Les entretiens de « Culminances » :24 -Avec le poète martiniquais José Le Moigne

José Le Moigne

Qui est José Le Moigne?

José Le Moigne est né le 7 janvier 1944 à Fort-de-France (Martinique). En 1947, la famille quitte la Martinique pour s’installer dans le Brest. Il a exercé le métier d’éducateur puis de directeur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse à travers la France .Il est membre du Comité de Rédaction de la revue Hauteurs (Valencienne) et membre du comité d’administration de la Maison de la poésie du Nord-Pas-de-Calais. Outre son œuvre poétique, il est l’auteur d’une œuvre en prose et écrit des chansons. Quant à sa poésie, elle est avant tout contemplative alliant le philosophique et le psychologique et portée essentiellement vers la réflexion. Doté d’un esprit fureteur, il se pose incessamment des questions brûlantes sur l’essence des choses et sur les profondeurs les plus secrètes de l’âme humaine. Sur le plan stylistique, son procédé de prédilection est de tenter de dire l’indicible, par l’exploitation à fond de l’effet évocateur des choses, en les détachant de leur contexte réel et les lançant vers un au-delà lointain et inconnu, par le biais d’actes métaphorisants très particuliers où le comparant relève du domaine de l’inimaginé et de l’inaccessible. Ce qui révèlerait chez lui , une âme avide d’irrévélés et de mystères. D’autre part son style se caractérise par une tendance très accentuée vers la concision de l’expression et la condensation des sens.

 

Question 1 : Vous avez passé une grande partie de votre vie entre votre île natale La Martinique et la France .Quelle  selon vous  l’influence de chacune d’elles sur votre écriture poétique au niveau des thèmes ?

José Le Moigne : Je suis né à la Martinique et j’ai grandi en Bretagne. D’une île, je suis passé à une presqu’île l’une et l’autre se faisant face d’un bord à l’autre de l’Atlantique si bien que l’adolescent rêveur que j’étais n’avait qu’à s’accouder à une rambarde du port de Brest pour s’imaginer faire face à la Martinique. Je suis issue de deux terroirs maritimes qui savent ce que résister veut dire, avec des identités fortes, solides et revendiquées. Tel est le socle sur lequel s’est bâtie ma poésie, avec les thèmes récurent du vent, de la mer, du désir de partir et de revenir, le recours permanent aux racines, le refus de l’enfermement, toutes choses solides et fragiles à la fois. Je n’ai pas à proprement parler d’Art poétique, mais, peut-être pourrais-je tenter d’expliciter ce que je viens de dire par ce poème de 1974 qui en contient la quintessence, du moins, me semble-t-il.

FINISTERE

 

Là où la terre s’achève

là où la mer commence

à l’instant où la mort

prend le chemin des algues

ouvrir prestement

l’armoire aux souvenirs

et crier dans le vent

comme un cheval blessé

Question 2 : Votre carrière d’éducateur a-t-elle influé sur votre poésie ou bien ces deux appartenances professionnelle et  culturelle sont-elles séparées l’une de l’autre dans votre âme et esprit ?

José Le Moigne : Être éducateur, c’est en quelque sorte exercer un métier sans autre outil que soi-même ; un métier baser sur la parole et le partage ; un métier où il est impossible de donner si on est incapable de recevoir. On travaille avec ce que l’on est et si l’on préfère la poésie et la musique au ping-pong ( ce n’est qu’un exemple ), c’est avec cela qu’il nous faut travailler. La crédibilité est à ce prix. Le poète ne triche pas, l’éducateur non plus. C’est pour cette raison que je n’ai jamais séparé mon activité professionnelle et mes pratiques culturelles. Plus tard, j’ai eu les mêmes exigences avec les équipes éducatives que j’ai été amené à diriger. Je ne vais pas dresser ici le catalogue des différents médias que j’ai eu à utiliser (ateliers d’écriture et de musique …). Je dirais simplement que j’ai terminé ma carrière comme Directeur chargé des projets culturels en direction des jeunes sous mandat de justice de la région des Hauts de France. Mais ici comme ailleurs, les exemples valent mieux que des discours. C’est pour cela que j’ajoute à ces propos ce texte qui est la préface d’un travail qui s’est conclu par un livre de poèmes que les jeunes ont réalisés sous ma direction avec pour conclusion un stage collectif chez un éditeur-typographe.

Question 3 : Votre expérience poétique s’étend sur près d’un demi-siècle au cours duquel vous avez côtoyé plusieurs générations de poètes. Pensez-vous avoir évolué sous l’influence de ces générations successives ou êtes-vous demeuré fidèle à votre style initial ?

José Le Moigne : C’est vrai, j’ai rencontré beaucoup de poètes depuis mes débuts, mais je ne parlerais pas de générations. Je n’ai pas cette conception de la poésie. Les poètes naissent, les poètes meurent, mais à mes yeux la parole poétique n’est pas réductible à un empilement de strates. Je préfère parler de Culture. À mes débuts je n’avais pas de culture poétique et même littéraire puisqu’elle se résumait à ce que j’avais appris pendant mes études. Ensuite, j’ai rencontré des femmes et des hommes qui écrivaient et je me suis enrichi de ces échanges, mais j’ai surtout beaucoup lu. J’ai en effet la faiblesse de penser que l’on ne peut pas écrire si on ne lit pas. Dans cette perspective, je veux bien parler des poètes que j’ai aimés et qui m’ont accompagné. Bien sûr, d’abord, François Villon, Ronsard et Verlaine pour qui j’avais dès l’adolescence une tendresse particulière que je n’ai pas abandonnée en chemin, puis, dans le désordre et d’une manière absolument non exhaustive, Michel Deguy, René Char, Guillevic, Pablo Néruda, Andrée Chédid, Tahar Ben Jelloun, Philippe Jacottet, Guy Goffette … Tan d’autres. Ils m’ont forcément influencé, mais dans le sens de la rigueur, du travail, de l’exigence. Ils m’ont aidé à sortir de la naïveté des premiers textes, mais je ne pense pas qu’ils aient changé en profondeur ma vision de la poésie.

Question 4 :Vous affectionnez surtout le poème court ou mini-poème. Est-ce dû à un tempérament personnel  favorisant la concision ou bien  à un choix délibéré dicté par des convictions littéraires bien déterminées ?

José Le Moigne : J’ai déjà un peu répondu à la question. J’ai toujours aimé les poèmes qui concentrent le ressenti. Les sonnets de Ronsard et Du Bellay par exemple ou encore les poèmes en forme de legs de Villon. Je passe beaucoup de temps à chercher le mot juste. Pour moi, cela implique la concision. C’est donc une conviction littéraire.

Question 5 : Votre poésie est essentiellement contemplative alliant le philosophique et le psychologique et portée vers la réflexion. Croyez vous que ce genre de poésie peut encore aujourd’hui avoir un grand auditoire surtout que le rôle que vous avez choisi de jouer est largement assumé par les philosophes et les psychologues ?

José Le Moigne : Comment dire ? J’écris de la poésie. La poésie s’adresse à la sensibilité et à l’intelligence sans qu’il soit question de hiérarchie. Je ne pense pas être un poète hermétique ou obscur. Après, la question de l’auditoire ? Il me semble que les poètes ne se la sont jamais posée. Bien sûr, on écrit pour être lu, mais pas au prix du compromis. À moins d’être un poète de cour, ce qui n’est pas mon cas.

Question 6 : Le lecteur de l’ensemble de vos poèmes est saisi par la grande nostalgie que vous éprouvez à l’égard du passé aussi bien personnel que poétique .Et cela se remarque à travers la longue série de vos anciens poèmes que vous publiez de nouveau. aujourd’hui .Qu’en pensez-vous ?

José Le Moigne : Je ne vis pas dans le passé, mais j’ai mes fractures sans lesquelles on n’écrit pas. Les miennes sont liées à l’exil vécu à un âge où je ne pouvais que le ressentir sans pouvoir le médiatiser. Alors, plutôt que nostalgie, je dirais que l’écriture est devenue pour moi un moyen naturel de médiatiser toutes les formes d’exil.

Question 7 : Votre style d’écriture est basé surtout sur l’exploitation à fond de l’effet évocateur des êtres et des objets, ce qui a pour résultat de faire baigner le texte dans une atmosphère plus obscure que claire. Ne craignez-vous pas que ce style d’écriture ne puisse constituer un écueil à la compréhension ?

José Le Moigne : Je crois qu’à une question directe il faut une réponse directe. Non, je ne le crois pas. Pour le reste, je vis dans un monde tissé de correspondances. Est-ce parce que je suis de culture antillaise ? Est-ce parce que je suis de culture celte ? Ou n‘est-ce pas plutôt parce que je suis poète ? La poésie n’est pas un art du dévoilement immédiat. Aucun art ne l’est.

Question 8 : Lisez-vous les poèmes arabes que je traduis et partage fréquemment dans mon espace ?Si oui comment trouvez-vous cette poésie orientale en comparaison avec la poésie occidentale ?

José Le Moigne : Oui je la lis. Un des premiers livres que j’ai achetés était «  La Poésie arabe des origines à nos jours » (Marabout Université édition de 1967). Je le possède toujours et il m’arrive encore de le consulter. Je n’y cherche aucun orientalisme, mais quelque chose à même d’enrichir ma lecture poétique du monde. Je le redis ici. On n’écrit pas sérieusement sans curiosité et la curiosité passe par la lecture dans le domaine qui nous occupe.

 Question 9 : Trouvez-vous que le facebok vous rend vraiment service en tant que poète et y décelez-vous des défauts et des inconvénients ?

José Le Moigne : Je n’utilise Facebook que pour la poésie et les échanges culturels. Pour le reste, ce média me paraît d’une grande perversité. Je reçois beaucoup de poèmes dont nombres ne sont pas bons. Je me contente de ne pas répondre dans ce cas. C’est à moi de faire le tri et je le fais. Pour ce qui me concerne, je dois dire que Facebook m’est d’une grande utilité. Vous en êtes la preuve. Un travail universitaire : « Ann W Davenport titleReturning home abstract : A collection of translations of José Le Moigne’s poetry. The Caspersen School of Graduate Studies, Drew University degreeM.F.A. (2016) » sur ma poésie a été possible grâce à des échanges Facebook. Des poètes de grande qualité comme Patricia Lorenco me sont accessibles également par l’intermédiaire de Facebook. Il en est de même dans le domaine de mes autres activités littéraires ou musicales.

Question 10 : Quels sont vos projets proches et lointains ?

José Le Moigne : 1-Je publie cette année La montagne rouge, un roman sur la Résistance et les mouvements nationalistes d’avant-guerre en Bretagne.

2- Je finalise en ce moment une anthologie de mes poèmes intitulée : Journal de l’entre-deux, poèmes 1965-2019

3- Je travaille aussi à la réécriture de mon roman Chemin de la mangrove paru en 1998 aux éditions l’harmattan

Je précise qu’en ce qui concerne ma manière de me servir de Facebook, qu’il est possible de suivre ces différents travaux sur ma page. J’aime beaucoup les romanciers du XIXème siècle qui commençaient par publier leurs œuvres en feuilletons dans la presse. En toute modestie, telle est ma façon de concevoir Facebook.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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