Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 25 –Les poèmes de Philippe Lemoine: 25 –3 : Lors d’une nuit …

Philippe Lemoine

 

Dans ce monde, blasé, seul et désemparé,
Longtemps ; j’ai cheminé recherchant un refuge,
Un abri de fortune, un lieu sans subterfuge,
M’invitant au repos, juste un toit éclairé …
Lors d’une nuit d’hiver, gisant dans un fossé,
Tandis que je sombrais engourdi par le givre,
Une voix s’est penchée et m’a dit de survivre ;
Un homme m’a porté sur son dos.
Embarrassé, J’ai mis le pied à terre.
Il m’a pris par la main,
Je ne savais que dire et je l’ai laissé faire,
Plutôt que de parler, j’ai préféré me taire
Et suivre l’inconnu sans penser à demain.
Au loin, dans la pénombre, un simple cabanon,
L’homme a pressé le pas m’invitant à poursuivre.
J’allais trop lentement, je n’ai pas pu le suivre.
De lui, je ne savais ni l’âge ni le nom
Pourtant, je devinais qu’il m’attendrait là-bas.
Longuement, j’ai gravi la pente de la route.
Parvenu sur le seuil de la maison, un doute :
Et si, l’étranger … Mais l’âme et le corps las
Quand j’ai poussé la porte, excommunié, perdu,
Une miche de pain blanc, des couverts, une assiette,
Une soupe fumante et un rond de serviette
M’ont dit, qu’ici, j’étais le bienvenu.

 

A l’opposé du poète lyrique ou existentiel dont les préoccupations sont subjectives et individuelles, le poète engagé, lui, est constamment tourné vers le réel des hommes et les souffrances dont ils y sont victimes, faisant fi de son égo et se sacrifiant pour les justes causes. Que s’est-il donc passé lorsqu’on voit un poète, comme l’auteur de ce texte, considéré, à juste titre, comme l’une des figures de proue de la poésie militante, battre en retraite et se laisser, contre toute attente, gagner par le découragement et le désespoir, à tel point qu’il plonge dans son intériorité et s’aliène totalement à soi-même ( Dans ce monde, blasé, seul et désemparé,/ Longtemps ; j’ai cheminé recherchant un refuge,/Un abri de fortune, un lieu sans subterfuge,/ M’invitant au repos, juste un toit éclairé …) ? La réponse à cette question est, en réalité, toute prête : le combattant, quelles que soient sa vigueur, sa ténacité et sa résistance reste un être humain fragile et susceptible de passer par des moments de doute et de faiblesse devant l’ampleur toujours grandissante de l’adversité et la prolifération continuelle de toutes les formes imaginables et inimaginables d’injustice , d’oppression , de persécution et de violence dans le monde . Ce que l’auteur a mis ici en évidence par l’imagination de cette histoire allégorique où le personnage principal se scinde en deux : le locuteur-narrateur ( moi) et l’homme étranger( lui) qui n’est autre que la projection de la partie enfouie dans son inconscient et qu’il ne connaît pas ou qu’il réfute ou qu’il ne veut pas voir de face .Et selon la description que le narrateur fait de l’intérieur du cabanon, il a toutes les caractéristiques d’un lieu d’ermitage .Serait-elle la vocation initiale du poète dont il s’est depuis longtemps détourné pour mener une vie de combat et que ce sorte de rêve éveillé le fait revenir inconsciemment à elle ?

Stylistiquement, ce poème vaut surtout par sa narrativisation bien ficelée, basée essentiellement sur le suspense né de la présence d’une zone d’ombre qui ne se résorbe pas jusqu’à la fin du texte : l’identité de l’inconnu .Mais ce n’est, évidemment, qu’un retrait passager “lors d’une nuit …”et nous ne doutons un seul instant que que le guerrier ne tardera pas de se relever de cette légère chute et continuera à jouer son rôle de guide vers la lumière et un meilleur avenir pour l’humanité !

 

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