Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :32–Les poèmes de Mohammed Derkaoui : 32-5:Vers de circonstance

Mohammed Derkaoui

 

Mon maître 

M’appellera un jour peut-être

Dans sa demeure féérique

Me demandera d’être direct

Je devrais lui raconter ses conquêtes!

 

Le pauvre!

Aujourd’hui, il est amnésique

Mais ce qui l’entoure le panique

Il passe son temps au lit

Alors que les autres courent et rient

Ils n’ont rien à mettre sur le dos

Mais quand ils s’enlacent

Ils ont chaud

Lui, il a froid

Même fourré dans ses draps

Il veut boire et danser

Mais la musique l’étourdit

 

Mon maître sait qu’il n’est plus le même

Toutes ses collections murales

Armes et dessous de femmes

Sentent l’homme fanatique

 

Mon maître est maintenant hystérique

 Je ne sais plus comment lui annoncer

Qu’il n’est qu’une simple marionnette

Dont on a fait une vedette

Mais je ne suis plus un serviteur

Je suis un oiseau qu’on croit chanteur

 

Mon maître sait que je vais partir

Il n’ose pas en convenir

Il préfère obéir au doute

Avant que ma certitude ne le déroute

 

Mais je ne suis plus un vassal

Je suis l’écueil d’aval

Je chante mes vers de circonstance

J’ajuste ma lyre à leurs cadences

 

 

 

Dans ce poème narrativisé  , l’auteur  aborde la question ancienne mais toujours actuelle  de la relation entre l’intellectuel créateur et le détenteur de l’autorité politique (  khalifa , sultan , roi , prince , président … )  dans la société arabo-musulmane où le premier  a été  , en tout temps , réduit au rôle dégradant de serviteur  soumis aux caprices vaniteux des maîtres  , célébrant  sans retenue leurs louanges et fermant les yeux lâchement sur leurs défauts . Pour mettre en évidence cette dualité :  maître dominant/ homme de lettres ou artiste dominé , l’auteur du poème  relate , à titre allégorique ,  l’histoire d’un poète qui a été longtemps  assujetti  à l’autorité  fantaisiste de son maître   dont il  n’use  que pour satisfaire ses penchants    vers les plaisirs terrestres    (  Il passe son temps au lit –  Il veut boire et danser –  collections murales  ) et même ses désirs pervers (collection des dessous de femmes ) sans se soucier de  la situation dégradée dans laquelle  se débat  la majorité de son  peuple qui patauge dans la misère noire et le dénuement total (Ils n’ont rien à mettre sur le dos ) .Soudain , un jour  , le poète se réveille et décide de briser ses chaînes afin de  jouir de sa vocation naturelle de chantre libre  de laquelle  la société  oppressante  l’a injustement détourné  (mais je ne suis plus un serviteur/ je suis un oiseau qu’on croit chanteur/ je ne suis plus un vassal/ je suis l’écueil d’aval/ je chante mes vers de circonstance/ j’ajuste ma lyre à leurs cadences) . Dans le même objectif, l’auteur  saisit l’occasion pour mettre à nu  une contradiction  qui caractérise  la société oppressante : les riches sont malheureux malgré leur opulence  tandis que les démunis sont heureux en dépit de leur pauvreté (ce qui l’entoure le panique / il passe son temps au lit/ alors que les autres courent et rient/ ils n’ont rien à mettre sur le dos / mais quand ils s’enlacent/ ils ont chaud/ lui, il a froid). Mais ce réveil s’est-il produit tout seul ou à la suite de la vague de contestation qui ébranle depuis plus de deux ans une grande partie du monde arabe ?

Côté style , le poète   , et compte tenue de l’orientation narrative choisie pour ce texte ,  a porté ses efforts surtout sur la mise en évidence des  oppositions dont nous venons de parler ,  préférant , pour la même raison , utiliser une langue simple , presque dénudée d’images recherchées  et d’éléments rythmiques ou sonores  particuliers à part les rimes ordinaires.

 

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*