Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi : 26 – 22 : Et moi je serai ton confident

Gaëtan Parisi

 

 

Après toi

Mes larmes ont changé de couleur.

C’est le sang de mon cœur

Qui coule sur mes joues.

Tu entends?

Le cri de ces rivières,

Elles étouffent sous le poids de mes paupières.

Mes paupières en arc brisé

Ont fermé à jamais mon regard ruiné

Ont vidé mon âme de son essence

Sans délicatesse.

Sang qui se déverse

Sous mes pieds ,le sol devient un fleuve de détresse,

Un lieu sans vie,

Qui détruit,

Désunit

La terre et les racines du saule

Ta main sur mon épaule.

 

Cette acrimonie

S’épanche en symphonie

Non ce n’est pas une eau bénie

Mais une mer en furie

Une mer charriant l’espoir

Vouée au désespoir

Qui est la proie sans remord

Du vent impétueux de la mort

Alors elle se ramasse en collines de brume

Pour fustiger les rivages maudits de ses fouets d’écume

Elle se débat d’une rage violente

Comme le chagrin qui me hante

 

Hier encore

Lorsque tu m’entendais

Soupirer et me plaindre à peine

Tu pleurais

Aujourd’hui tu me fais pleurer

Et ton absence me peine

Il me reste nos souvenirs

Au parfum sans avenir

Un corps mutilé de mille crevasses

Alors que les vagues s’enlacent

Et passent sur l’encre de nos espaces

Vastes

Où nos traces s’effacent

Se dessinent

S’effacent

Se dessinent

Trépassent

Après toi

Pour toi

Une onde intrépide

Renaîtra

Se  libérera

Et dévidera

Son écheveau turpide

Pour un nouvel océan

Un océan aux perles de printemps

Enfantant une lumière retrouvée

Ta destinée

Alors se baigneront dans ces eaux

Caressant ta peau

Les étoiles des nuits sombres

La lune en son plein

Fera tisser un sarrau d’argent

Qui te couvrira comme une ombre

Et moi je serai son confident

 

Comme la plupart des écrits précédents de cet auteur qui tournent autour du  thème de la rupture amoureuse, ce nouveau poème   confirme son appartenance à la catégorie des poètes dits “à expérience”  c’est-à-dire  ceux dont l’écriture émane de préoccupations  constantes. Et l’une des  particularités de cette catégorie  est,  qu’au lieu de se chercher à l’occasion de l’écriture de chaque texte , ils vont toujours tout droit au but, étant donné  qu’ils connaissent  parfaitement la raison  qui les pousse à écrire et s’assignent,  avant même l’accomplissement de l’acte de l’écriture, des objectifs   bien précis .Cette raison est ici encore une fois claire et nette (Ton absence me peine/ Il me reste nos souvenirs/ Au parfum sans avenir).Et le  but recherché  par le poète n’est autre que d’atténuer les effets douloureux du choc qu’il  a reçu,  par l’extériorisation des blessures  que sa bien-aimée a occasionnées à son âme .D’où le caractère compensatoire de ce poème comme la plupart de ceux qui l’ont précédé. Il en est de même pour les effets du choc que lui a  causé la rupture , lesquels prennent  , comme d’habitude, l’aspect d’un ébranlement violent du système émotionnel (Après toi /Mes larmes ont changé de couleur./ C’est le sang de mon cœur/Qui coule sur mes joues – Mes paupières en arc brisé/ Ont fermé à jamais mon regard ruiné – Ont vidé mon âme de son essence/ Sans délicatesse./ Sang qui se déverse/ Sous mes pieds, le sol devient un fleuve de détresse,/Un lieu sans vie,/Qui détruit).

Mais si le scénario est le même, on a le droit de se demander quelle nouveauté apporterait  ce poème ? En réponse à cette question, disons que comme chez tous les poètes “à expérience” , l’innovation ne touche pas les sens à exprimer mais les modes de leur expression .Ne rencontrons-nous pas, en effet, chez Baudelaire, par exemple, à chaque détour dans le même texte, l’idée insistante et récurrente de « spleen » mais que les capacités imaginatives du poète  conçoivent sous une multitude d’images toujours renouvelées ? Dans ce poème aussi, l’auteur a  tissé toute une trame de remous successifs dont chacun en génère un autre ( les yeux font couler les larmes > les larmes cèdent la place au sang > le sang devient un fleuve > l’acrimonie s’épanche en symphonie >  la symphonie se transforme en une mer en furie > cette mer est agitée par le vent de la mort > ses vagues effacent les traces des deux ex-amoureux > une onde naîtra et donnera naissance à un océan lumineux > la lune y tissera une ambiance féerique fait >un courant psychique violent chargé d’affects négatifs de natures variées ( chocs , embûches – phobies…  ) traverse,  de bout en bout, l’âme endolorie du poètex ).Et même l’image apparemment lumineuse sur laquelle se clôture le poème  porte une connotation sombre,  du fait que “le sarrau d’argent” dans lequel la lune enveloppe l’ombre de la bien-aimée s’apparente clairement au linceul . D’autre part,  l’ombre  a toujours un sens négatif, du fait qu’elle symbolise la partie sombre de l’individu, celle  qu’il  cherche à tout prix  à dissimuler .Et  le rôle de confident que le locuteur s’est attribué, tout à la fin de son discours,  s’accorde bien avec ce sens de l’ombre parce qu’il est le seul à connaître les méandres cachés de la personnalité de son ex-amoureuse.

Côté style, enfin, c’est  justement de cet effort très soutenu de métaphorisation que le poème tire son originalité et trouve sa place parmi l’ensemble des poèmes de l’auteur  qui gravitent autour du même thème sans le moindre risque d’en calquer un. Encore un joyau Gaétan! Continue à nous épater !

 

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