Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :3 – Les poèmes et les récits de Patricia Laranco :3-1 : La pluie du soir

Patricia Laranco

 

Je te revois rêvasser devant la pluie,

le lourd rideau de pluie qui tombait sur le soir

 

derrière les carreaux –  

sans discontinuer.

 

Tu te taisais, opaque, sans

une expression

 et je me demandais

où partait

ton esprit.

 

Moi, je trouvais cette averse

triste à mourir

tandis que toi, au bout d’un temps,

tu souriais :

un demi-sourire à peine

esquissé, brumeux.

 

 J’osais alors demander

“pourquoi tu souris ?”

et tu me chantonnais “j’adore quand il pleut !”

 

J’interrogeais encore,

obstinément : “pourquoi ?”

 “je sais pas, me répondais-tu,

la pluie, c’est beau !”

 

Je ne voyais guère les

fentes de tes yeux

dissimulées derrière tes verres

fumés

mais devinais l’apaisement

sur les traits fins

de ton visage à teinte

d’ivoire jauni

aussi lisse que ceux des

statues de Bouddha

 

maman-lapli*, je te scrutais

passionnément –

sans doute trop – mais

seulement

le savais-tu ?

 

*Lapli :Le nom de la pluie dans le dialecte haïtien

 

Ce  poème narrativisé se lit sur deux plans superposés et diamétralement opposés : le premier, qui est apparent au lecteur même peu attentif, a été finement exploité techniquement par la mise en œuvre d’un nœud  qui se poursuit jusqu’à la dernière strophe (la cause de la fascination engendrée par la pluie ) et qui tient, de ce fait,  le lecteur en haleine tout au long du texte .Ce même plan retient aussi l’attention par les significations positives du symbole principal utilisé :la  pluie ,  lesquelles y ont été mises en évidence par l’auteure ,notamment la fécondation  qui est le principe actif de la féminité  et le solide attachement  au milieu natal qui constitue l’une des grandes valeurs authentiques de l’humanité.

Cependant ,au niveau des structures profondes de ce même poème, les significations de ce même symbole sont,  par contre, négatives  et ont trait au psychisme de la narratrice ( qui ne s’identifie forcément pas à l’auteure ) qui se caractérise vraisemblablement par un état dépressif et une mélancolie profonde.

Enfin, de façon globale ,la superposition de ces deux niveaux  a contribué à doter le texte  d’une dimension psychologique profonde qui s’ajoute à l’attrait du style basé, comme nous l’avons indiqué ci-haut, sur la poétisation de la narration et  le dénouement final surprenant .

 

 

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