Mes souvenirs avec le grand critique tunisien Abou Zayyane Essaadi (2)

Abou Zayyane Essaadi

L’image que nous avons dépeinte du critique Abou Zayyane Essaadi est peut-être la première  qui lui rend justice, car son nom a toujours été associé dans le milieu littéraire tunisien à la violence verbale .Et cette réputation d’insulteur-né n’était point exagérée, car rares étaient les écrivains qui n’avaient pas eu part de ses injures qu’ils soient vivants ou morts .

Un jour, au cours de l’un de ses rendez-vous quotidiens au café de Paris à Tunis , j’étais attablé avec lui et le romancier feu Radhouane El Kouni ainsi qu’une  autre personne répondant au nom d’Ali ou Ahmed (j’ai oublié son nom) qui lui tenait toujours compagnie et qui acquiesçait tout ce qu’il disait soit par « oui » soit d’un signe de tête, suscitant le bonheur du critique , il a insulté sept ou huit personnes en moins d’une heure. Soudain, Radhouane éclata de rire. Enervé,  Bouzayyane lui demande sur un ton agressif : « Qu’est-ce qui te fait rire ? ». « Je me suis imaginé absent de ce cercle .Si je n’étais pas avec vous, j’aurais eu certainement ma part d’injures »,lui répond Radhouane !Bouzayyane lui réplique : « Tu crois que j’ai peur de toi pour t’insulter en ton absence ? » et il s’est mis à l’attaquer violemment. Nous avions ri tous les quatre à haute voix et nous nous levâmes pour quitter les lieux.

Cette agressivité innée en lui était réelle. Mais pour brosser le portait d’un écrivain,  il faut se limiter à ses écrits et ses activités littéraires.

C’est ainsi qu’après avoir essayé de dégager les principales qualités de ce critique, passons à son orientation et son arrière-fond intellectuel et culturel.

Bouzayyane avait fait ses études dans les années cinquante à la mosquée Ezzeitouna (L’olivier) à Tunis où la formation était religieuse et littéraire arabe ancienne. Et il en était fier et convaincu. Ce qui n’était pas, par exemple,  le cas d’Aboulkacem Mohammed Kirrou qui avait reçu la même formation mais était partisan des deux zeytouniens dissidents :les novateurs Aboulkacem Chebbi en poésie et Tahar Haddad  en pensée sociale.

De ce fait, Bouzayyane était un conservateur de premier plan. Il rejetait les méthodes de critique littéraire modernes et considérait leur utilisation par les Arabes comme une transplantation d’un membre étranger dans un corps qui n’est pas le sien .Quant à la poésie, elle ne peut être, selon lui,  que conforme aux règles de la métrique et pour cette raison, il excluait la poésie en prose  de l’art  poétique  et l’appelait « prose artistique ».Il récusait aussi l’expérimentation en littérature ainsi que la réécriture du patrimoine et qualifiait l’intertextualité de « vol ».

Ces convictions avaient fait de Abouzayyane Essaadi l’adversaire no 1 de l’avant-garde littéraire(1968 -1972)  qui utilisait les méthodes modernes en critique, l’expérimentation en narration et écrivait la poésie  en dehors des règles de la métrique.

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