Un jour je prendrais le chemin des arbres (Première partie) : conte de Rémy Ducassé dit Erdé- Bastia –France

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Rémy Ducassé

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« Il était une fois à « La Romieu », mon petit village de la campagne gersoise…du temps où j’étais menuisier-ébéniste… »

La voix usée tout à la fois douce et rocailleuse de Joseph mon aïeul comme à l’accoutumée commença ainsi le récit que j’ai eu l’envie de partager avec vous toutes et tous – petits(es) ou grands(es).

En ces instants aussi rares que précieux, tous mes sens étaient en éveil.

Je retins mon souffle.

– « L’arbre, c’est du bois chaud et de la sève au cœur. Les arbres me connaissent aussi bien que je les connais.

Ma vie s’est déroulée en copeaux d’acajou, de charme, de sapin, de tilleul, de frêne, de châtaignier ou de chêne.
Ma vie, me dit-il, c’est mon rabot, mon établi, mes gouges, mes chevilles, mes clous et mon bois. Toutes ces planches empilées là bas au fond sous mon appentis. Ma vie, c’est tenon et mortaise.

Encore aujourd’hui, malgré mon grand âge, quand mon bois chante, je chante avec lui. Il se moque pas mal de ma voix éraillée, enrouée. Heureusement, puisque c’est sa sciure qui me l’a cassé ma voix. Mon bois craque, il joue tout au fond de mon atelier, dans sa chaude poussière.

Le bois me dit :

– « Tiens, le vent va tourner, la pluie menace, ici l’humidité revient ».

« Ces guetteurs, ces vieux dont je te parlais l’autre jour, surveillent les cieux et l’horizon lointain, les mains en visière, moi je regarde mon bois et je me dis ::

– «Père Joseph, tu vieillis, mais ton bois garde sa sève, lui. Il bouge, il te parle, il vit aussi sa vie, il se souvient ».

« Eh !! Oui, mon garçon, le bois se souvient : du vent, de la neige, de la pluie, du feu du soleil, du gel de l’hiver, des mauvaises intentions de certains hommes, comme du canif des enfants qui le marquent. Deux cœurs entrelacés. Mais est-ce encore de ce temps de marquer les troncs de deux cœurs entrelacés… ?/

…/Crois-moi mon p’tit le bois se souvient du temps qui passe ?

Il nous dit des secrets que nous portions sans le savoir au fond du cœur ou des secrets que nous pensions avoir oubliés. Cela nous aide à comprendre le sens de la vie. Cela nous rassure…/

…/Ah, mon garçon, j’en ai construit des lits, des tables, des armoires, des buffets, des berceaux, des vaisseliers, et des coffres, des étagères, des bancs et des tabourets.
Tu sais de ces lits carrés, solides, bien calés dans un angle de la chambre.
De ces lits qui abritent au petit matin, la douce quiétude des enfants, même celle des grands, jamais rassasiés de caresses et de tendresse,  jamais désaltérés par tant d’embrassades.
Tous ces ouvrages nés sous mes mains râpeuses eux aussi continuent de vivre. Même lorsque leurs usagers ont disparu ; ils nous racontent leurs histoires si nous savons y prêter l’oreille…/

…/Si vous les interrogez, ils vous diront de ces hommes, de ces femmes, de leurs enfants et petits-enfants, les petits secrets.
La couleur de leurs yeux et la saveur de leurs baisers. Ils vous diront tous leurs défauts, leurs joies, leurs bonnes ou mauvaises habitudes, leurs disputes, et leurs réconciliations. Leurs rires et leurs larmes ».

En ce temps là mon petit, poursuivit Joseph :

– « Ma scie ronronnait, mon rabot faisait jaillir les copeaux. Petites spirales brunes ou blondes, tels des frisottis de jeunes enfants, tombant sur mes sabots.

Eh !! Tu es incrédule, mais il n’y a pas si longtemps que l’on portait encore des sabots…/

…/Les copeaux de forme spirale, bruns ou blonds, comme une neige aux odeurs de septembre ou une pâque aux senteurs de fagots. L’odeur du bois, au début quand on n’est qu’un grouillot, un arpète, c’est comme l’ostensoir pour l’enfant de cœur distrait. Une sorte de saint Sacrement que l’on porte en soi presque sans y penser. Puis plus les années passent cela devient du sérieux, comme une deuxième naissance – comme l’hésitation des petits pas chancelants d’un nourrisson – l’émoi des premiers mots amoureux.

Je fermais un peu les yeux. Je respirais. Je humais. J’hésitais. Je cherchais dans la mémoire de mon nez. Je comparais, la mémoire de mes odeurs…/

– Comprends-tu mon garçon ? »

Le silence seul répondit en acquiescement au conteur. Je n’ai pas osé lui dire quoique ce soit. Je buvais ses paroles, comme on boit à une source pure et fraîche de la montagne.

Après cette seconde de pause, légère comme une plume, la voix un peu blanche reprit :

– « Tout ce que je viens de te dire n’est qu’instinctif. C’est le bois qui est le maître – enfin, le premier maître – en second il y a eu le compagnon du devoir qui m’a pris à ses côtés – sous son aile. Ce Maître compagnon était tout à la fois bienveillant et terriblement exigeant ».

– « Au début le bois ne m’a laissé rien découvrir de lui, ni de ses origines, ni de quel arbre il provenait, ni de quelle terre celui-ci a été arraché. Le bois ne m’a raconté aucun de ses secrets. Devant lui, je me suis incliné. Patiemment, j’attendais que le maître me dise. Timidement, un jour de peur de me tromper, car moi je ne sais pas : je me hasarde : « c’est du noyer, non c’est du sapin ».

– « Oh !! Oui au début je me suis trompé souvent – et j’en ai souvent rougis. Chaque fois le compagnon me reprenait, un sourire indulgent au coin de l’œil. L’exigence et la bienveillance incarnées en un seul homme. C’est seulement ainsi que les Humains progressent, lentement sur les chemins escarpés de la sagesse, me disait-il »…/

Un jour je prendrais le chemin des arbres.

 

(A suivre )

 

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