Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 25–Les poèmes de Philippe Lemoine: 25 – 5 : Sous les ocres chaulés…

Philippe Lemoine

 

Une tour, des remparts, une carte postale,
Toits rouges, des maisons, au bas d’un vieux château,
Une image posée entre le ciel et l’eau,
Un coin de paradis sous la voûte vestale.
Un quai, une jetée, un phare sentinelle
Avancent sur la mer où les cieux bigarrés
Déposent des colliers de rubis chamarrés,
Des écharpes d’iris que la vague crénelle.
Calme langueur d’été sur les eaux fluctuantes,
Sous les ocres chaulés du village endormi,
Dans la rade du port, tournées vers l’infini,
Humant l’Albe venu d’Espagne, dilettantes,
Des barques, l’une à l’autre accolées, amarrées,
Câlinées par les flots, rêvent de dériver,
De voguer vers le sud, ensemble d’éprouver
L’ivresse du tumulte et des grandes marées.
Avec elles, je flotte entoilé au rivage,
La volupté du vivre exalte ses couleurs ;
L’âme en apesanteur, parmi les oiseleurs,
Je me sens amoureux de ses rives sans âge…

 

Ce poème appartient à ce que les poéticiens appellent “la poésie des lieux”, un sous-genre universel et très ancien dont la principale caractéristique est la mise en relation entre trois composantes principales : l’observé, le ressenti et l’esthétique, les deux premiers relevant de ce que Philippe Hamon appelle “le descriptif” ( décrire les traits d’un lieu réel ou imaginé et les sensations qu’il suscite) et le troisième concerne les images que le poète ou l’écrivain crée par le biais de la comparaison ou la métaphore ou un autre procédé pour illustrer ces traits .

Commençons par essayer de cerner le premier élément qui constitue, en réalité, le thème du poème et qui paraît, pour un non-français, évasif en raison du peu d’indices qui s’y rapportent (une tour, des remparts, toits rouges, des maisons, au bas d’un vieux château, Un quai, une jetée, un phare… village… humant l’Albe venu d’Espagne ). Disons qu’il s’agirait d’un paysage villageois portuaire donnant quelque part sur l’Atlantique, alliant une vue imprenable et des vestiges historiques, autant d’éléments de prédilection pour une âme romantique. Et la non-spécification de ce lieu pourrait être intentionnée afin de le laisser dans le pénombre. Quant au ressenti exprimé par le locuteur devant ce paysage, il se traduit par une exaltation emphatique et une extase intense et enivrante (je flotte entoilé au rivage, /La volupté du vivre exalte ses couleurs ; /L’âme en apesanteur, parmi les oiseleurs, /Je me sens amoureux de ses rives sans âge…), deux sentiments typiquement romantiques .La troisième composante, enfin, est la plus importante parce que le poète y a mis nettement tout son art .Et la preuve est le grand nombre d’images qu’il a conçues et émises tout au long du texte et dont la plupart sont filées et complexes comme les deux suivantes : ( les cieux bigarrés déposent des colliers de rubis chamarrés, des écharpes d’iris que la vague crénelle. calme langueur d’été sur les eaux fluctuantes, sous les ocres chaulés du village endormi – des barques, l’une à l’autre accolées, amarrées, câlinées par les flots, rêvent de dériver, de voguer vers le sud, ensemble d’éprouver l’ivresse du tumulte et des grandes marées. ), ce qui témoigne d’une grande capacité imaginative et d’une sensibilité esthétique aiguisée .

Un beau tableau romantique où l’intériorisation et l’esthétisation ont pris le pas sur la description objective bien que le lieu soit réel .

 

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