Palestine par:Monika Del Rio -écrivaine polonaise résidant à Bruxelles en Belgique 1 janvier 2018 Monika Del Rio J’ai rêvé de la guerre. Les attaques se sont arrêtées pendant un instant, ce qui nous a fait croire que la fin du combat est arrivée. En ce moment d’accalmie, d’un coup, les bombes sont tombées massivement sur nous. Tous les immeubles se sont effondrés et il n’y avait que deux fillettes qui étaient sauvées de cette attaque. Elles étaient habillées toutes en noir et l’une d’elles se disait violée. C’est seulement après que je me suis rendue compte que cette fille c’était moi. Je me suis réveillée toute en sueur. La violence de cette guerre me hante. Ella me regarda inquiète, debout, à coté de moi. -T’en fais pas, ils vont te sortir de là. Israël a promis d’ouvrir les frontières pour les ressortissants étrangers. Et en plus, tu es blessée. Bientôt on va te transporter vers l’hôpital. Tiens bon ! -Et toi ? Que comptes-tu devenir ? Tu vas te faire rapatrier ? -Non. Ma vie est là à côté de mon mari. -Écoute moi, Ella, les missiles ne choisissent pas leurs cibles. Tu es Américaine, tu pourras partir… peut-être, que tu pourrais… Ma voix se fait toute petite, toute basse, j’ai senti les forces m’abandonner. Je me suis rappelée les images horribles de l’attaque de la veille : les yeux terrorisés des enfants, le bruit infernal, les cris et l’odeur de la chair brulée. Pourquoi tant de haine ? De l’autre côté, les gens n’ont vraiment pas de cœur… Je vais rester ici, avec Ella, tant pis. De tout de façon je crois que je suis difficilement transportable. Autant mourir ici avec eux que dans un hôpital ennemi… Cachée au fond d’un précipice, je m’enfonçais de plus en plus profondèment dans le futur. Tous mes efforts d’essayer de m’en sortir de ce piège tombaient à l’eau. Mon regard parcourrait désespérément l’espace à la recherche de moindres traces du passé. Rien, rien que du futur. Des bolides astéroïdales passaient autour de moi avec un sifflement accompagnant leur vol fou. Pourtant, par miracle, j’ai réussi à échapper à la désintégration complète. Couverte, au-dessus, d’un couvercle sombre du ciel noir, comme celui d’un cercueil, même pas éclairé par une seule étoile, je me suis camouflée dans une de courbures de ce labyrinthe infini de crevasses profondes et de tunnels, en rêvant d’un autre ravin lointain, creusé dans la terre de lœss, inconnu et secret pour les autres, au bord duquel régnait la rose sauvage. J’aimais cette terre de mes ancêtres. Où est-elle maintenant ? Par quel miracle je me suis vue transportée ici, dans ce lieu hostile, sombre et inconnu ? Est-ce que moi, je fais aussi partie du passé, comme des dinosaures ? Je n’ai pas réussi à observer aucun être humain. Rien que le bruit d’éclat des missiles. Si c’est ça notre destin – merci beaucoup ! Le temps est devenu fou ! Où est mon passé, où est mon présent ? Il ne me reste que du futur. Cela ne change rien, la violence est partout, comme toujours. Je vaaaaais rentrer à la maisooon ! – je pleurnichais doucement. J’ai eu peur de me faire découvrir par la civilisation étrangère aux bolides féroces. A la maison… – j’ai répété encore plus bas. J’ai serré les paupières très fort en espérant que de cette façon mon rêve horrible va finir aussi vite qu’il avait commencé. Ce n’était pas un rêve. En ouvrant les yeux, j’ai constaté que j’étais, comme avant, dans mon canyon sans issu. Plus loin, sur les collines, les lumières commençaient à briller. Ce n’était point rassurant. J’avais peur de ces habitations et surtout de leurs habitants. Etrangement, je ne ressentais rien, ni faim, ni soif, ni même le froid malgré ma petite chemisette et mes sandales. Autour de moi la nuit sombre ou bien plutôt le grisaille – sale et mate, sans odeurs. L’enfer doit ressembler à ça – l’idée m’a traversé l’esprit – aucun feu et chaleur, tout simplement rien, néant. Manque des sensations et des sentiments Je me suis rappelée qu’une fois je m’étais trouvée déjà dans une situation semblable, au moment où des rêves se faisaient ôter de moi, un après l’autre, comme des manteaux. Au dessous de l’un se cachait un autre et la suite était sans fin. Un événement tirait derrière lui des réminiscences en rappelant un autre. Plus rien ne jouait aucun rôle. Chaque enlèvement du manteau de songe provoquait une sorte de clairvoyance. Je me mouvais comme un fluide dans le temps et dans l’espace. Pendant un instant, il me semblait même que j’ai découvert le mystère de la vie. Mais un arrachement de la voile suivante m’a fait retourner à la normale en me dépouillant de mes illusions. Mais, peut-être que quelque part il y a encore une autre couverture à arracher ? La nuit tombe. La nuit tombe sur la Palestine, cette terre où les gens veulent vivre en paix. Certains, de l’autre côté de la frontière, cette frontière visible et invisible en même temps, veulent vivre en paix, eux aussi, mais leurs voix sont trop peu sonore ,pas assez vibrantes et n’arrivent pas aux oreilles de la Palestine. Le clair de lune visite tous les endroits de la Terre. Ses rayons perçants regardent partout, dans toutes les fenêtres, en éclairant des amours et des crimes, des joies et des misères. Même dans la nuit profonde, sans étoiles, avec le ciel qui ferme son couvercle au-dessus de nous, l’œil invisible pénètre dans notre âme, parfois noire comme cette nuit. Dans cette nuit de désespoir j’ai entendu à nouveau les cris des innocents. Ils me venaient de partout en traversant le temps et l’espace, en me suppliant. Les enfants du massacre de St Barthelemy, de Mÿ Lai, de Srebrenica, de Bear River, du ghetto de Varsovie, les innocents de la Palestine enfermés, piégés et exterminés. Il est facile de s’attaquer aux plus faibles, aux vulnérables et sans défense, en criant haut et fort ses raisons. Accroupie dans un gouffre, je souffrais en solitude (Ella se tenait inquiète, debout, à côté de moi), attendant que le voile de mon sommeil se lève. Toujours rien. 2018-01-01 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet