Je n’ai pu peindre la lune par :Saiif Ali Dhrif – Dar Chaabane El Fehri – Tunisie

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Saiif Ali Dhrif

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Le café est noir sombre

Mon humeur ressemble à cette nuit

Je n’ai pu peindre la lune

Je n’ai même pas pu allumer mes cigarettes

Peut-être parce que je n’étais pas sûr

De la blancheur de la feuille

Peut-être parce que je n’ai pas ouvert le conte

Comme un enfant

Tout en souhaitant la victoire du héros

 

Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor :

 

L’impossibilité de s’exprimer est un état rare mais que connaissent pourtant bien les vrais poètes, écrivains et artistes. Et il se présente comme une sorte de blocage devant la feuille blanche ou la toile ou tout autre support pour l’œuvre de création à réaliser. J’ai dit « les vrais » parce que les simples amateurs et les versificateurs en poésie ou les « «  dans le domaine du récit ne peuvent pas, en principe, le connaître car, pour ceux-là , la création se réduit à une opération de fabrication ou de bricolage  qui ne nécessite aucune abstraction du monde extérieur et aucun repli sur la vie intérieure .L’état  d’inhibition devant le papier blanc que ressent l’auteur de ces vers au moment où il tente de s’exprimer est une preuve que l’acte de création chez  lui ne s’accomplit qu’en fonction de ce qu’on appelle communément « l’inspiration »  qui se présente comme un état de recueillement au cours duquel le poète ou l’écrivain ou l’artiste se sent assailli par des idées surprenantes et des fantasmes auxquels il n’a jamais pensé. Le grand poète tunisien Aboulkacem Chebbi (1909-1934) avait , d’ailleurs, affirmé dans ses mémoires qu’il avait une fois composé tout un poème en plein sommeil et lendemain , en se levant , il n’avait fait que le transcrire sur le papier sans la moindre modification .D’où vient donc cette inspiration ? Et a-t-elle quelque chose de  commun avec la révélation divine que reçoivent les prophètes ? Pour les cogniticiens et les neuroscientifiques qui se penchent depuis quelque temps sur ce phénomène, l’inspiration proviendrait d’une zone encore inexplorée du cerveau humain qui est composé , comme on le sait , de près de quinze milliards de neurones .D’autre part,  l‘un des caractères les plus marquants de ce phénomène est qu’il ne dépend  point de la volonté du créateur mais il surgit brusquement au moment où il ne l’attend guère .Ce qui fait qu’en son absence , le créateur se trouve  dans un état de blocage communicatif total comme l’a si bien décrit notre  auteur .

Sur le plan du style , Saiif Ali dont je connais bien le parcours use souvent de la technique dite  « la poéticité des choses » chère au poète français  Francis Ponge (1889 – 1988 )qui consiste à faire parler les choses pour rendre compte du  « monde muet» qui est «  la seule patrie » des poètes .Et à Ponge de préciser : « c’est bien ainsi qu’il faut concevoir l’écriture : non comme la transcription, selon un code conventionnel, de quelque idée mais à la vérité comme un orgasme. ».

Enfin, l’auto-identification dans les deux derniers vers  à l’enfant  entièrement absorbé dans le monde féérique des contes est une autre preuve du  caractère irrationnel et indéfinissable de l’inspiration.

 

 

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