Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :12 – Les poèmes de Fatima Maaouia :12 -14:Sensible !

Fatima Maaouia

 

Ma foi, j’vais pas cracher 

Dans la soupe et sur les fruits

Aujourd’hui 

Alors qu’on a du pain et de la santé 

Dans les feuilles à chou…  pas n’importe où !

Et sur la planche… voyez-vous, 

De la paix étendue partout 

Pour faire beau sur les claies 

Bien à l’abri de ma coquille
L’ombre domestiquée
Que j’ingurgite
En sachets dans mon gîte
Me rassure quant à la zizanie qui murmure
Sans défaire mes murs
Tout de même !
Les statistiques exagèrent !
Ça alors !
Dire de plus en plus fort que ça ne va pas dehors !
Pff! De plus en plus sur terre …
Quoi encore ?
Y a de moins en moins de frères  (c’est même le contraire…) et… plus de fer
Fantastique !
C’ n’est pas évident…
D’être vivant !
D’avoir même des chaussures !
Ça c’est fort Plus de pain ?
Plus de port ? Plus de musique ?

Sacrées statistiques !
Et soudain est venu me brûler le monde
Tout de même !
Quelle bombe !
Encore ?
Sur toutes les plaines ?
Briller par effraction ?
La faute à leurs gènes aux femmes
Battues ?
Encore vendues ?
Dans les rues ?
Sciées en deux …
Au nom de Dieu ?
Risible !
C’est risible !
Imprévisible !
Pas possible !
Réversible !
Suis SENSIBLE

Le ciel est orphelin…
Aucune femme ne lui a donné le sein !

L’ambiance qui se dégage de ce poème est essentiellement émotionnelle bien qu’elle découle d’une sérieuse préoccupation intellectuelle. Et elle consiste en un état lancinant d’inquiétude (C’n’est pas évident…d’être vivant !D’avoir même des chaussures ! ça c’est fort ! Plus de pain ? Plus de port ? ) et de dépaysement profond teinté de déception (alors qu’on a du pain et de la santé dans les feuilles à chou…/ le ciel est orphelin… aucune femme ne lui a donné le sein) et de dégoût (j’vais pas cracher dans la soupe et sur les fruits) ,ce qui s’est répercuté sensiblement sur la langue utilisée où se sont multipliées les interrogations  (11) et  les exclamations ( 14) dont la plupart sont des phrases averbales ou tronquées (Quoi encore ?  – Fantastique ! Au nom de Dieu ? Risible ! …).Cet état d’âme n’est pas, en réalité,  sans lien avec la mauvaise tournure qu’a prise la révolution du 17 décembre 2010 dans laquelle la poétesse avait mis tant d’espoir mais qui s’est terminée, que ce soit en Tunisie ou dans les pays de ce qu’on a appelé  « le printemps arabe », en queue de poisson .En effet, après avoir accueilli cet évènement prometteur par une série de poèmes exaltés ,l’auteure  s’était lancée, quelques mois après , dans une critique acerbe contre les nouveaux gouvernants ,avant de  battre en retraite et entrer , comme elle le  dit, dans sa coquille(bien à l’abri de ma coquille l’ombre domestiquée que j’ingurgite en sachets dans mon gîte  me rassure quant à la zizanie qui murmure sans défaire mes murs ).Cependant , malgré ce cinglant désenchantement , la poétesse a gardé toute intacte son ironie incisive par le biais de laquelle elle s’en prend aux nouveaux problèmes qui ont émergé après la révolution (dire de plus en plus fort que ça ne va pas dehors ! Pff! De plus en plus sur terre … Quoi encore ? Y a de moins en moins de frères  (c’est même le contraire…)  et surtout la situation  nullement rassurante de la femme ( la faute à leurs gènes aux femmes  battues ? Encore vendues ? Dans les rues ? Sciées en deux …Au nom de Dieu ? ).

Un poème élégiaque émouvant de la révolution tunisienne écrit avec une sincérité évidente et dans le style singulier et inimitable que nous connaissons à l’auteure.

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