Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi : 26 -20 ; Pierre

Gaëtan Parisi

 

J ai vu des ombres folles

Des paroles ambiguës

Envahir mon sol

Une terre devenue exiguë

Où il n’y a plus place pour l’amour

 

Depuis que tu es partie en laissant

Un mot sur le banc

Mon âme a jeté l’ancre

Sur le rivage de nacre

D’un paradis blanc

Ici tout est noir

Un noir profond comme un désespoir

 

A quoi bon pleurer

Jamais plus je ne composerai

Ton nom et le verbe « aimer»

Je dois maintenant

Oublier ce rêve affligeant

 

Je me chercherai une raison

Pour errer dans ce nouvel horizon

Je suivrai les chemins les plus tortueux, les plus austères

Je soulèverai les plus grosses pierres

Les plus improbables

Les impalpables

J’en choisirai trois

Trois

Comme les trois ans de notre voyage

J’y graverai nos images

A l’encre de mes veines

Comme si j’étais Verlaine

Puis je les lancerai

Comme on lance un poème

Sur l’onde d’un ruisseau

 

Chaque ricochet laissera un témoignage

Un éclat sage

Sur le flot de nos âges

Qui coule sous le pont de la vie

 

En lançant la première pierre

Comme Al-Hajar Al-Aswad*, la pierre noire

Je te rendrai la lumière immaculée

Je laverai ton corps de toutes les caresses accumulées

 

En lançant la deuxième pierre

Comme la Pierre philosophale

Je ferai de ton cœur un trésor

En or

Et tu resteras éternelle

 

En lançant la dernière pierre

Comme la Pierre angulaire

Je reconstruirai mon devenir

Une stèle à l’ombre d’un chêne centenaire

Où tu pourras te recueillir

En égrainant nos souvenirs

Comme les perles de poussière du chapelet de notre vie

 

Finalement je boirai l’eau

L’eau du ruisseau

Pour qu’elle devienne

Source diluvienne

Celle qui coulera sur mon repos éternel

 

*Al-Hajar Al-Aswad : littéralement « la pierre noire », est une relique islamique située dans l’angle sud-est de la  Kaaba qui se trouve au centre de la mosquée al-Haram de la Mecque en Arabie saoudite.

 

Comme dans la plupart des écrits de cet auteur, le contenu sémantique de ce poème se situe dans la même sphère des retombées violentes de la rupture amoureuse dont il a fait l’axe central de son expérience poétique  et sur laquelle il apporte ici  une information nouvelle :c’est  que cette rupture est survenue après trois ans d’une relation passionnelle (comme les trois ans de notre voyage).  Ce qui explique le choc affectif violent  et le bouleversement cognitif qu’elle lui a causés et qui se sont répercutés sur ses comportements. Et c’est  précisément sur cette composante que  se focalise ici son  discours , révélant  un état d’âme extrêmement  déséquilibré marqué par l’adoption de deux attitudes contradictoires : la fuite en arrière qui consiste à  s’échapper de  la situation infernale dans laquelle il se débat  ( dans le poème précédent  par exemple  ) et la fuite en avant,  en continuant à s’attacher à  cet amour perdu  et en l’éternisant par son enracinement encore plus profondément  au fond de lui-même , tout en sachant que sa perte est définitive comme nous le voyons dans ce poème .

Sur le plan stylistique,  le poète a excellé surtout dans la métaphorisation de cette fuite en avant par l’emprunt des images de trois pierres symboliques : l’une est sacrée , l’autre est mythique et  la troisième est fondamentale : Al-Hajar Al-Aswad , la Pierre philosophale et  la Pierre angulaire,  correspondant aux trois années de bonheur passées avec l’être cher , tout en gardant sa langue au même haut degré de poéticité .

 

 

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