Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :21 –Les poèmes de Tuqa Morsi:21 –1 : Mon désordre brille !

Tuqa Morsi

 

Tel un assoiffé demandant  au nuage

De déverser la pluie dans une cave obscure,

J’entame la nuit par le silence…

Aucune fenêtre, ni un jour ne bavarde…

Ce n’est pas l’heure de dormir !

Y ‘a-t-il quelqu’un pour  verser le sommeil

Sous mes paupières ?

Je m’accoude au dernier enfant

Courant dans mon sang.

je plonge dans mon âme. 

Je me baigne dans mon cœur deux fois.

Aussitôt  mon désordre  brille !

 

(Tuqa Morsi  poète égyptienne )

 

La description sombre et pathétique que  l’auteure de ce poème nous donne de son état d’âme est en train de devenir un dénominateur commun  donc une constante dans la poésie arabe depuis l’avènement de ce qu’on a appelé « le printemps arabe » .Ebranlé violemment par la montée de l’intolérance et des voix accusatrices à l’encontre des artistes et des libres penseurs et leur marginalisation de plus en plus accrue, le dispositif émotionnel des créateurs et parmi eux les poètes s’en est trouvé gravement altéré .Et chacun d’eux en fait part à sa façon et selon sa situation  propre. A travers les  vers ci-dessus que nous propose la poétesse égyptienne Tuqa Morsi, six types d’affects négatifs traversent de part en part la psyché de la locutrice : le sentiment d’être privée  d’attention et d’égards exprimé  sous la forme d’une  soif intense ( tel un assoiffé demandant  au nuage  de déverser la pluie dans une cave obscure) , l’insomnie  aigüe d’anxiété  (ce n’est pas l’heure de dormir ! Y ‘a-t-il quelqu’un pour  verser le sommeil sous mes paupières ? ), la phobie de vieillissement se manifestant dans le retour inconscient à l’enfance  (  je m’accoude au dernier enfant  courant dans mon sang  )  , la solitude matérielle (j’entame la nuit par le silence… aucune fenêtre ou un jour ne bavarde…) , le repli sur soi (je plonge dans mon âme –  je me baigne dans mon cœur deux fois)  et enfin le démembrement psychique et psychologique  (Aussitôt mon désordre brille ! ).Le style , quant à lui, se distingue, comme d’habitude, par un haut degré d’abstraction qui a eu pour effet de débarrasser la langue de la poétesse   des sens communs et d’y faire foisonner des images déroutantes et des écarts étincelants .Ce qui en dit long sur la sensibilité esthétique fortement aiguisée de cette poétesse .

 

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