Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :10 – Les poèmes de Monika Del Rio :10-3 : Anesthésie généralisée

Monika Del Rio

 

Les pavots en fleurs poussent

Dans les champs de mon corps…

Des couleurs commencent

Leur danse folle

Devant mes yeux…

Tous les sons se mélangent…

L’eau du puits, pourtant claire,

Se révèle empoisonnée.

Léthé fait couler

Le courant glacial de l’oubli

Dans mes veines –

Mais comment oublier

Tous ces jours passés près de toi ?

Et… toutes les nuits

Où seuls les hyènes et les hiboux

Nous chantaient

Leurs airs ensorceleurs et doux !

Donne-moi encore plus de cette potion

De l’amnésie, anesthésiante,

Amère, mais si agréable,

Pour que je puisse réparer

Les marches manquantes

De cet escalier instable,

Qui bouge

Qui s’écroule

Comme la vie,

Si on s’obstine à ne pas les changer,

À ne pas enlever les gros sabots

Pleins de boue,

À ne pas goûter

L’eau empoisonnée du puits…

Je ne pourrai plus crier,

Le couvercle se ferme

Sur cette nuit étoilée

et Toi,

Qui, dans notre folie commune –

Essaie de les attraper,

Tu t’en vas,

Me laissant

Au fond d’une boîte sombre

Avec des escaliers

Cassés.

 

 

Nous avons affaire cette fois  à un poème très singulier et un peu complexe qui ne peut être compris sans connaître le contexte dans lequel il a été écrit et certaines données biographiques liées à la personne de l’auteure. Ce texte et plus de trois cent autres  sur le même thème ont été composés à Adissa Abeba ( Éthiopie) par une auteure multi douée , étant pianiste,peintre, romancière et poétesse .Et déjà, vous pouvez détecter facilement des traces de certaines de ces diverses activités (tous les sons se mélangent – nous chantaient leurs airs ensorceleurs et doux – des couleurs commencent leur danse folle ), en plus de l’âme narrative qui empreint le texte dans sa totalité. Ajoutons à ces indices la philosophie tout à fait particulière de la poétesse qui consiste à croire dur comme fer que notre vie terrestre n’est qu’un rêve et que l’âme qui l’habite, elle, est celle d’une autre personne qui a vécu il y a plusieurs milliers d’années dans un lieu inconnu .D’où cette sensation étrange de retrouvailles qu’éprouve cette occidentale en s’installant en Afrique , cette peur de s’en éloigner et de lui faire ses adieux (le couvercle se fermera sur cette nuit étoilée et toi, qui, dans notre folie commune – essaie de les attraper, tu t’en vas, me laissant au fond d’une boîte sombre avec des escaliers cassés ) et ce sentiment douloureux , profond et insaisissable de manque qu’elle cherche à combler par le rêve éveillé et l’écriture ( pour que je puisse réparer les marches manquantes de cet escalier instable, qui bouge qui s’écroule comme la vie) .Il s’agit ainsi d’une quête désespérée de soi à laquelle l’auteure tente de donner ici une réponse et qui nous laisse, comme toujours, sur notre faim, lorsque nous arrivons à la fin du poème. Un poème simple dans sa langue, complexe dans sa conception et sa construction, beau par ses images et profond par le message qu’il véhicule !

 

 

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