Poème du jour (Nouvelle série) 1 :Les corvéables par : Mohammed Derkaoui – Fès- Maroc

Mohammed Derkaoui

Père !
Hier j’ai fait un rêve
J’ai réveillé ma mère
En pleine nuit
Je pleurais sans cesse
Elle m’a dorloté
M’a allaité
M’a préparé une tisane parfumée

Ayant tout essayé
Elle a fini par me mettre sur son dos
Serrer avec un petit drap de coton 
Elle a marché dans toute la maison
En me chantant
Mille chansons

Dors mon enfant
Dors
Il fait tard
Ton père ne peut manquer à son devoir
Il est parti loin
Pour lutter contre la faim
On lui a promis que c’était pour ton bien
Un jour
Il viendra la tête haute
Fier de s’être sacrifié pour les autres

Fatigué des cris et des pleurs
J’ai fini par fermer les yeux
Ma mère n’a pas cessé de faire la balançoire

L’aube se déclare 
Elle entre dans sa cuisine
Préparer le thé à mes frères et sœurs

Soudain une voix grave
Me rappelle l’heure du labeur
Mon père à ma cheville
En train de tousser
S’approche de mes traits
Les caresse avec prudence 
S’assure que je suis réveillé
Reprend sa canne blanche
A peine il marche 
S’approche de ma mère
Au dos voûté
A force de nous supporter
Cherche son front à tâtons
L’embrasse tendrement
Se retire dans un coin chaud
S’accroupit 
La canne sous le menton 
Se délecte de l’odeur de son henné
Du son de ses pas 
De plus en plus ralentis

Un transistor à la main
Les paupières mi-closes
Les nouvelles s’annoncent
Il laisse échapper un sourire
En semblant s’assoupir.

 

Commentaire de Mohamed Salah Ben Amor :

 

Si le titre de ce poème « les corvéables »exprime  de la compassion à l’égard de la mère et du père,  eu égard aux les sacrifices énormes qu’ils consentent pour le bien de leurs enfants, le fait que le contenu soit un rêve pousse le lecteur à chercher dans les structures profondes les sens non-dits, étant donné que tout rêve contient obligatoirement des symboles archétypaux inconscients.

Rares sont les rêves où le père est présent et encore moins où il est présent avec la mère. Et cela s’expliquerait par le fait que la mère  représente dans l’inconscient collectif « le paradis perdu »et l’individu, même à un âge avancé, tend à s’y réfugier chaque fois que les écueils se multiplient sur son chemin et entravent sa marche, comme on le voit dans ce poème où le locuteur est plongé dans un cauchemar qui ne serait qu’une représentation imagée d’une situation réelle intenable.

Pour cette raison, la première partie du poème qui s’étend sur dix-neuf vers (à part le premier vers qui renvoie à un état d’éveil ) est conforme à la règle,  car d’un côté, le père est absent (Ton père ne peut/manquer à son devoir/Il est parti loin) et de l’autre la mère s’investit à  faire sortir le locuteur de cette  crise en lui apportant toutes les ressources physiques (l’allaite – me mettre sur son dos/Serrer avec un petit drap de coton… ) et psychologiques ( l’amour, la tendresse ,  le réconfort… ) qu’elle possède  .Et elle y est, à ce qu’il paraît,  arrivée, car l’apparition inattendue du père au summum de la crise (Fatigué des cris et des pleurs/J’ai fini par fermer les yeux -….. Soudain une voix grave/Me rappelle l’heure du labeur/Mon père à ma cheville) indiquerait que l’enfant, une fois rassuré sur son présent ,se permet de se préoccuper de son avenir, étant donné que le père symbolise pour l’enfant le modèle à suivre pour affronter les obstacles qui se dressent sur son  chemin  d et s’ouvrir les horizons de la réussite.

Stylistiquement, la conception symbolique et allégorique du poème lui  a conféré un aspect énigmatique qui invite le récepteur à participer activement à l’élaboration du texte au moyen de l’interprétation et de  la lecture entre les lignes.

 

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