Mémoires d’un critique : L’homme de lettres Tawfiq Baccar et le mouvement d’avant-garde tunisien

Tawfiq Baccar

 

Dans cet article que je joindrai  à  mon livre   dans mon livre «  Mémoires d’un critique », je ne parlerai pas de Tawfiq Baccar en tant que professeur universitaire mais comme critique littéraire lettres actif  sur la scène littéraire depuis les débuts des années soixante.

A des années soixante et aux débuts des années soixante-dix cet écrivain manifestait une attitude plutôt négative vis-à-vis le mouvement d’avant-garde littéraire tunisien (1968 -1972).

Il avait trois principales réserves à l’égard de la poésie « ni verticale ni libre » qui est en prose mais dont les vers sont rimés . La première est que dans cette poésie du point de vue forme,il n’y a ,selon lui, rien de nouveau parce qu’elle reproduit fidèlement ou presque un genre prosaïque arabe ancien paru au IVème siècle de l’Hégire ( après J-C.) dit « maqama » ( littéralement « séance » ) dont il ne s’en différencie que par la distribution des phrases sous forme de vers au  lieu de paragraphes. Et il se demandait pourquoi on a appelé ces textes des poèmes alors que ce sont de petites « maqamas ».

La deuxième réserve est que cette  « poésie ni verticale ni libre « ne peut être  à la base d’un courant poétique, parce qu’un courant de ce genre  doit nécessairement s’ériger sur une base intellectuelle ou sémantique ou thématique  et non purement formelleà  l’instar du  lyrisme chez le romantiques, les significations symboliques chez les symbolistes, les images puisées dans l’inconscient chez les surréalistes, l’effet poétique engendré par les images surprenantes chez les adeptes du poème libre , alors que les thèmes qu’abordent les adeptes du groupe de la « poésie ni verticale ni libre » sont très éloignés les uns des autres.

Quant aux nouvellistes, il n’y a, selon lui ,qu’un seul écrivain convaincant Ezzedine Madani .Ce jugement extrêmement sévère, il l’a déclaré dans une conférence qu’il donna en 1971  au club Tahar Hddad. Et bien qu’aucun de nous n’y eut assisté, nous le sûmes à travers quelques  journaux de la place qui en avaient publié des comptes-rendus.

Deux ou trois jours après, je m’étais rendu à notre café habituel « Brazilia »  sis à l’intérieur du complexe le Palmarium  où je trouvai le groupe très affecté par cette déclaration. Certes, Ezzedine était notre ami et l’un de nous mais aller jusqu’à effacer l’existence de tous les autres nous parut agressif .Certains avaient dit : « Il faut lui répondre » mais moi et Hassine Loued leuravions répondu : « Nous ne lui répondrons jamais parce qu’il est notre professeur ».Le poète Hamadi El Kar qui était étudiant en  sciences de l’éducation dit alors : «  C’est moi qui lui répondrai » et il avait écrit un article très percutant que nous avions publié en tant qu’éditorial dans notre page culturelle « Les dépassements » (Attajaouzet) au journal « Les jours » (El Ayyams ).Et bien que cet article fut signé par son auteur, Si Tawfiq , très affecté , ne m’adressa plus la parole ni à  Hassine Loued le reste de l’année universitaire 1970 -1971 et nous ne fûmes réconciliés que l’année d’après.

La troisième réserve de Tawkiq Baccar concernait l’adoption par les avant-gardistes  de l’appel du critique et nouvelliste  Mohamed Bachrouch (1910 -1934) aux années trente à une littérature nationale tunisienne ni orientale, ni occidentale. Selon lui, l’avant-garde n’a pas tenu compte de la différence entre le contexte colonial dans lequel avait vécu Mohamed Bachrouch et qui exigeait l’unification de toutes le forces pour faire face à l’oppresseur d’où la pertinence  à cette époque de son appel à une littérature nationale et le contexte présent où le pays est indépendant et  il n’y a que de contradictions sociales et économiques , d’où la nécessité pour chaque intellectuel de choisir son camp,

Plus tard en 1989,lors de la soutenance de la thèse de 3ème cycle de feu Taher Hammami à la faculté des lettres et des sciences humaines de Tunis sur « Le mouvement de l’avant-garde littéraire en Tunisie »,Tawfiq Baccar, qui était membre du jury, avait parlé plus d’une heure  prononçant un véritable réquisitoire contre  le mouvement d’avant-garde  dans lequel il avait contesté même  son appellation d’« avant-garde »et il m’a attaqué personnellement en disant que Mohamed Salah  Ben Amor copiait sur Philippe Sollers,le chef de file du groupe « Tel Quel » en France .Et pour qu’on ne pense pas qu’il m’attaque en mon absence, il dit « Mohamed Salan Ben Amor est présent avec nous  dans la salle ».

A l’entracte,  j’étais allé le trouver et lui dit «  Si Tawkiq ,Phlippe Sollers était venu en 1974  à Tunis et donné une conférence à l’institut français de Tunisie.Y avez-vous assisté ? » -« Non,me dit-il, j’en avais entendu parlé mais je n’y avais pas assisté ». « Il avait dit, enchaînai-je, vous avez en Tunisie un avant-garde différent du nôtre et il m’a cité de nom ainsi qu’Ezzedine Madani ».Je possède son livre théorique La littérature et l’expérience des limites. Voulez-vous que je vous l’apporte pour voir si j’ai en copié une seule phrase ? Mais si Tawjfiq était pressé pour rejoindre la tribune et ne dit rien.

En cette période ;il organisait des rencontres au centre culturel de Tunis qu’il consacrait à la présentation des poètes et deux ou trois semaines après notre rencontre, il m’appela pour présenter sous sa présidence le poète Souf Abid qui  avait fait paraître trois recueils en poésie ni verticale ni libre. Aurait-il revu ses positions et  changé d’idées ?Je ne peux le savoir parce que depuis, nous n’avions pus parlé de l’«avant-garde.

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