu una) nous avons combattu lors de la journée de la révolte

Avec le don de notre sang, et nous avons gagné

En chassant l’intrus (dahil), en déroulant

Le drapeau de l’amour serrant dans ses bras les mondes.

 

Qu’il sois béni le peuple par la Révolution et l’Eternité

S’élevant, patient (sabur), têtu (anid),

Le peuple qui construit la puissance (izz) de son pays

Avec le travail des jeunes et des persévérants (samiduna).

 

Je vais te décrire ma bande de camarades (gumu ar-rifaq)

Je vais chanter ma liberté et ma délivrance (intilaq)

Je vais éclairer les chemins jusqu’à ce que je sois consumé

Pour le peuple dans mon ivresse et ma tendresse.

L’idée de la lutte de classes est liée dans cette œuvre avec l’idée du combat indépendantiste, de la lutte menée par le peuple. Dans ce poème, le vocabulaire caractéristique de al-Midani, est un vocabulaire typique de la « propagande politique », simple et compréhensible par tous : prolétaires, ouvriers, camarades, le peuple entier (gamahir), nous tous (gumu una), Fellahs, révolution (taura). L’occupant français est décrit avec des symboles très clairs : étranger, agresseur, intrus (dahil), usurpateur, tyran. Dans même temps, le poète garde le vocabulaire typique des poètes de l’ancienne génération, vocabulaire liée avec la tradition arabe et musulmane : patient (sabur), inflexible (samid), puissance (izz), éternité (hulud). Le mot « la vie » (hayat) mérite une attention spéciale – le poète lui donne le sens d’une vie créative, active, la vie des gens heureux grâce à leur travail, avec le fruit duquel ils comblent les autres. L’œuvre est comme un hymne à la joie du poète dans un pays libéré. Il se produit ici aussi un accent mystique – des parole qui disent que le poète « flambe pour éclaircir le chemin du peuple ». Le motif du sacrifice de la vie du poète pour le bien des autres nous rappelle les pensées exprimées par Ahmad al-Muhtar al-Wazir. Mais alors qu’al-Wazir désire « éteindre les flammes de la haine et protéger le sang de son frère par l’amour » – comprenant par frère chaque homme – al-Midani s’identifie uniquement avec le peuple travailleur de Tunisie. Dans son dévouement il atteint au mystique « unité d’existence » comme dans les vers « Hulud »(Eternité) :

Quand je serai mort, j’arrêterai d’exister en flamme

Oh, camarades !

Savez, que brûler

Est le commencement de la délivrance

De l’élan.

Ensuite je deviendrai

Le sourire de l’aube et le rayon du jour, la rose blanche dans les mains des enfants…

Un nuage, qui arrose le désert,

Qui remplit les maisons de pains et de fruits

Je suis la voix pour le peuple, je chante les chansons

De l’amour, de la paix et de la conscience

Mon peuple est éternel, au –dessus de l’extermination

Et moi qui viens de lui je suis la terre, l’eau et lumière,

L’olivier, les palmes et la vigne…

Cet envol de l’âme n’a pas de caractère religieux. Il ressemble plutôt à l’attitude d’un communiste convaincu, complètement voué à la cause du peuple. Cependant la même pensée avec la même symbolique (pain, rose) a été exprimé par Wladyslaw Broniewski dans son poème « La rose » :

De nos veines ouvertes à nouveau dans la terre

que la sève de la vie coule –

on poussera en pain quotidien,

on poussera en joie de l’homme !

 

Que le vent nous arrache et nous casse

Que nos os, comme les graines que l’on sème –

Cent fois nous pousserons au printemps,

Ensanglanté, sans abri, solitaires,

Par la rose de cœur d’Okrzeja.

Dans la plupart de ses poèmes al-Midani exprime son engagement pour la cause du peuple d’une façon claire et décidée. Il rejète courageusement « l’art pour l’art », le lyrisme de l’amour et les thèses philosophiques. Dans le poème « Si ri wa du al-fann » (ma poésie et agitateur de l’art) il proclame la devise « poésie de la vie » liée avec les aspirations et les actions du peuple travailleur :

Ma poésie est le souffle lourd de gens lassés dans la route

Ma poésie  – c’est le chant du peuple,

De ceux qui se battent contre les vagues, sur la mer en colère

De ceux qui gagnent contre les destins (aqdar)

Qui attaquent les malheurs,

Qui gravent les longues routes parmi les montagnes,

Qui les construisent dans les désert et les steppes

Les gens puissants, les vainqueurs…

Son attitude inflexible de défenseur du droit du peuple travailleur, al-Midani ibn Salih l’exprime dans le poème « Saut al-hayat » (La voix de la vie). Dans le poème « Ugniyyat li walidi » (La chanson pour mon père) on ne trouvera pas de sentiments familiaux, le père est pour le poète le symbole de la génération précédente – travailleurs, opprimés, supportant leur misère avec patience, malgré le désir de paix et de liberté.

Tes mains sont tatouées de veines (wussimat)

Tu te fatigues pour le bonheur de tous (gumu).

Dans cet extrait, on peut remarquer la renaissance d’un tableau préféré des plus anciens qasidas : Tarafa ibn Abd :

Dans la vallée de sable les traces de cendres sont sauvées

Comme les restes de tatouage qui disparaissent de la main.

Al-Midani change le sens sémantique de métaphore – auparavant le tatouage servait pour la décoration, en sens de valeur : « les veines des mains tatouées de travail ».

Liant ses idées de lutte des classes et de lutte pour l’indépendance de la Tunisie, le poète écrit une élégie en hommage de Farhat Hassad, créateur et militant de l’Association des Métier et des Travailleurs de Tunisie (crée en 1946), qui sera exécuté par le pouvoir français en 1952. Le poème, dédié « au défunt héros Farhat Hassad » porte le titre « As-saut al-halid » (La voix éternel), fut écrit 12 ans après la mort de Hassad. Sa forme et son contenu s’éloigne du modèle des élégies traditionnelles, dont les éléments ont persisté sans changement chez les poètes de l’ancien génération. Il n’y a pas ici d’images exprimant le désespoir de toute la nature ou du pays, ni les regrets, ni les lamentations. Par ses premiers mots, le poète montre directement une actualité qui fait échos aux idées proclamées par Farhat :

Ta voix, ami du peuple, persiste chez les prolétaires.

Malgré les années qui ont passé elle est toujours

Une lueur de justice dans la nuit des misérables,

La foi de générations de travailleurs,

Le chant du fils de la vie.

Il est le tonnerre et l’ouragan pour les agents des tyrans.

Ta voix persiste chez les ouvriers

Dans les mines, dans les usines et dans les champs…

Dans la suite du poème, il montre l’engagement de Hassad pour l’Angola et pour d’autres pays d’Afrique, « où arrivait sa voix appelant au combat pour la justice, pour l’indépendance et pour l’amour mutuel. »

L’image de la voix du combattant ou du poète, la voix qui ne se perd pas mais reste toujours vivante, se retrouve aussi à la fin de l’œuvre consacrée à la mémoire de Badra Sakir as-Sayyab :

Est-il possible que la lune s’éteigne ?

C’était annoncé hier par le messager de la mort.

Il ne connaît ni l’éternité, ni le mystère de l’existence,

Ni les récits du ciel,

Ni le message du Prophète.

Oui, mon messager, ton cri de deuil est la vérité,

Mais la voix du poète

Restera éternelle…

La valeur de la parole, qui porte la vérité et une idée juste, peut posséder chez al-Midani une double source. A la fois contemporaine, et faisant ainsi suite à l’idéologie socialiste (sans oublier l’ancien horacien « non omnis moriar »), mais aussi de conviction ancestrale, pré islamique, la seule valeur qui reste après l’homme ce sont ses propres paroles, qui vont être transmises pour consolider sa gloire ou sa défaite. Il semble que dans ce cas l’attitude traditionnelle concernant la valeur de la parole rejoint l’attitude moderne.

Al-Midani ibn Salih parle, dans la deuxième partie de son poème « I tidar » (Supplication ) – consacré en général à la cause palestinienne, de la sincérité de la poésie et de la liberté de parole. Il pense que les poètes peuvent se rencontrer seulement quant « la pensée ne sera plus à vendre », « quand les phrases ne serons plus un rideaux pour la tyrannie », quand «  la pensée deviendra une lanterne dévoilant le sens des choses » et que « la parole sera libérée du faux »(zayf). Il rejette d’une manière décidée « les hymnes du faux » servis aux peuples, autant que les légendes et les préjugés qui possèdent la force de l’opium. Il appelle ainsi à la vrai révolution. Il rejète les plumes « touchées par la paralysie » qui chantent le prince et le chef, qui ont trahi le peuple. Dans l’extrait ci-après, les valeurs modernes du caractère humain en général nous conduisent jusqu’à la vision de l’avenir des Arabes ; elles doivent basées sur l’unité, la justice sociale et l’amour mutuel :

« I tidar »

Quand le poète ne sera plus emprisonné,

Ni pendu à cause de ses vers,

Quand l’écrivain ne sera plus torturé dans la maison « de sûreté »

Par le fouet du chef de la salle de torture.

Quand affamé et opprimé il ne sera plus obligé de pousser des vivats

Au nom de bourreau et voleur :

« Que vive le juste et honnête, qu’il vive ! »

Quand le peuple ne sera plus dirigé par l’usurpateur ou l’émir

Se disant issu du pays de Kuraj…

On se rencontrera à ce moment-là… pour donner l’ordre constitué par le peuple

Que le soleil de la justice et de l’amour se lève

Au-dessus de la terre des Arabes. Et les vagues sur les côtes du Maroc et de Basra s’unissent

Parmi les cris de retour, d’unité et de justice.

On se rencontrera… quand le fellah et l’ouvrier se libérons

Des liens de la noblesse…

A ce moment-là on se rencontrera dans la sincérité (ihlas), oh ! mes frères !

Pour faire revivre une nouvelle idée arabe révolutionnaire, libre, moderne !

Ce poème, qui fait partie de son dernier recueil « Min mudakkarat hammas »(1977), présente de nombreuses allusions politiques soigneusement camouflées, dirigé contre ceux qui gouvernent les pays d’arabes . Les poèmes de ce recueil constituent la somme des épreuves et des désillusions du poète, qui malgré tout ne renonce pas à son idée et à son combat.

Cet effondrement de la foi du poète dans la justice, dans la vérité, dans le sens et le rôle de la poésie qui devrait mener le peuple, transparaît dans un poème très personnel et très pessimiste « Zilal al-hazima » (Les ombres de défaite), qu’il a écrit pendant son séjour à Paris (1969-1970), trois années avant son autre poème « I tidar ». A cette date le poète séjourne à Paris comme un exilé, où dans un réflexe de désespoir il ne voit son secours que dans les débits de boissons. « Les ombres de la défaite commence par l’appel à la consommation du vin, qui doit éteindre l’ardeur du désespoir. En parlant de cette boisson il utilise un trait caractéristique de la poésie du vin (Abu Nuwas, VIII-IX s.), l’épithète « sahba » (doré), mais il ne se délecte pas avec le vin comme Abu Nuwas, ni ne vente ses qualités, bien au contraire. Il pense, en accord avec sa morale campagnarde, fortement ancrée dans la tradition, qu’il tombe dans la débauche, pourtant seul un verre peut le sauver de la défaite.

Sur les bords de la Seine, al-Midani ibn Salih ressent sa faillite et son exil, il a honte de sa collaboration avec « Le Monde », il pense qu’il vend à un agent étranger (sumsar) tout ce qu’il a aimé, il se reproche de trahir sa mère, sa femme, ses enfants, ses palmiers et ses amis, et il ne veut plus créer. Il le démontre avec la traditionnelle image de la guitare brisée. :

Ricanant j’ai cassé la guitare

Malheureux, j’ai cassé les cordes

J’ai quitté mon propre nid, mon enfant

Pour le pays des brumes (dabab), la terre glaciale.

J’erre, étranger, malheureux, triste

Malheur à mon cœur privé des charmes printanier,

Du printemps de mon pays,

Où j’étais la voix de tous… !

La perte de foi dans la poésie et dans son importance pour les gens est l’idée maîtresse de ce long poème, moderne par sa forme, dont les strophes montrent chacune un nouvel aspect de la même image :

Est-ce que cela donnera aux affamés le profit d’un poème joyeux ?

L’article d’un menteur qui change sa peau,

Qui marchande ses mots ?

Qui écrit le mensonge pour tromper les peuples

Qui chante les guerres.

Le poème se termine par le rejet des fausses promesses et de l’hypocrisie, omniprésente dans le monde moderne. Ni un livre, ni un article, ni un poème ne donnera pas à manger aux affamées. Il cesse d’ appeler à la lutte pour la justice, il appelle seulement l’ivresse.

« Les ombres de défaite » est une des rares œuvres d’al-Midani ayant une signification défaitiste.

L’œuvre plus tardive « Zilal al-hati a » (Les ombres de la faute) montre le vécu intérieur du poète, le regret pour le péché d’ivresse et l’abandon de tout ce qu’il a aimé et sa décision de fuir les débits de vins et les étrangers et ramener son âme vers ses palmiers, ses amis et sa terre.

L’attitude de poète par rapport aux valeurs locales

Dans certains vers de deux de ses recueils transperce maintes fois l’attachement du poète aux principes moraux musulmans qui lui avaient été inculqués dans sa jeunesse et aux valeurs liées avec les principes ancestraux de l’honneur.

Dans le poème de titre du recueil « Qurt ummi » (La boucle d’oreille de ma mère), au cours de la scène d’adieu de la mère, qui offre à son garçon une boucle d’oreille en or, sa dernière richesse, la mère déclare :

Prend la, va !

Sois brave et sans peur !

Combat la misère, vainc l’ignorance !

Sois fort et persévérant dans ton combat !

Que la faiblesse ne te saisisse pas !

Ce désert est la demeure des braves,

Dans ces camps (hayy)

On raconte de longues histoires (asatir)

Les recommandations données par la mère à un fils qui part semble être tirées d’un code d’honneur ancestral : la bravoure, le courage au combat et la lutte contre sa faiblesse. Le poids et l’actualité de ces valeurs remplit la suite de discours montrant « le désert comme la demeure des braves », dont on raconte encore aujourd’hui les exploits. La mère exhorte son fils à respecter les traditions des ancêtres.

Dans presque toutes les œuvres d’al Midani perce le courage de ses convictions, la persévérance face à l’adversité et dans la lutte pour ses idées. A contrario al-Midani méprise certains hommes – les élégants irréfléchis, en admiration sur leur propre beauté, les charmeurs de femmes (il me vient à l’esprit une association avec « Esik à Ostende » de Boy Zelenski). Il les critique dans la satire « Al-hafafis as-sigar » (Les petites chauves-souris). La petite chauve-souris, en général n’a pas fini ses études, ne travaille pas, n’a aucune convictions ni centres d’intérêt à part les soins recherchés de son apparence, une tendance à l’alcoolisme, une attirance pour la danse et les femmes légères.

Tu ne sais même pas s’il est homme ou femme ?

Curieux… c’est peut-être une nouvelle espèce humaine… ?

Le poète ne s’arrête pas aux épithètes « primate », « un singe de cirque », mais il constate, que pour cette espèce d’homme il n’y a pas de place dans son pays :

Ma patrie est le sol de la lutte et de la construction,

Elle est le nid des aigles,

La demeure de la gloire,

Il n’y a pas de place ici pour les primates,

Les chauves-souris…

L’attitude du poète par rapport à la culture européenne

Al-Midani – partisan d’une moralité sévère et traditionnelle, est choqué par la liberté des mœurs européennes. Dans son poème « Al-Maqabir » (Catacombes), en rappel du nom d’un pub de nuit londonien de Soho, il décrit avec indignation « la caverne de la débauche », décrivant ses clients comme « une génération perdue, une génération du vide » et les femmes qui dansent comme « celles, qui ont déchiré tous leurs voiles et se sont jetées, folles de péché dans les bras de la malédiction des générations, dans l’insomnie, le vide et la souffrance ». Il décrit Londres comme « une terre d’insomnie et de débauche », il suggère qu’il s’agit de la punition pour son passé colonial.

Le thème de la condamnation de la prostitution et de la liberté sexuelle des femmes revient dans un poème écrit pendant son séjour à Paris « Sahrazad »(Shéhérazade). Le symbole de Shéhérazade – la belle et intelligente reine des « Milles et une nuits » – devient pour al-Midani le symbole de la prostituée depuis les temps légendaires et les fables jusqu’à l’époque actuelle, « le plus misérable de tous les êtres humains, qui entraîne les autres dans le pêché».

Dans ces deux poèmes – comme dans quelques d’autres – le rapport du poète avec l’Occident est caractérisé par ses images négatives. Il semble que son séjour à Paris, comme son bref passage auparavant à Londres, ne lui a laissé aucune impression positive. En niant toute qualité morale à la culture occidentale, il s’en détourne sévèrement et dénonce les grandes puissances qui expérimentent l’arme nucléaire et bactériologique. Dans son poème « Al-gurad wa al-ard » (Des rats et la terre),. il débute en se moquant des laboratoires gardés par l’armée :

Le rat soigné comme un enfant

Le rat – une nouvelle puissance,

Le rat – gardé par l’armée

En dehors des frontières.

Sur « la ville contaminée » tonne les explosions,

le feux absorbe le plomb, l’acier

les crassiers de fer…

les nuages enveloppent le soleil d’un suaire,

La ville contaminée se couvre de brouillard.

Ni l’aube, ni le jour ne se lèvent,

Il n’y a plus ni lune, ni étoiles,

Seulement la haine et l’empoisonnement

Sur les champs d’extermination.

Le monde est dévoré par le tumulte,

L’air de la planète empoisonné par les poussières

De l’explosion et des frappes

Dans la nuit, dans la lumière du jour,

Au-dessus de la tristesse des océans et des déserts,

Dans les profondeurs des grottes souterraines

Dans les strophes suivantes il parle de nouvelles armes – le rat infecté par les bactéries, qui attaque tout ce qui vit, qui porte une nouvelle sorte de la mort sur notre «planète triste et effrayée ». C’est la défaite totale contre la maternité, les sourires d’enfants, les palmiers qui offrent leurs fruits dans les oasis de Garidu, malgré les acquits culturels de l’humanité. Tout cela doit disparaître à cause des « marchands de guerres, malheureux ennemis de la vie ». L’œuvre se finit sur une question dramatique :

Pour qui doit mourir mon père et mes petits frères ?

Les palmiers chargés, couronnés par les fruits,

Les épis dans les champs,

Les moissons de générations de travailleurs ?

Et ma petite fille

Qui attend à la porte mon retour ?

Oh ! La malédiction des générations ! L’époque de la destruction !

Dans toute ses œuvres, al-Midani penche naturellement vers le peuple duquel il est issu. Il écrit en utilisant un langage simple et direct. Ses poèmes manquent complètement de métaphores et de comparaisons, il évite aussi les énigmes et les pensées confuses. Sa symbolique est simple, bien compréhensive pour chaque homme ordinaire – les palmiers couverts de fruits, l’enfant qui sourit, la rose blanche – ce sont les symboles de la justice, de la paix et du bonheur ; corsaires, agent, loups, brume, rats, chauves-souris, mouches symbolisent les colonisateurs, les pays d’Europe, l’extermination, le vide moral et la dépravation. Ces symboles se répètent dans plusieurs œuvres. Les mots qui ne lui semblent pas suffisamment clairs, l’auteur les explique dans des annotations. Ainsi, dans son premier recueil « Qurt ummi » (La boucle d’oreille de ma mère), il explique même l’idée maîtresse de chaque vers. Il aspire à être compris par tout le monde.

Sur le plan de la forme, toutes ses vers sont écrits d’une façon moderne. Selon al-Gabiri, al-Midani ibn Salih crée « les plus long vers libres de tous les poètes contemporains arabes ». C’est particulièrement vrai dans les poèmes de son deuxième recueil « Min mudakkarat al-hammas ». La composition « spirale » est sa forme préférée, chaque strophes développant à son tour l’idée du poète, en ajoutant des nouveaux horizons. A coté de ces œuvres d’une forme irréprochable, quelques poèmes s’avèrent faibles et composés d’une façon nonchalante.

La personnalité du poète

Dans le groupe des poètes de sa génération, al-Midani ibn Salih est le seul représentant de la tradition arabo-bédouine de Tunisie, laquelle eut une influence décisive sur sa personnalité. Par rapport aux valeurs du code de l’honneur ancestral que sont le courage, la bravoure, la persévérance dans la lutte et dans les difficultés, la solidarité fraternelle, le poète se présente en total accord avec ces vertus, il les intériorise dans son attitude. Il rejette cependant les pratiques traditionnelles religieuses, qui ne sont pas liée avec l’islam officiel, mais seulement avec les croyances du peuple (culte du marabout, pratiques des derviches). La conscience musulmane d’al-Midani ibn Salih se combine avec l’idée de socialisme, et dans plusieurs de ses poèmes Allah paraît comme le Dieu de la Justice, le Dieu du peuple travailleur. Le poète restreint le peuple travailleur seulement aux fellah, aux ouvriers et aux savant. Dans ce monde, le travail est la valeur suprême pour le poète. Il s’agit d’une nouvelle valeur qu’il a introduite.

Ses idées sont enracinées profondément dans la tradition familière aux poètes islamiques qui tentent de tirer une nouvelle idée (dans ce cas le socialisme) à partir des traditions familières et des principes de l’islam de fraternité, de justice et d’amour.

Al-Midani prend une attitude de défenseur de la tradition culturelle et de la langue arabe. Il en tire sa fierté. Il ne vante pas seulement l’ancienne culture arabe , mais aussi celles des civilisations antiques (Carthage, Babylone, Ma an au Yémen). Fier de sa culture et de ses origines ancestrales, il affirme son mépris pour les civilisations nouvelles de l’Occident (Europe et Etats Unis). L’attitude de al-Midani ibn Salih envers la culture étrangère dépasse la variante observée dans l’œuvre de al-Basir ibn salam – « l’assimilation de valeurs étrangères avec la conscience de sa différence, comme si on mettait une barrière entre soi-même et la culture étrangère ». Al-Midani ibn Salih présente cependant le particularité suivante : « rejet conscient de la tradition étrangère et de ses valeurs, regard aigu, critique, étroit sur la culture européenne ». Le poète, lors de son court séjour ( une année) en France a retenu avant tout l’immoralité de certains milieux. Elevé dans une tradition de moralité musulmane sévère, il généralise ce constat et il s’indigne donc de l’immoralité de l’Occident.

Dans la modernité de la civilisation occidentale, al-Midani ne voit (avec les autres poètes de sa génération – Nur ad-Din Sammud et Gafar Magid) que le développement des techniques d’armement ou l’invention de nouvelles armes qui sont une menace cruelle de totale extermination. Sur cette question ses positions sont très virulentes comme dans les poèmes Dubaba , al-Gurad….

Al-Midani ibn Salih a une forte conscience de classe, il se solidarise avec celle des ouvriers et des paysans qui se hisse fièrement hors de la misère par la révolte : « même si j’avais faim, le fils d’un affamé… je me suis révolté… ». La lutte des classes est d’abord associée à la période coloniale, puis avec les injustices sociales de ses concitoyens : « quand fellah et l’ouvrier se libérons des fers de la noblesse… ».

C’est un poète « engagé » dans les problèmes sociaux et nationaux, mais cet engagement n’est pas son but personnel. Il s’agit de son cheminement personnel et est profondément enraciné dans sa personnalité . Al-Midani ibn Salih ne cherche pas de compromis, malgré une période de doute dans sa foi en la justice sociale dans cette Tunisie libérée. Il reprend la lutte pour défendre ses idéaux : le socialisme, qu’il associe avec la justice pour le peuple laborieux, la sincérité et l’honnêteté, en tant qu’opposé au mensonge, l’unité arabe basée sur la fraternité et la renaissance de l’« idée de la révolution arabe, libre et moderne ».

Toutes ses idées sont issues chez al-Midani de la tradition arabe et la tradition islamique, qu’il associe d’une façon syncrétique avec l’idée de justice sociale. Bien que le critique moderne Mohammed Salih al-Gabiri le classe parmi les poètes « réalistes-socialistes », al-Midani n’utilise pas le terme « socialisme » (al-istirakiyya) mais le remplace par le notion de « justice » (adal). Ainsi le poète relie l’idée de l’unité arabe avec celle du pays de la justice sociale (le dernier fragment de l’œuvre « Supplication »).

Al-Midani ibn Salih représente pour sa génération de poètes, le type-même de « poète héraut », notion très répandue parmi les poètes plus anciens. Il n’appelle cependant pas à la lutte pour l’indépendance, mais à la lutte pour la justice sociale, pour la défense de la langue et de la culture arabe, pour la concrétisation de l’idée d’une grande nation arabe unie. Dans le même temps, il s’oppose à l’escalade à l’armement dans grandes nations au nom d’un idéal humanitaire commun.

L’attitude du poète est universelle et dominée par ses engagements devant la société. Ses émotions personnelles ne sont pas présentes dans ses œuvres.

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