Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 7 :Les poèmes de Mokhtar El Amraoui :7 -2 : Amitiés

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La nuit, des oiseaux amis
Remuent les feuilles des miroirs.
Certains, ceux qui fuient m’ont déjà confié
Leurs œufs que j’ai déposés dans ma tête,
Comme les plis d’une mémoire de nerfs faite.
Ils laissent couler leur doux plumage,
Jusqu’à l’aube d’une chanson, d’un rivage,
D’une couleur venant à la fleur.
Des peintres amis y logent aussi,
Peignant des becs rigolards et de graciles languettes.
Les nuages, en filaments ou en duvets,
Massent la chauve lune,
Sur des airs de saxo rouillé.
Une tendre voix, de nicotine et de froid enrouée,
Parle, en toussant,
De portes toujours fermées
Sur des bonheurs en judas et vachettes tamisés.
Mes rêves glissent sur la lame des chaussées
Qui m’engouffrent las, l’âme déchaussée.
Plus de champs pour me recueillir.
Toutes les gerbes ont été fauchées.
Même les bouteilles se rebiffent,
Les habitent des bateaux échappés aux récifs.

 

 

Comme il nous a habitués dans plusieurs de ses poèmes précédents, le poète tunisien Mokhtar El Amraoui, mené par sa sensibilité lyrique effilée,  nous dépeint une atmosphère typiquement romantique  propice  aussi bien à la contemplation qu’à l’extériorisation des états d’âmes mélancoliques et angoissés, non pas consécutivement à un mal réel profond mais sous l’effet du cadre qui l’entoure au moment de l’énonciation. Et la preuve en est que dans plusieurs autres poèmes, il se dresse tel un combattant farouche et obstiné contre toutes les formes d’oppression, d’injustice et d’obscurantisme, ce qui fait de lui, assurément, l’un des poètes tunisiens élèves  du grand d’Aboulkacem Chabbi ( 1909 -1934 ) qui allient comme lui  fragilité émotionnelle et force de caractère .

Concernant ce poème en soi, qui relève du premier côté de la personnalité de l’auteur, il tourne autour de deux pivots sémantiques liés par la relation cause à effet : le premier est le carde naturel qui tient lieu de stimuli et auquel se rattache tout un lexique spécifique (nuit – oiseaux – aube – rivage – fleur – nuages –lune…etc…)et l’autre est double du fait qu’il  regroupe deux sortes de réactions : l’une est affichée , à savoir une mélancolie  consciente(De portes toujours fermées/Sur des bonheurs en judas et vachettes tamisés./Mes rêves glissent sur la lame des chaussées/Qui m’engouffrent las, l’âme déchaussée./Plus de champs pour me recueillir./Toutes les gerbes ont été fauchées)et l’autre est inconsciente : une légère  recherche compensatoire du plaisir et de l’intimité amicale dans l’espoir de se soulager de cet état d’âme endolori la réalité( Ils laissent couler leur doux plumage,/Jusqu’à l’aube d’une chanson, d’un rivage,/ D’une couleur venant à la fleur) ( Amitiés avec les oiseaux et les peintres) .

Stylistiquement, le poète nous a gratifiés d’un bon nombre d’images inédites comme « Leurs œufs que j’ai déposés dans ma tête,/Comme les plis d’une mémoire de nerfs faite – Sur des bonheurs en judas et vachettes tamisés./Mes rêves glissent sur la lame des chaussées/Qui m’engouffrent las, l’âme déchaussée).

Enfin,c’est toujours un plaisir de lire les poèmes de Mokhtar El Amraoui , ce poète qui se respecte en respectant les exigences de cet art difficile qu’est l’art poétique !

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