La chimère du rire perdu( 2ème partie) par : Rémy Ducassé –Bastia – France

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Rémy Ducassé

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Lorsqu’il me raconta au tout début de notre relation cet épisode de sa vie, François Secrétejar en était tout ému, sa voix en tremblait encore d’émotion.

–  « Pourtant le temps et l’expérience ont passé, me disait-il : « juste un début, à peine un commencement de sagesse », ayant blanchi mes tempes et semé quelques rides autour de mes yeux. Je devrais être détaché, presqu’indifférent, avec tout ce que depuis ces moments là, j’ai vécu, entendu, recueilli, ressenti et restitué ».

Un soir, très tard, un jeune homme, très jeune, à son tour sonna à la porte de François. Celui-ci, comme à son accoutumée, vint ouvrir, sourire aux lèvres et main ouverte, franche et tendue.
Dans l’encadrement de la porte, se présenta un étranger au village, grand, d’allure forte, très beau, mais le regard des gens qui se sentent comme traqués, les gestes fébriles, se dandinant d’un pied sur l’autre, ce qui ne faisait qu’augmenter le trouble émanant de sa personne. En ces termes, il s’adressa à François le Chimériste :

–    « Je viens de très loin, j’ai pris un long train, très rapide, mais qui s’arrêtait dans toutes les gares, ce qui ne servait donc à rien qu’il le soit, je viens de très loin, le train à roulé longtemps, très longtemps, je ne sais pas combien de temps, je suis fatigué, si fatigué. Je m’appelle heu !! Heu, je ne sais plus comment je m’appelle !!! Peut-être que je m’appelle Erdé, ou peut-être autrement. Je ne sais plus. Je suis parti depuis si longtemps. Les trains succédaient aux trains. D’où je suis parti, il faisait grand froid. Je viens de si loin, vous savez. Les trains se succédaient les uns aux autres, et……j’avais si peur de ne pas parvenir à vous trouver. Je suis clown-poète et j’ai perdu mon rire, ou peut-être me l’a-t-on volé, ou peut-être seulement emprunté.

Je ne saurais accuser quelqu’un de ce vol sans avoir de preuves. Mais comprenez-moi, que puis-je devenir si je ne retrouve pas, mon rire, sans lui je ne suis plus rien, on n’a jamais vu un rire seul sans clown-poète autour.

Pas plus qu’un clown-poète sans rire, cela n’a plus de rime, plus de vie, plus de sens, que des interdits de spectacles.

Interdits d’enfants chantant, hurlant mon nom, riants à leurs tours. Plus que des interdits de battements de mains au-dessus des têtes privées des rires, interdits de battements au-dessous des pieds frappant les gradins de bois prêts à s’écrouler. Vous voyez monsieur il ne s’agit pas que de mon rire, mais sans lui, rien ne peut exister, c’est ma vie, c’est mon métier. Et je ne fais pas rire que les enfants, il existe aussi beaucoup d’adultes qui veulent rester des enfants, et puis, il y a aussi tous ceux qui redeviennent des enfants, l’espace d’une soirée, rien qu’en me voyant.

Cela leur rappelle, leur propre enfance et voilà, comme par magie, les voilà redevenus tous des enfants : hommes, femmes, grands-parents, tantes, oncles, c’est comme une contagion. L’épidémie d’une bonne maladie.
Mais sans mon rire, tout cela n’a plus de sens. Je ne sers plus à rien, c’est tout ce que je sais faire.

Mon dieu que vais-je devenir ?

Plus le discours du beau jeune homme progressait, plus sa fébrilité et son angoisse augmentaient. A son terme, lorsqu’il eut épuisé tout les mots qui lui étaient venus, parfois de façon si répétitive, il était totalement épuisé et au bord des larmes ».

François Sécretejar en fût bouleversé et prenant le beau jeune homme dans ses bras, il accomplissait un tel geste pour la première fois, mais l’état même du clown-poète le justifiant, il lui dit :
–    « La perte de son rire pour un clown peut-être irréversible, il était temps que vous arriviez pour me rencontrer. Vous avez eu raison de vous accrocher à votre idée de me rencontrer. Je crois que je peux vous aider. Tout du moins je vais m’y employer. Je sens bien  votre fébrilité, votre inquiétude. Mais ce n’est ni l’une, ni l’autre qui vous ont fait perdre votre rire. Elles ce ne sont que les symptômes de la disparition de votre rire.
Alors calmez-vous, respirez franchement, puis lentement, en alternant les deux manières. Vous devez reprendre votre calme. Vous êtes d’un naturel angoissé. Mais non ne vous en excusez pas, vous êtes un artiste et tous les artistes, surtout ceux qui nous font rire sont angoissés comme vous.

Un soir, dernièrement vous étiez en représentation devant un parterre composé de beaucoup, beaucoup d’enfants et de quelques adultes qui étaient restés mêlés à d’autres l’étant redevenus, enfin votre public classique. Tout se passait bien, vos gags et vos tours de magies déclenchaient les rires, vous les sentiez monter du fond de la salle. Il n’en manquait pas un. N’étais-ce pas ainsi que cela se déroulait ?

Mais avant même, que le jeune et beau clown-poète ne réponde, François Sécretejar (le porteur de secret) avait repris la parole : a un court moment vous avez fait une pose respiratoire tout à fait naturelle, et votre regard a croisé le regard d’une petite fille, et celle-ci, vous dévisageait, mais elle ne riait pas.

Vous ne comprenez sans doute pas où je veux en venir. Ecoutez-moi, mon jeune et beau clown-poète : les rires, tous les rires que vous voyez et entendez, sur tous les visages que vous avez en face de vous durant une de vos représentations, sont autant de milliers de miroirs, qui vous renvoient une image unique d’Amour.

Une image unique, pas une image fractionnée. Ces rires sont le reflet multiplié par dix, par vingt, par cent de votre propre rire. Et cet Amour c’est celui dont nous vivons tous quotidiennement. L’Amour de soi-même se lit sur les visages heureux de ceux que l’on rend heureux. Cet échange entre deux visages, comme un le rond né du jet d’une pierre dans l’eau paisible d’un lac, se multiplie, presqu’à l’infini. Vous ne pouvez faire rire que si vous voyez l’Amour sur les visages qui vous observent. Ces figures rondes d’enfants rient de l’Amour qu’ils voient sur votre visage.

L’échange marche, si les rires s’échangent. Mais ce soir là, avant que n’entrepreniez ce long voyage vers moi, croyant que vous aviez perdu votre rire, c’était une jolie petite fille qui avait perdu son rire.
Vous n’avez vu qu’elle.

Vous avez pensé au précepte : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ».
En un sens cela aurait pu être ainsi, mais je vous rassure, il n’est pas question de ce cas de figure. Vous étiez dans une phase de reprise de vos forces, peut-être un peu fatigué, en fin de représentation et elle pouvait simplement, vu son âge, avoir le sommeil qui commençait à la gagner, l’empêchant de profiter au maximum de vôtre talent.

Soyez rassuré, vous allez rentrer, lentement, tranquillement, en prenant le temps de vous reposer, prenez quelques jours de vacances en famille, et méditez sur ce que je viens d’essayer de vous montrer. Le rire, les larmes, la joie, la peine, parfois peuvent être des éléments déterminants de nos vies, mais qui échappent à notre contrôle influencés par d’autres éléments extérieurs ou non, eux-aussi à nos vies.

Regardez-vous en arrivant, dans le regard de votre compagne, dans celui de vos enfants et ce n’est que là que vous verrez si vous avez perdu votre rire. Et croyez-moi, je suis sûr, que ce n’est pas le cas, puisque simplement face à moi vous souriez, c’est qu’en moi, vous avez lu le rire que j’imagine vous provoqueriez si j’étais un de vos spectateurs. Moi, je suis de ceux qui sont restés des enfants, comme vous d’ailleurs ».

Ainsi, notre beau jeune clown-poète suivit-il les conseils toujours aussi plein de sagesse de notre « Chimériste ». Celui-ci l’hébergea pour la nuit. D’abord ils partagèrent un délicieux repas.

Au petit matin le voyageur reprit sa route, il fit exactement comme François lui avait dit. Il prit quelques jours de vacances. Le premier soir, de la première représentation suivant cette étrange histoire, il constata rassuré que pas un rire ne manquait à l’appel dans les gradins.

Cela le rassura sur son propre rire et sur son avenir, pourtant parfois si difficile de clown-poète.

Dès le lendemain, il écrivit à François Sécretejar, pour le remercier, lui dire que tout était simple, que souvent c’était nous qui compliquions nos vies et celles de tout ceux que nous voulons aimer dans nos désirs de perfections Mais le détail de cette missive, François Sécretejar, ne me l’a point révélé.
Me disant : « Toi aussi tu dois apprendre à chercher ta Chimère ».

Épilogue…

Au bout de quelques années, si intensément vécues, qu’il ne les avait pas vu s’écouler, buvant chaque seconde qui passait et s’étant tellement nourri dans cette fréquentation des hommes et des femmes, François Sécretejar le Chimériste décida après mûres et mûres réflexions, ayant selon lui, fini son apprentissage instruction auprès des humains, d’aller parfaire celui-ci auprès des animaux. Il décida, non sans s’y être préparé auprès d’un maître berger (justement un de ses anciens « patients ») auprès duquel il passa de longs mois après avoir fermé son minuscule cabinet, oû reste encore sa belle plaque et son :

« Apprenez sans peur…

Chère Manon, cher Téo,
Chers enfants de la terre entière,

Comme l’on dit toujours sur ma terre lointaine, là-bas où l’accent va en chantant, en attendant peut-être une autre « historiette » pour l’heure, je vous dis :

« Clic clac moùn counte es aquabat, boun soun ».

© Rémy Ducassé dit Erdé, Bastia le Lundi 7 Mars 2016.

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