Les entretiens de « Culminances » : 13 – Avec la poète tunisienne Zouhour El Arbi

ZouhourEl Arbi

Zouhour El Arbi est née au gouvernerat de Siliana (Tunisie) et habite à Tunis .Elle a fait ses études secondaires  au lycée secondaire du Sers (Tunisie).Elle enseigne  aux écoles primaires .Poétiquement, elle fait partie d’un groupe de  poètes qui ont été sélectionnés par la revue « Culminances » où elle s’est distinguée par une série de poèmes qui ont fait l’unanimité du comité de lecture et du public. Sa poésie oscille thématiquement entre l’engagement et le lyrisme, lesquels s’entremêlent parfois dans le même texte. Sur le plan du style, tout en prenant garde de ne pas verser dans la dénotation en accumulant les connotations, les symboles et les sens seconds, elle privilégie la communicabilité et préserve sa langue de l’ambiguïté excessive.

Ses recueils de poésie :

Une femme du temps de l’amour, éditions Sanabil ,Siliana(Tunisie) ,  2010 – Arabe et je m’en targue, à compte d’auteur ,Le Kef (Tunisie )2011- Le hennissement de l’âme,à compte d’auteur, Rabat 2013 – Briska, à compte d’auteur,Rabat  2013 – Et il a enseigné à l’homme, El Majal éditions ,Ezzahza (Tunisie) 2013 – Ö toi, traduit de l’arabe par Najet Bokri, Editions Hadil ,Sfax(Tunisie) 2014- Catharsis de l’âme , traduit de l’arabe par Salah Mourou, éditions Raslan,Tunis 2015.

Question 1 : Avant la révolution, vous étiez marginalisée et à ce propos, le poète feu Abdallah Malek Gasmi qui était natif de la même ville que vous, Essers, m’avait dit qu’il imputait votre marginalisation au fait que votre mari était un syndicaliste opposant au régime. Etait-ce pour cette raison que vous étiez écartée de la scène culturelle ?

Zouhour El Arbi : Que Dieu couvre le poète feu Abdallah Malek Gasmi qui m’encourageait avec insistance à continuer à écrire et à ne pas tenir compte des difficultés. « Tu es à travers tes textes obstinée et je prédis pour toi un avenir remarquable sur la scène littéraire tunisienne et arabe », me disait-il .Et il me prodiguait des conseils, corrigeait les fautes que je commettais , lisait mes textes et les commentais sur mon mur de facebook .Il choisissait lui-même quelques uns de mes poèmes et les publiait dans le journal « El Akhbar »(Les nouvelles),sachant que j’ignorais qu’il était responsable de la page culturelle de ce journal.
Quant à ma marginalisation , elle était de mon propre choix, car j’avais opté délibérément pour l’écriture loin de la scène littéraire et tout particulièrement pour n’exercer aucune activité qui m’obligerait à faire des concessions de nature à me déplumer les ailes, surtout que le comité de coordination du parti au pouvoir de la région du Kef et des représentants de ce parti dans ma ville natale Essers m’avaient proposé au cours des années 2009 et 2010 la présidence de l’union nationale de la femme au Kef et promis de faciliter l’édition et la diffusion de mes livres. Mais j’avais décliné ces propositions sans que je fusse une héroïne. J’avais tout simplement feint de justifier mon attitude par l’intransigeance de mon mari et son refus que j’exerce de telles activités, ainsi par le fait que mes enfants étaient encore petits. Toutefois, je n’avais senti de leur part aucune contrainte parce que je m’imposais déjâ des restrictions et gardais la distance de sécurité. Et peut-être la punition la plus amusante qui m’avait été infligée, était que le directeur de l’école où j’enseignais, qui était en même temps le président d’une cellule du parti au pouvoir, m’excluait lors de la distribution des cartes d’adhésion au parti.

 

Question 2 : Votre concitoyen feu Abdallah Malek Gasmi était depuis les débuts des années 80 responsable d’une page culturelle puis il avait travaillé comme fonctionnaire à l’union des écrivains tunisiens. Pourquoi n’aviez-vous pas eu recours à lui pour vous faire sortir de cette marginalité ?

Zouhour El Arbi : Je n’ai pensé à recourir à personne pour m’aider, même pas le poète feu Abdallah Malek Gasmi qui publiait mes textes de soi-même puis m’envoyait une copie de la page culturelle où avait paru chaque texte. Et je n’étais à aucun moment battue mais j’étais par contre et je le suis encore la maîtresse de moi-même, sachant que je ne maîtrise pas l’art de me tenir debout sur les seuils et mes relations sont bonnes que ce soit avec les écrivains ou les poètes, loin de tout intérêt et ils me connaissent parfaitement, car j’étais parmi les fondateurs du bureau régional des écrivains de la ville du Kef en 2011, donc il n’y a aucun intérêt à expliquer les détails…j’ai assez de dignité pour ne pas m’avilir en tant que poète devant une personne ou une institution ou union quelle que soit la raison .Et cette marginalisation était pour moi plus honorable hier et aujourd’hui .

Question 3 : Pourquoi n’avez-vous pas exploité votre situation d’avant la révolution pour revendiquer des privilèges, du soutien matériel, des voyages à l’étranger …ect… comme l’ont fait des centaines d’écrivains et de poètes qui ne possèdent pourtant aucun passé militant ?

Zouhour El Arbi : Pour moi, la dignité n’a aucun prix et je remercie Dieu que j’écris par amour pour l’écriture sans attendre que quelqu’un me récompense pour des prises de position ou des principes que j’ai choisis par conviction. Les occasions avant la révolution étaient nombreuses  et les opportunités alléchantes étaient de haut calibre mais je me tenais debout sur un sol solide, ce qui m’avait évité de tomber dans le piège, sans toutefois  prétendre que j’étais  héroïne. Quant aux voyages, aux privilèges et au soutien, ils ne m’ont jamais intéressée, ni avant ni après la révolution. Et si cela devenait un jour  inévitable en tant que droit que je mérite, je voudrais qu’on me l’accorde par la reconnaissance de ma personne comme poète et écrivaine digne de respect qui a  façonné son expérience avec acharnement et confiance en soi , ni plus ni moins.

 

Question 4 :Poétiquement, vous appartenez à la génération des années soixante-dix qui avait opté pour l’usage de l’ambigüité et la condensation des connotations afin d’affiner l’expression poétique. Mais vous avez préféré la poésie de réflexion porteuse de message. Pour quelles raisons avez-vous opté pour ce genre d’écriture?

ZouhourEl Arbi : Chaque écrivain a son style propre  et à chaque style son attrait. Et quiconque a vécu les mêmes conditions que moi,  était comme moi disciple de l’artiste engagé Lazher Dhaoui et  a subit l’influence du poète philosophe arabe ancien El Maarri et des  poètes arabes modernes   Nizar Qabbani, Mdhaffar Ennawwab,Ahmed Matar,Fadwa Touqan,Nazek El Malaika et autres voix libres adhère instinctivement à la poésie de réflexion porteuse  un message. Et combien avons-nous besoin de ce genre de poésie dans notre réalité culturelle !…sans compter que je suis absolument certaine que tout verbe non-porteur de message et qui ne sème aucune idée ne sera d’aucune utilité.

Question 5 :votre choix de la poésie de réflexion transmettant tant un message a –t-il un lien avec votre profession d’enseignante, sachant que la communication est le pilier de l’enseignement ?

Zouhour El Arbi : Oui, ma profession d’enseignante est peut-être l’un des éléments qui ont influé sur le choix du genre de textes que j’écrits.  Même ceux qui sont ambigus  ne sont pas dépourvus de message et d’idée à transmettre, sachant que je ne fais pas cela intentionnellement. Et vous n’ignorez pas que le poète ne se prépare pas au poème mais  le poème lui vient à l’improviste, faisant déverser les nuées de l’âme et s’en suit la naissance du poème.


Question 6 :On remarque que vous vous investissez beaucoup dans l’animation culturelle, aussi bien au sein des clubs qu’à la radio. Est-ce une ancienne passion ? Et que vous a-t-elle apporté du point de vue littéraire pur ?

Zouhour El Arbi : L’animation à la radio et à la télévision est l’un de mes  rêves fugitifs. Mais combien de rêves se sont évaporés et combien de contrariétés ont mis fin à nos désirs ! Quand j’exerce l’animation, j’ai l’impression que j’écris un poème différent avec le style de Zouhour El Arbi  et ce poème je le vis spontanément avec amour et passion, dans le but de soutenir à fond les fervents du verbe en premier lieu,  vu que je compte parmi ceux qui connaissent le plus leur précarité  et leur besoin de confesser leurs obsessions et d’être lus. La connaissance de leurs expériences et de leurs écrits m’a été très enrichissante .En effet,comme il est beau de sortir de ses propres  textes pour embrasser des textes différents !

Question 7 :Vous poèmes laissent entrevoir une forte tendance à l’universalité. Croyez-vous que ce courant est réaliste et qu’il a une chance de réussir devant l’hégémonie des grandes puissances mondiales, la cupidité des multinationales et le racisme ?

Zouhour El Arbi : Comme le mot « révolution »  est devenu  banal  et usé ! Surtout que quiconque veut jouer le rôle de Don Quichotte ou de l’héros ou de la victime ou du pseudo-révolutionnaire, n’a que lever la pancarte de cette « révolution »qui a été vidée de ses significations .Et quiconque exprime son avis se trouve accusé d’être partisan du régime précédent, afin qu’il avale sa langue et s’aligne derrière le troupeau. Comment  change-je donc d’avis alors que je vois l’obscurité avance vers cette patrie plongée  dans  la cohue,  les saletés, là pauvreté, la cherté de vie, la chute sans précédent des valeurs et des principes, en plus d’un recul terrible sur les plans  sécuritaire politique, économique et éducationnel ?

La patrie est devenue un gâteau et les partis se battent afin d’en obtenir le plus grand morceau. Ne me demandez pas où nous étions et ce  nous sommes devenus ! Je laisse à mes poèmes le soin de répondre à ma place et ma plume continuera à défendre cette partie comme si elle était l’un de ses soldats les plus dévoués, cette patrie épuisée par les accords, les calculs des partis et l’égoïsme. Nous vivons dans une patrie épuisée par les compensations et les indemnisations à une époque où le militantisme  est devenu un prétexte pour s’enrichir outre mesure et appauvrir les enfants de cette patrie !

 

Question 8: Vous appartenez à la sélection de poésie mondiale. Quelles sont vos impressions sur la poésie traduite dans notre espace en langue arabe ? Et reflète-elle des préoccupations différentes des nôtres ?

Zouhour El Arbi : Premièrement, cela m’honore de faire partie de la sélection poétique mondiale qui a bien accueilli mes textes en prenant soin de les publier, les  traduire  et les commenter et  m’a permis de lire à des écrivains provenant du monde entier des textes traduits en arabe et publiés dans la revue « Culminances », lesquels reflètent  leurs problèmes existentiels et leur engagement  en faveur de l’homme libre  en tant que corps , sentiment , réflexion et croyance. Il leur arrive parfois de privilégier avec audace le corps au détriment de l’âme et certains de leurs textes laissent entrevoir de la sympathie avec nos causes arabes.

Question 9 : Le facebook vous a-t-il apporté quelque chose ? Et y voyez-vous des défauts ?

Zouhour El Arbi :Facebook m’a beaucoup apporté. Il m’a permis de vaincre ceux et celles qui avaient entravé mon parcours. Il était mon refuge quand les horizons ont été fermés devant moi.Un type était allé jusqu’à dépêcher auprès de mon mari un collègue commun à nous trois pour le convaincre de m’obliger à m’éloigner de la poésie, sous prétexte qu’il connait bien ce genre littéraire, qu’il a fait pendant longtemps l’expérience de l’écriture et que d’après lui je ne la maîtrise nullement et que je n’ai aucun lien avec la poésie, affirmant que les critiques n’ont aucune pitié et qu’ils me humilieront. Cela s’était passé en 2010 Cette nouvelle m’avait terriblement bouleversée, l’atmosphère à la maison s’était tendue et je m’étais trouvée déprimée. Mon mari créa alors pour moi un compte facebook et m’ajouta en tant que membre à plusieurs groupes, me conseillant d’y publier mes textes et de voir s’ils seront acceptés ou critiqués sévèrement par les lecteurs et les critiques .Je me mis alors à naviguer dans le net, le cœur profondément blessé ,m’adonnant à l’écriture avec plus d’obstination et l’adorant avec plus de conviction. Et ce type qui avait entravé mon parcours et continuait à me donner la chasse dans les groupes virtuels n’avait pas saisi qu’il m’avait rendu un grand service, car mes poèmes étaient parvenus à l’autre rive et étaient bien accueillis par les lecteurs arabes. En effet ils ont été traduits en français, en espagnol ,en anglais et en italien. Et il ne savait pas que j’avais de la chance parce que mon mari s’était comporté face à cette calomnie avec sagesse et n’était pas tombé dans son sale piège.

Question 10 : Quels sont vos projets proches et lointains ?

Zouhour El Arbi : Ma tête regorge de projets :

1 – Les projets proches :

*Continuer à produire et  à présenter l’émission « Créateurs »à la radio « Illumination » qui relève du ministère de l’éducation.

*Un recueil de nouvel intitulé Délire préfacé par le critique Amor Hfaiedh.

2 – Les projets lointains :

*Un recueil de poésie traduit en anglais par :Imen Melliti.

*Un recueil d’élégies funèbres intitulé Septième prière.

*Un ensemble d’approches critiques d’ouvrages et de poèmes écrits par des auteurs tunisiens et arabes.

*D’autres projets pourraient survenir , car je déteste la monotonie .Il se pourrait aussi que je me taise et ainsi le poème serait plus éloquent…

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*