Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 25–Les poèmes de Philippe Lemoine: 25 – 4 : À fleur d’âme…

Philippe Lemoine

 

J’aime sentir l’odeur, à la fois aigre et douce,
D’humus foliacé de la terre en forêt,
L’âcre senteur chancis des champignons de couche,
L’humidité de l’eau d’un ruisselet clairet
Dont le ruban d’argent, joyeusement, gazouille
Sous la coiffe de grands feuillus ébouriffés.
J’aime les châtaigniers oxydés par la rouille,
Les chênes olympiens, à demi décoiffés,
Annonce d’un autre temps, cette atmosphère humide
Où nature respire exultant ses parfums
Dans un ultime élan avant l’hiver frigide.
J’aime marcher, me perdre en des voiles si fins,
Qu’il me semble, du doigt, en déchirer la brume.
Subtile impression de flotter, de glisser
Entre la frondaison qui, de toute part, fume.
Languissants, surannés, j’aime ces ors païens
Qui craquent sous mes pas, cette longue agonie,
Faste et lustre, évoquant les jours heureux anciens,
La chanson des amours mortes, la nostalgie
À fleur d’âme du temps qui passe.
Vagabond, Je trouve appartenance.
Entiché de mes frères,
Les mains tendues au ciel, le cœur comme un brandon
Je deviens l’arbre errant parmi ses congénères…

 

Ce nouveau poème intensément lyrique de Philippe Lemoine est construit sur une idée maîtresse composée d’un noyau sémantique binaire comportant deux notions principales : la nostalgie et l’errance (la chanson des amours mortes, la nostalgie/ à fleur d’âme du temps qui passe./ vagabond, je trouve appartenance..) qui sont deux thèmes proprement romantiques à teinte existentielle. La première notion sur laquelle le poète insiste le plus et que Freud lie à l’enfance, est une aspiration intense à revivre une satisfaction passée .Et cette satisfaction qui provient à l’origine du plaisir narcissique infantile se déguise ensuite au cours de l’âge adulte en un idéal sublime quelconque, lequel consiste, ici, à vivre à l’état primitif qui procure à l’individu la libération de toutes sortes de contraintes, (j’aime marcher, me perdre en des voiles si fins, qu’il me semble, du doigt, en déchirer la brume. subtile impression de flotter, de glisser entre la frondaison qui, de toute part, fume.), loin des encombrements de la vie urbaine moderne où l’homme est réifié et déshumanisé .Quant à l’errance qui est, dans ce poème , pensée et non agie, elle dévoile un retour inconscient à la phase pubertaire, étant donné que la pulsion qui commande ce comportement, qu’il soit interne ou externe, est liée généralement à l’adolescence .Ce qui n’a rien d’étonnant, car l’âme de l’artiste, en général, a toutes les caractéristiques de celle d’un l’enfant. D’où l’association de la nostalgie et de l’errance dans un même contexte. Enfin, le texte bien qu’il ait apparemment une tonalité romantique , il paraît au niveau de ses structures profondes purement psychique et plus précisément né de ce que Charles Mauron appelle « mythe personnel ».

Sur le plan du style, le poète se distingue, comme d’habitude, par son élégance dans le choix des mots et son tempérament alliant un classicisme linguistique et une tendance à dépasser toutes les limites au niveau des images .

 

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