L’homme au perroquet (3ème et dernière partie) nouvelle de :Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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La chasse
C’était une matinée de Toussaints, douce et humide. Décidément, je ne m’attendais pas à ce brusque changement de temps. Le mois d’octobre nous a habitués plutôt aux violents poussés du froid et du vent venant du nord. Ce matin, je me suis habillée donc en conséquence : un gros pull et une veste de sport doublés d’une imitation de peau de mouton. Au bout de quelques pas, j’étais déjà en nage. Mon cœur battait d’une façon alarmante comme des ailes d’un oiseau affolé qui essaie de s’échapper de sa cage.
Dans le Parc Wolvendael, des grosses gouttes glissaient le long de branches presque mises à nu, qui expiraient une vapeur blanchâtre mais translucide, pareille au souffle d’un fantôme. Les feuilles jaunes et orangées descendaient encore, doucement du ciel comme des lettres envoyées de l’au-delà. J’avançais, malgré la douleur sourde dans ma poitrine. Sophie venait de me rejoindre. – Hello Edouard !
J’ai presque oublié que je m’appelais Edouard, à la force d’entendre toujours : « mon fils, mon petit… ». A part ma mère et en dehors de mon travail, je ne voyais personne. De tout de façon, maman veillait à ce que toutes mes rencontres féminines soient ternies d’un de ses mots acides, ou d’une remarque juste, sur le physique ou le mental de ma supposée future partenaire. Les copains… je ne les avais pas, car ils étaient pratiquement tous mariés et ils ne parlaient que de leur marmaille – le sujet qui m’était complètement étranger et qui, ne me concernant pas, me mettait mal à l’aise.
– Alors, Edouard, comment ça va, ce matin ? – la voix décidée de Sophie et le saut brutal de son chien m’ont fait perdre le sens d’équilibre. Et pendant qu’elle m’embrassait, lui aussi essayait d’atteindre mon visage avec sa grosse langue baveuse. C’était un croisement d’un labrador avec un Puli, ce chien énorme avec une épaisse fourrure bouclée. Pouffi, car tel était son petit nom, bavait beaucoup et ses élans de tendresse envers moi, laissaient toujours des traces visqueuses sur ma veste, sans compter les empreintes de ses pattes boueuses qui se sont incrustées sur mon pantalon comme des tampons. Maman ne va pas être contente – une pensée me traversa l’esprit. Je regrettais de ne pas avoir mis un vêtement plus sombre, plus usé, celui avec lequel je descends habituellement des poubelles. C’était trop tard, de toute façon, pour avoir des regrets.
Puisque je ne répondais pas aux questions de Sophie concernant mon état ce beau matin, nous avons continué en silence. Bientôt, d’autres maitres avec leurs compagnons à quartes pattes commençaient à affluer dans des vastes plaines et des bosquets. Sophie les connaissait tous. Elle avait toujours ses poches remplies de biscuits. Poche gauche pour les maitres, poche droite pour les canins. Parfois elle se trompait de poche et en s’excusant rougissait d’une façon délicieuse.
Tout le quartier était là. On échangeait des nouvelles et des mondanités, comme au marché. En fait, rien d’intéressant – des mariages, des divorces et surtout, surtout… l’état de santé de quadrupèdes.
– Vous savez, Médor a eu les diarrhées pendant trois jours !
– Mais quelle horreur !!! Pauvre petit. Mon Azor est plutôt constipé ce temps-ci.
– Diane ! Diaaane !!! Où es tu ma chérie ? Sale bête ! Viens voir maman… Je viens de la stériliser et elle est mal au point…
– Vous avez entendu, l’histoire de cette fille, la petite Italienne, fiancée de Monsieur Leonardo ? Neron, au pied !!!
– Quoi, quoi, comment ? – j’ai essayé de savoir un peu plus, pour une fois que ça commençait à devenir intéressant. Mais le propriétaire de Neron s’est tue à jamais, interpellé par le maitre d’une belle Lessie, sauvagement agressé par « l’empereur ».
– Ca ne fait rien, on reviendra – me consola Sophie.
– Oui, de tout de façon il faut rentrer, sinon maman va s’inquiéter.
*
Dans la Vallée des Loups, le crépuscule a joué sa carte de terreur. Des ombres ténébreux sont sorties de leurs cachettes. Des silhouettes menaçantes descendaient de tous les côtés des collines pour noyer leur regard verdâtre dans l’eau sombre et algueuse. De partout, des bras prolongés des arbres centenaires s’agrippaient à mon ombre pale. La lune se leva doucement et le cri aigu et sonore d’un oiseau de nuit perça les ténèbres, de son air mélancolique. Dans le parc de Wolvendael jadis le loup, le renard et l’hibou chantaient leur sérénade sauvage. Mais à ce jour –ci, il ne reste que leurs images gravées quelque part dans la mémoire de bosquet.
Je traversais le parc. Il ne faisait pas encore tard. C’est mon imagination qui m’a joué encore une fois le détour. Je cherchais… je ne sais plus quoi. Je me suis perdu dans mes pensées. Les rues de l’autre côté du parc m’accueillaient, fraîches, bien éclairées et sécurisantes avec leur long filé de maisonnettes parfaitement entretenues, collées les unes aux autres. Rien ne brisait le calme du soir. Rien.
D’un coup, mon système olfactif s’est mis en marche, irrité par une odeur forte et douce à la fois. Tubéreuse… – j’ai pensé. Non, non… c’était une fragrance beaucoup plus lourde et plus sucrée. J’ai fermé les yeux en imaginant une fille, en gris, un oiseau exotique… ça y est ! Je la tiens ! C’est l’odeur de gardénia. L’odeur de la mort. Non ! Non !
– Chut ! Mais arrête ! Réveille-toi ! Pourquoi tu cries comme ça ?
– ça y est. Je connais cette voix ! Je t’ai reconnu !!!
– Mais évidemment, c’est moi, ta maman. Qu’est-ce qu’il t’arrive encore, mon petit ?
J’étais en nage, en sueur et il m’aurait fallu un bon moment avant que je ne réalise que je me trouve chez moi, dans mon lit et que le spectre qui se lève à côté n’est rien d’autre que la silhouette de ma génitrice.
– Non, rien, ce n’est rien. J’ai eu un cauchemar.
– Tu vois, je t’ai pourtant dit de ne pas manger n’importe quoi au couché : pas de chips, de saucisson à l’ail, de l’œuf au mayonnaise…
– Oui, oui, j’ai compris, va te coucher maman – j’ai dit impatiemment. J’avais sommeil.
– … et surtout pas de bière, c’est très mauvais le soir. Tu sais, notre voisine…
ça y est, c’est parti. Elle s’est assise au bord du lit et commença son discours. Elle, elle n’avait pas de sommeil, visiblement.

Le lendemain, je me suis levé tôt, on peut dire à l’aube, pour vérifier toute cette histoire de senteurs, pour revoir, encore une fois, cette histoire, enterrée depuis longtemps, l’histoire sans résolution, celle de Leonardo. Sans faire du bruit et sans même déjeuner (!) ,je me suis précipité vers la sortie. Le ronflement puissant m’accompagna jusque en bas. La maison était endormie.
J’ai traversé le parc qui, en se frottant les yeux, s’habillait paresseusement dans sa robe automnale. Les bruits et les chuchotements de vent entre les branches n’avaient rien d’effrayant. La rosée perlait sur la pelouse attirant le regard par son éclat de mille de diamants. Rien ni personne ne pouvait troubler ce calme majestueux. Je continuais ma route.
Soudainement, c’est exactement comme si la porte de mémoire venait de s’ouvrir, les « déjà –vu » sont revenus à nouveau, avec leur force redoublée, avec tous leurs fragrances, leurs sonorités lointaines, leurs images brouillés par la force de temps et de l’éloignement par l’espace. Oui, je l’ai vu, loin de l’au-delà, courbé au-dessus d’un ombre inerte de son professeur du piano, disparue si soudainement et sans laisser des traces. Je le vois encore, je sens son parfum lourd et enivrant. Est-ce lui, est-ce moi ?
La jeune pianiste était plutôt effacée, insignifiante. Mais une fois au piano, la force d’intérieur qui émanait d’elle, faisait vibrer n’importe quelle âme. Même celle de Leonardo. Il arrivait chez elle, les bras chargés de fleurs – lys et jasmin – le duo blanc immaculé, comme ses sentiments. Il posait ses mains sur l’ivoire du clavier en cherchant de la convaincre. La fille restait imperturbable aux passages ardents qu’il avait pourtant travaillés à la maison avec acharnement. Néanmoins, elle comprenait ses sentiments, car le langage de la musique est universel et il n’avait aucun secret pour elle.

Comment est-ce possible qu’un jour elle avait disparu, s’était envolée, partie en voyage, laissant tout derrière elle ?

Pendant un moment j’ai même oublié cette histoire. Il est possible qu’elle n’existe que dans mon imagination. Mais, moi aussi, j’ai toujours rêvé d’apprendre le piano avec un professeur comme elle…

Fin de la nouvelle

                                                                                                        Monika Del Rio

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