La chimère du rire perdu…(1ère partie) par : Rémy Ducassé – Bastia – France

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Rémy Ducassé

 

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Préambule…

Il était une fois dans une grosse bourgade de la moyenne montagne du Tarn verdoyant qui s’appelait Brassac.
La rivière Agoût traversait d’un pas tranquille cette charmante petite ville. L’hiver, il y faisait assez froid, mais l’été la température n’y était jamais caniculaire. Sans doute la proximité des forêts de pins et de sapins en était en partie responsable. Trois ou quatre vieux ponts de pierre le « dos courbé noueux, mais solide » permettaient aux villageois de passer d’une rive à l’autre de l’Agoût.
Tous les récits que vous allez découvrir sont ceux que François Secrétejar, m’a confiés comme autant de trésors.
Devenu mon meilleur ami, François Secrétejar clerc de notaire désabusé, poète conteur « Chimériste » comblé, et enfin berger, voulant rapprocher par sa sagesse, mais sans orgueil, ni prétention, le ciel et la terre, me les légua au terme heureux de sa longue vie.

François habitait un deux-pièces tout en haut d’une de ces maisons de village. De ces maisons plus hautes que larges où l’escalier est une pièce à lui tout seul,une sorte de pièce commune à tous les locataires, organe respiratoire et cœur en même temps de cet empilement d’étages ou l’on parlait, mangeait, dormait, et même se disputait. Dans l’escalier, on percevait les bruits filtrant à travers les portes des logements et on respirait aussi se succédant dans un étrange mélange, les odeurs de frichti et d’encaustique.
Pour « les petites gens » la propreté est une grande vertu.

Chez mon ami François, une pièce minuscule aménagée en chambre donnait sur l’arrière de la maison. La vue portait très loin. Par-dessus les toits on apercevait les premiers contreforts de la montagne, tirant ce nom de Montagne Noire des forêts de pins sombres et serrés qui la couvraient. La pièce de vie, celle où à chacune de mes visites, François me recevait, était plus vaste. Elle servait tout à la fois de cuisine, salle de séjour, salon…
Une douce atmosphère émanait de cet endroit.

Quelques livres, disques, et films enregistrés garnissaient des étagères, sommaire bibliothèque. Une fenêtre plus large que celle de la chambre donnait sur la place St Georges, une des nombreuses places du village.
A l’ombre de très vieux platanes et de quelques tilleuls odorants, aux heures chaudes de l’été, venaient là quelques hommes coiffés de bérets noirs (avec le pli sur le devant à la mode occitane) ou de chapeaux de pailles blondes cerclés d’un large ruban noir. Ils jouaient aux boules, ou devisaient tranquillement assis sur de vieux bancs de bois à la peinture délavée, parfois écaillée. Quelques rares femmes venaient les observer, pour ne pas dire les surveiller l’air de rien, écoutant les conversations parfois grivoises de leurs maris. Dans ces cas là, gardiennes de l’éducation ces femmes, rudes à la tâche, souvent vêtues de noir, décochaient à leurs hommes des regards furibonds, remettant pour quelques instants de l’ordre dans les propos.

A chacun de nos rendez-vous, François m’attendait la pipe au bec assis dans un immense fauteuil à oreillettes.
–    « Oui, « Chimériste », moi aussi j’aurai une belle plaque dorée sur ma porte, mais au lieu de leur porter la jalousie, l’envie, le malheur, et la désunion, j’apporterai à mes clients, du rêve, de l’espérance tellement plus belle que l’espoir, le goût des choses simples, belles, gratuites. Il y a tellement de gens autour de moi, aujourd’hui qui ont besoin de rêves et de Chimères. Voilà, c’était ça mon idée.
L’espérance est plus belle que l’espoir, parce qu’elle est féminine.
Les femmes sont plus aptes que les hommes à donner les rêves, sans doute parce qu’elles portent en elles la vie des enfants. Les enfants sont tout au long de toutes les civilisations, l’avenir de l’humanité ».
A cette déclaration, je fus sous le charme, cet homme là me plaisait.
François Secrétejar donna son congé à son patron notaire, sans plus lui donner de raisons, car il se douta que celui-ci ne le comprendrait pas.
Ayant quelques petites économies, il se rendit acquéreur d’un tout petit local. Un « Chimériste » n’a besoin que de peu de place. Une table, trois chaises, un porte-manteau, vinrent meubler l’espace. C’est son esprit, son écoute, sa parole qui font son fond de commerce.
Sur sa plaque dorée en lettres rondes François fit graver son nom, son prénom, la mention sur « rendez-vous » et le numéro de téléphone. Il y fit graver aussi l’invitation suivante, qu’un poète besogneux et de peu de scrupules lui vola peu de temps après
« Apprenez sans peur…
Apprenez sans peur, en douceur,
A vous asseoir au bord de votre cœur
A plonger avec délices et bonheur
Dans les profondeurs insondables
Captivantes, troublantes
Parfois même magiques
De l’imaginaire.
Si la vie ne vous sourit pas
Rien, ni personne ne vous empêche d’y mettre du rêve ou une chimère ».

L’invitation, ainsi que le reste de la gravure eurent raison des derniers sous de mon ami. Mais quelle belle plaque ! Le mur à droite de la porte était tout juste assez grand pour la supporter. Dans le village, peu d’habitants savaient ce que pouvait être une « Chimère ». Pourtant, sentant d’instinct qu’il y avait du bonheur là-dessous, très vite François Secrétejar devint François « le Chimériste » et connut un certain succès.
Ces rencontres là sont, j’en suis intimement convaincu les plus riches et les plus belles que nous puissions faire tout au long d’une existence,
François Secrétejar (l’homme qui porte les secrets trop lourds des autres – c’est cela la signification étymologique de son nom de famille), honnête, fort consciencieux, s’ennuyait tellement au fond de l’étude de son maître : petit, tout petit notaire à Brassac, dans la montagne noire. Un jour de grande tristesse, il décida d’abandonner cet emploi. Il n’y côtoyait que les petits malheurs, mesquineries, que se faisaient méchanceté déployée des tas d’héritiers. Manifestant plus d’avidité pour les biens accumulés dans la souffrance que de respect dû à leurs défunts.
Ils étaient censés les remercier d’avoir réussi à leur laisser quelque argent, quelques arpents de terre, malgré leur pauvreté, malgré les temps difficiles et autres coups du sort, ils n’avaient à l’esprit que de savoir quel serait celui d’entre eux qui raflerait la totalité de la mise.
Devant ce spectacle de haines, de rancœurs souvent si anciennes que les protagonistes en ignoraient même les véritables origines, François Secrétejar était en train de périr à petit feu. Perdant le goût du « beau », le plaisir des rires et des chants, le sens de l’amitié.
Un jour un peu plus gris que les précédents, le regard lointain perdu au-dessus des piles de dossiers (se disant, à la hauteur de celles-ci, qu’il ne pouvait pas y avoir sur cette terre ingrate que de mauvaises gens) François le petit clerc de notaire se dit un jour, enfin libéré de l’immense sentiment d’inutilité de sa vie :

–    «Je vais tout quitter, abandonner ces gens sans scrupule, sans conscience, je vais me faire « Chimériste ».

 

 

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