La Bergère du silence ou comment ” forcer les cages de l’oubli”! :Lecture du recueil de la poétesse marocaine Khadija El Hamrani par : Hassan Oumouloud – Agadir –Maroc

Hassan Oumouloud

Khadija El Hamrani

La poésie a toujours été l’instrument d’exaltation, de consolation, d’éducation, et de recherche d’un sens à soi et au monde. Une véritable voie d’entretien avec le monde .Or, chez certains poètes, cet usage de la poésie laisse place à un autre dans lequel les vers parlent d’eux-mêmes. Ils font le tour du monde et reviennent s’entretenir. Citons par exemple Du Bellay dans ses Regrets  qui, via sa verve poétique incomparable et son éloquence qui laisse perplexe, avoue son intimité, son amour, sa passion secrète avec ses vers en disant : Je me plains à mes vers si j’ai quelques regrets / Je me ris avec eux je leur dis mon secret / Comme étant de mon cœur les plus sûr secrétaires. Telle est l’ouverture de son recueil Les Regrets dès lors ancré dans l’histoire littéraire. Cette idylle intime et secrète du poète avec ses vers marque après Du Bellay plusieurs autres générations de poètes romantiques. C’est dans ce cadre que se présente cette petite étude du poème ” Lettre de sang et d’or ” qui est le sixième morceau de bravoure du recueil La bergère du silence de la poétesse légère et sublime Khadija El Hamrani.

Il convient au prime abord de dire que cette plume marocaine exprime à maintes reprises, et directe comme en filigrane, dans la plus part de ces recueils surtout dans  La bergère du silence, sa volonté de fer de prolonger la négritude en plaçant tout son intérêt spirituel et artistique sur les deux grandes icônes de la poésie africaine engagée pour la cause de l’homme noir et de l’universalité par extension à savoir les grands Senghor et Aymé Césaire . Khadija El Hamrani exprime à cet égard sa ferme volonté de progresser le cri africain et étendre les rayons du Qui suis-je existentiel partout dans le monde des lettres et des bons sens .

Le présent poème s’inscrit donc sous le signe de l’existentialisme. Une vision toute autre de soi et du monde à travers l’effet du miroir qui s’affiche entre El  Hamrani et ses vers . Elle dit :

“Heureusement qu’il y a les mots ,

Heureusement qu’il y a l’écrit ;

Sinon qui aurait lu nos cris ?”

Interro-exclamation légitime tachée par une satisfaction apparente d’avoir accès aux mots et à l’écriture. L’adverbe “Heureusement ” montre chez la poétesse sa pleine béatitude de retrouver l’ultime instrument d’expression de détresse. Une gratitude poétique à la découverte de l’écriture 3500 ans avant J-C., et “nos cris ” sont depuis délivré des “limbes de l’oubli” , avec bien sûr l’universalité de ce “nos” par lequel El Hamrani se veut porte parole de tous les opprimés avide de remède . La suite du poème révèle beaucoup plus de charme et de profondeur :

Qui aurait entendu si haut

Jaillir de nos entrailles nos maux ?

Les joies, les amours, les pensées

Échappées aux limbes de l’oubli ?

Ceux que nos aïeux ont chuchotés ?

Tant d’aventure se seraient tues

Et tant d’actes glorieux omis !

Avec toute l’étendue que l’expression “si haut ” pourrait porter. Il s’avère la poétesse touche à la fois le ciel et la terre. Toutes les dimensions de l’existence. Les vers sont alors selon ce morceau les messagers de Dieu et ceux des hommes, qui transportent les maux et les soupirs des âmes, les joies, les amours et les pensées. Toutes les passions telle que énumérées par la poétesse “échappent ” à l’abîme de l’omission grâce à la parole poétique. Ce métalangage visite davantage de dimensions : après le ciel et la terre, le temps est aussi mis en scène. Les mots hamraniens sont les garants du legs de nos aïeux, tout un passé est conservé avec plein d’adresse dans les contours de la poésie. Les “actes glorieux ” sont classés en arsenal dans la filigrane des vers. La vie est là une grande aventure  dont les péripéties sont relatées dans un grand poème au mots dorés. La suite en témoigne :

Que serait-il resté de vous,

Ô algarades victorieuses !

Plutôt dans les échos moisis.

Avant de clore ce morceau qui déborde de beauté et de précision avec le retour à ce refrain de cantine : Heureusement qu’il y a l’écrit / pour forcer les cages de l’oubli.

Enfin , la poésie de Khadija El Hamrani est une véritable éducation des âmes . Elle inculque les valeurs de reconnaissance, d’engagement, de sincérité et de fierté. Tel qu’elle le  manifeste sagement dans un coin inaperçu du présent  recueil : La bergère de tout les temps se met sur les pas de Césaire pour nous conseiller  de reste fiers, la tête haute et surtout de demeurer reconnaissant à l’égard de l’écriture, ce don incomparable : ” gare à toi de t’abaisser / je te veux toujours si fier / la tête haute d’un africain / ta grande âme est héritière / du grand Senghor, d’Aymé Césaire .

 

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