Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :36–Les poèmes de France Bernard:36-2: Que faire…

France Bernard

 

Quand je me mure dans l’inaction

Quand la vie du dehors m’inonde

Quand je ne peux plus respirer le monde

Quand mon cœur bat dans la pulpe de mes mains

Quand ma musique perd ses partitions

Je passe des heures au piano

Tapotant sur le désaccord des touches

J’étudie les sonates de l’amour

La musique classique s’est éteinte

Le clavier d’ivoire s’est refermé

Dans la course des pleurs

Le flux s’écoule en symphonie

Sur mes jours et dans mes nuits …

 

Ce titre me rappelle celui du fameux livre de Lénine, à la différence que l’objet d’incertitude chez ce leader politique russe, à savoir le plan qu’il devait mettre au point pour faire chuter le régime des Tsars  était  totalement opposé aux préoccupations subjectives et personnelles de notre poétesse qui se résument en un sentiment d’incapacité de contrer l’ennui et la monotonie, lesquels semblent  de plus en plus s’ériger comme un véritable  mal de siècle, créant chez l’individu une crise aiguë d’adaptation et d’accommodation avec le train-train quotidien. Cet état de gène qui semble, selon les propos de la locutrice, être né d’un fort attachement au goût et au genre de vie classiques qui se trouvent aujourd’hui malmenés et presque supplantés par de nouveaux styles et de nouvelles vocations sans qu’ils réussissent toutefois  à s’affirmer comme de solides alternatives  (je passe des heures au piano tapotant sur le désaccord des touches j’étudie les sonates de l’amour la musique classique s’est éteinte le clavier d’ivoire s’est refermé). Sommes-nous ainsi en présence d’une âme ayant un goût excessif pour le passé et qui  est   fortement dépaysée devant une nouvelle réalité qu’elle trouve déformée et défigurée ?

Sur le plan stylistique, la poétesse , pour rendre le caractère pesant et stressant de l’ennui , a , d’un côté, usé massivement de l’hyperbole (je me mure dans l’inaction – la vie du dehors m’inonde -je ne peux plus respirer le monde – mon cœur bat dans la pulpe de mes mains…etc. ) et de l’autre, a misé, dès le début, sur les sonorités répétitives surtout l’anaphore dans les cinq premiers vers( Quand :5 fois) et le rythme interne  par le recours à l’asyndète c’est-à-dire  l’absence de conjonctions de coordination entre les phrases .

Un poème léger , à haute charge émotionnelle, peignant un tableau mélancolique , celui de l’âme humaine  au début de  ce vingt-et-unième siècle .

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