Abderrahmán El Fathi , poète du silence et de l’absence par : Outhman Boutisane – Maroc

Abderrahmán El Fathi

Abderrahmán El Fathi est l’auteur de nombreux livres partagés entre poésie, prose, théâtre et critique littéraire. Écrivain prolifique, hommes de lettres et professeur chercheur de langue et littératures espagnoles. Il est notamment l’auteur de Primavera en Ramallah y Bagdad, África en versos mojados, El Cielo herido, Desde la Otra Orilla…et d’autres. Lauréat de plusieurs prix littéraires : prix Rafael Alberti  en poésie, prix Ibn Al khatib en création littéraire et prix la Barraca de la coopération internationale et de création littéraire. 

Outhman Boutisane

Le silence, c’est quelque chose qui se vit, qui devient âme de l’écriture chez A. El Fathi. Le poète construit son univers en se cherchant dans le silence aveugle de l’absence désenchantée. La poésie est la voix du silence, un songe qui transforme son créateur d’un état de recherche de soi à un état profondément chaotique. Fathi se voit comme le poète qui traduit le sentiment de la perte dans un monde où la cicatrice existentielle occupe l’esprit perdant dans les contours du silence.  Le poète est l’amoureux de l’hiver, de la nuit, du calme insensé et miroir d’une absence brisée qui traverse le corps et le poème.
La poésie est réduite à l’essentiel, l’état d’âme perturbé dans le monde froid de la solitude. On voit tout au travers, les nuits insomniaques, la peau reflétée sur les murs et les placards, le froid des rêves confondus, les regards vides de couleurs sans doute aussi. Elle se tient auprès de ceux qui n’ont que le silence pour dévoiler le déracinement de leurs cœurs chagrinés. Il y a une sorte de rage, un cri qui tente de sortir hors  de ses textes. Un concassement des émotions et du langage. El Fathi parle depuis un rêve fait d’instants perdus :
« Je suis le silence de ton absence
Je marche absent
Dans chaque verset de ton regard. »

Le poète est solitaire dans son monde, sa poésie n’est pas silencieuse, mais elle est obsédée par le silence. Il est avant tout un artiste qui ne tient que les couleurs de la vie en forme de phrases brèves où résonne la magie des mots. Il sait inventer les instants vécus en images allégoriques, mais il ne pense dire vrai que dans la romance. Il donne à toucher, il donne à palper le tissu rugueux du monde. Il donne le droit au dehors d’entrer dans la poésie. Il ouvre les fenêtres à l’isolement. Des signes à peine marqués sont les balises de l’absence.
Écrire: c’est comme chercher le monde dans le silence. El Fathi ne cesse de retracer l’absence de sa bien-aimée, faire de sa nostalgie le souffle de tout le poème. Il écrit non simplement parce qu’il est en état de crise sentimentale, mais il veut insister sur l’absence comme élément fondamental dans la recherche de soi liée intimement avec l’existence de l’autre (Bien-aimée) :
« Aujourd’hui,
J’ai décidé de m’absenter de tes baisers
 Pour marcher de nouveau vers tes folies.
 Aujourd’hui, 
J’ai démonté tes boucles, mes nostalgies,
 Pour soumettre ma vanité à tes envies ».

Donc, l’absence pour le poète se voit comme une sorte de renaissance continue. Le poète s’éloigne du corps de sa bien-aimée pour s’incarner dans son imaginaire (Ses folies). Le passage du monde concret à la représentation abstraite des sentiments et des choses est un trait du symbolisme dominant le texte poétique. Il n’est plus question de métamorphose, mais plutôt une personnification du monde extérieur. El Fathi fait habiller ce monde, l’empreinte de ses souvenirs et ses cicatrices amoureuses.
Le silence, il a su s’en approcher à travers une exigence de pureté, ce tamis constant des désarrois et du verbe pour ne rendre que l’apparente surface du monde fut son ascèse poétique. A la manière de Maurice Blanchard, El Fathi est un poète qui cherche tout dans les langues du silence. Sa langue espagnole crée des rythmes  intérieurs où les échos poétiques ne cessent de se répéter au fond et à la fin de chaque vers du poème. Le poète travaille la musicalité de ses textes en cherchant des mots chantants pour faire chanter le silence.
Naufragé sur les rives désertes du poème, El Fathi fait naître l’instant absent dans le parfum et les baisers de sa bien-aimée :
« Naufragé dans le souvenir de tes baisers
          Dans la caresse de tes matins
          Je suis là,
J’attends ton réveil ».

Le silence traverse l’œuvre de El Fathi et devient rituel du poème. Il prend un trait spirituel beaucoup plus profond, tout comme une blessure qui jaillit sur un corps immobile. Il est la langue d’une autre langue absente, parfois insensée. La dualité du silence et de la langue s’efface en une étincelle. Miroir en fumée, le silence de Fathi entend refléter l’absence de l’autre.

Le silence devient alors la langue de l’autre, où seules ses traces nous parlent de sa présence. Le poète se cherche dans les lieux inventés, dans le vide, dans l’instant figé. A mi-chemin de la nuit, le silence et l’absence resurgissent en éclats dans l’oeuvre du poète. Il fume la nuit, le cœur en perpétuel mouvement, les regards retracent l’horizon d’une longue attente. Le bruit d’un quotidien absurde est au cœur de ce silence bavard. L’aimée est le seul miroir où se retrouve l’âme du poète. La beauté de l’aimée habite son imaginaire, gravée en bleu dans ses poèmes.

Par la beauté du poème romantique, le poète tente d’élucider des cicatrices de l’absence. Une partie de ses livres est consacrée à l’éloge de son amour. Loin de toute théorie poétique, El Fathi ne veut que comprendre l’essence de son existence. Son écriture semble très simple, claire même. Mais elle recèle la complexité de tout un imaginaire. Il fait de ses textes une sorte de tableau abstrait, une toile qui redit ce que le poète dit en silence.

 

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