Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 -Les poèmes et les récits de Patricia Laranco : 3-5 :Histoire de nez ,de pied,de tête

Patricia Laranco

 

On dit : “il a les pieds sur terre et la tête sur les épaules”.

Mais s’il avait les pieds en l’air et puis la tête dans le cul ?

Mais s’il avait la tête en l’air et l’air de n’avoir pas de tête ?

Et s’il avait une tête à faire faire aux voitures des tête-à-queue ?

Et s’il était si dans la lune qu’il y posait soudain le pied

s’il y effectuait un grand pas dans l’Histoire de l’Humanité qui, comme chacun sait, est quelque chose de sans queue ni tête ?

Et si ses épaules préféraient qu’il ait plutôt les pieds sur tête ?

Si la lune ne voulait pas qu’il tremble de la tête aux pieds ?

S’il vous bottait à tous le cul à l’aide de son seul pied bot ?

S’il captait que vous le regardez se harnacher de pied en cape ?

S’il avait une tête en fer qui se heurtait aux pots de terre dans le même temps qu’aux femmes de tête ?

S’il devenait tout à coup coupeur de tête en prenant son pied ?

S’il s’entêtait à vouloir installer les culs par dessus tête, à renverser la vapeur et à inverser le processus ?

S’il ne voulait surtout pas qu’on le mît en terre les pieds devant ?

Si, ayant enfilé, frileux, son pull-over devant-derrière, il rencontrait le roi Dagobert qui mit chaussettes à l’envers ?

S’il mettait le pied dans le plat et le plat pays qui est le mien ?

S’il y marchait toujours à pied (dans le plat pays, veux-je dire), pour éviter les tape-culs (et nonobstant les cors aux pieds aussi bien que les coudes au corps) ?

S’il aimait la marche à pied parce qu’elle fait bien marcher la tête ?

S’il recevait des coups de pied au cul qui le précipitaient à terre ?

S’il voyait, un beau jour, sa tête, à son tour, installée dans le plat (à la place de ses plats pieds) ?

Si on lui précisait alors que c’était là le plat du jour (surtout pas le plat de résistance !) et si, pour toute réponse, il leur demandait quel jour c’était ?

Si le J du jour J était l’initiale du mot “jamais” ?

Si sa tête épiait ses pieds et ses jambes comme des pieux ? S’il recherchait des tête à tête pour pouvoir mater des tétons ?

S’il tombait soudain nez à nez pile-poil sur la tête à Tonton ?

S’il faisait griller tous les poils de son Tonton dans une poêle ?

S’il se retrouvait à poil et le nez bourré de poil à gratter ?

S’il se retrouvait à poils et à plumes (comme le serpent du même nom) ?

S’il s’interrogeait sur ce qui vaut le mieux : le sexe à piles, le sexe à voile à tu et à toi ou le sexe en ville ?

Si quelqu’un, enfin, se décidait à lui mettre le nez dans le caca ? S’il avait du nez en dépit de sa face enfouie dans la dune ?

Peut-être, à ce moment-là, sa tête se remettrait-elle sur ses épaules et ses pieds, enfin las de l’éviter, de léviter, reviendraient-ils sur terre. Il serait alors, pour le coup, redevenu très terre à terre. 

Mais, sur terre, est-on jamais à l’abri d’un accident du terrain ?

 

Prenons un autre cas : voilà qu’il a changé, du jour au lendemain.

Au lendemain du jour où il avait changé, échangé son ancien visage contre un autre, il se demanda s’il ne s’agissait pas d’un lendemain qui chante…d’un lendemain qui chante le jour de gloire qui est arrivé (au bon moment). Il se demanda aussi quelle distance séparait un jour de son lendemain (chant ou pas chant).

De toute façon, il fallait qu’on lui remît la tête en place, les fesses en face, la face hors fèces. Que l’on modifie son faciès. Qu’il ait la tête de l’emploi et le pied marin pour crier : “terre !”.

Pour qu’il se mue, de casse-pied qu’il était, en un casse-tête.

Pour qu’on ne le regarde plus de la tête au pied mais de la tête au nez, et même de la tête au nez et à la barbe.

Pour qu’on ne le traite plus de tête de nœud, au risque qu’il se tourne vers le nœud coulant ou vers le nid, le nœud de vipères.

 

Du coup, maintenant, il respire, il tutoie, il chante à tue-tête. Dommage, juste, que, ce faisant, il prenne la tête aux voisins qui lui vocifèrent : “je te tues, toi !”.

Et leur ire redouble, bien sûr, lorsqu’il leur adresse un pied-de-nez.

 

L’auteure plonge dans trois véritables gouffres sémantiques pleins à craquer non seulement de sens dénotatifs mais aussi de connotations et de significations symboliques à la manière des surréalistes dans ce qu’ils ont appelé «  Cadavre exquis» . Mais si elle s’est laissée entraîner derrière le plaisir purement linguistique engendré par la prolifération des sens,leur enchevêtrement et leur interférence , le choix de ces trois gouffres paraît bien délibéré puisque les  termes génériques qui les représentent à savoir : nez , tête et pied appartiennent à un même champ sémantique : celui du corps  et se comptent  donc parmi les mots les plus anciens ,étant donné que l’homme primitif avait  vraisemblablement commencé par nommer les membres de son corps et ses parents les plus proches .Et c’est cette ancienneté qui explique le très grand nombre d’expressions où ils ont été utilisées (Pied 130  – Tête 94 – Nez 52) et qui touchent un nombre indéfini de situations liées à l’expérience humaine dans l’arène de la vie . Et  à  travers ce bain de sens, l’auteure a dégagé une dichotomie très  pertinente autour de laquelle pivote le comportement humain : la hauteur ( tête – nez ) et la bassesse ( pied ) .

Néanmoins le discours de l’auteure comporte au niveau de ses structures profondes  deux  sens archétypaux  dont elle n’est peut-être pas consciente , l’un d’ordre érotique  tel que ( le pied , du fait qu’il pénètre dans les souliers , symbolise l’organe sexuel mâle  de même que la tête  )  et l’autre d’ordre moral et  psychologique ( le nez représente l’orgueil ).

 

 

 

 

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