Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 25–Les poèmes de Philippe Lemoine: 25 – 9 : Mécréant

Philippe Lemoine

 

Misérable nombril, béotien paltoquet,
J’exalte de l’Ego les orgies ordurières,
J’abuse, vaniteux, de l’absurde en paquet,
Quel est donc ce poète aux mauvaises manières…

Ejaculant mon encre en long et en travers,
Moi ! L’amant impuissant, d’une vile arrogance,
Lubrique comme un paon, je me pâme pervers,
De mon œuvre pantois, j’encense l’ignorance…

J’écris comme je cours, sans grâce ni beauté,
Macule le papier d’altières diaprures,
Je me perds en chemin prêchant l’opacité,
Méprisant, me complais d’immondes tavelures…

Je conjugue l’obscur, j’honnis le sentiment,
Inapte procureur, je condamne la rime,
Sans répit discourtois, me voici mécréant,
Apôtre du non sens, adepte de la frime…

Je projette des mots sans suite ni raison,
Ne sachant être clair, l’orgueil pour nourriture,
Je me glose faraud de ma piètre oraison,
D’une prose fétide offense l’écriture…

Je gribouille le verbe à quoi bon m’appliquer,
Une montre pour craie, assis à mon pupitre,
Pitoyable est mon art à quoi bon s’en moquer,
Sans repentir, menteur, je ne fais que le pitre…

Par moi-même aveuglé, je me clame maudit,
Juché sur le pinacle, oubliant modestie,
Je dresse des gibets, intégriste inédit,
Sans procès ni verdict, j’étreins la poésie…

Moi ! Prince du sordide, innommable écrivain,
Je souille la beauté de cette fleur sensible,
Sous ma plume, oyez-la ! S’époumoner en vain
Et…, je ris de vous voir déchiffrer l’impossible…

Pour ne point me blâmer, l’on me dit insolent,
Me voici souverain, m’admirant sans vergogne,
A quoi bon discourir, je n’ai pas de talent,
Laissez-moi , je vous prie, à ma maigre besogne.

 

Cette révolte enflammée du poète contre sa condition dans la société de consommation d’aujourd’hui où la littérature sublime et de haute facture est de plus en plus délaissée par le public au profit des écrits de pacotille à but commercial est une réaction indignée à cette attitude dégradante qui en dit long sur la dépréciation des hautes valeurs artistiques en général depuis l’avènement du nouvel ordre mondial à la fin des années 80. La pertinence du sujet abordé, capable à lui seul de polariser l’attention du lecteur est doublée de l’adoption antiphrastique par le poète du discours de ses détracteurs. Enfin, le grand étalage de vastes connaissances lexicales suggère l’attachement inébranlable du poète à ce noble art en péril: la Poésie.

 

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