Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi : 26 – 21: Lettre à elle

Gaëtan Parisi

 

Je reprends tout.

Je ne veux rien laisser.

Je reprends nos émois, nos peurs, nos joies, nos tristesses et ivresses, ainsi que les lieux et moments mélodieux qui les accompagnent.

Non, je ne te laisse pas les photos silencieuses gravées sur nos cœurs ni  les souvenirs qu’on avait reconstruits avec des rires, du plaisir et liés avec le fil de nos délires.

Rends-moi toute la zone blanche de la mémoire, les limbes flous, l’innocence encore présente de nos actes fous.

Je reprends tout.

Je ne veux rien laisser.

Oublie les jeux de nos amours de papillon, les oraisons de tourterelles sur nos horizons et les cœurs de cerisier que nous avons dévorés avec des rires et des baisers.

Non, je ne te laisse pas les partitions de nos ébats, les jardins de fleurs, les cris, les chants de troubadour ornant la cour remplie d’amour  où on flânait quarante huit heures par jour.

Je pleure toute cette joie au cœur, toutes les  douceurs de ces heures quand  le gel semble fleur et la neige verdure étendue comme un ciel azur sur le temps où tes caresses étaient duvets de plume sur des parfums posthumes.

Je reprends tout.

Je ne veux rien laisser.

J’irai jusqu’aux remparts des cités marines, jusqu’aux citadelles de l’hérésie; pour retrouver les temps de noces et les temps précoces des aubes nouvelles et des ombres meurtries.

Pour les corriger,

Les effacer,

Ne rien laisser.

Il le faut.

C’est mon renouveau.

Je dois  reconquérir l’anneau de l’évidence d’or.

C’est mon sort.

 

L’oubli est  sans doute l’un des sous-thèmes  les plus anciens de l’Amour .Le penseur arabe andalou Ibn Hazm ( mort en 1064  après J.C.) ne lui a-t-il pas consacré tout un chapitre dans son fameux traité Le Collier de la colombe traduit en français par Léon Bercher(1889-1955)? Mais  tout comme les autres sous-thèmes qui se rattachent à ce sentiment humain universel, il ne perd jamais de son attrait et de son actualité .Que dit-on  alors lorsqu’un poète , comme dans notre cas ci-présent , lui donne une certaine spécificité , en  le transférant  du champ du “Vouloir“ à celui du “Pouvoir“ (je reprends tout – je ne te laisse pas …- J’irai jusqu’aux… pour les corriger – les effacer –  ne rien laisser ..) .Ce qui est  , en soi,  surprenant et peu commun  , étant donné que l’oubli  demeure toujours , pour un amoureux déçu , un but difficile à atteindre  .Cependant , pour un lecteur qui connait de près l’expérience poétique de cet auteur,   qui tourne , presque dans sa totalité , autour de la rupture amoureuse, il est fort possible que ce discours plein  d’assurance et de défi puisse cacher au niveau de ses structures profondes une couche  de non-dit qui va dans la direction opposée  à celle de ce qu’il dit.

Si cela est vrai, nous nous trouvons alors devant un discours  à deux étages  adressé , apparemment ,  à une  ex-bien-aimée  et dans lequel le locuteur exhibe une très grande  force de caractère,  alors qu’il ne s’agit , en réalité , que d’un long monologue  pathétique dont le seul but est de se convaincre  d’avoir  réussi à  surmonter le choc dur qu’elle lui a occasionné par sa rupture.

Sur le plan stylistique , le poète  nous a gratifié d’une texture rythmique interne bien soutenue  de bout en bout , par l’usage massif de l’anaphore ( répétition excessive ici  du pronom personnel  ”  Je ” au début de plusieurs vers ) ,l’allitération c.à.d. la répétition d’une consonne ou plus   (les chants de troubadour ornant la cour remplie d’amour  où on flânait quarante huit heures par jour ) et l’asyndète ( la suppression des conjonctions ) .Un autre poème réussi  qui s’ajoute à une série bien rose !

 

 

 

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