Les entretiens de « Culminances » :8 – Avec la poète française Solène de Lam

Solène de Lam

 Question 1 :Vous descendez de la noblesse française qui a été abolie par la Révolution de 1789. Mais au lieu de d’être fière de vos origines, nous vous voyons dans certains de vos poèmes les renier pour vous ranger aux côtés des classes populaires. Est-ce par conviction intellectuelle ou suite à un sentiment de culpabilité ?

Solène de Lam : En effet, presque tous mes ancêtres sont issus des noblesses française et belge, mais je ne dirais pas que je renie mes origines, car comme tout un chacun, je n’ai pas choisi mes parents, mes date et lieu de naissance, mon éducation et ma culture ; c’est une culture que je ne renie pas du tout. Plus jeune, j’en ai même été extrêmement fière, j’ai vécu sans scrupule dans cet entre soi protecteur qui essaye de se rassurer sur son avenir. J’ai gardé une véritable sympathie pour les rois et reines d’aujourd’hui, quand ils incarnent vraiment l’unité de leur pays, qu’ils soient d’Angleterre, de Suède ou du Maroc. Quant à la noblesse française d’aujourd’hui, parmi ses membres, beaucoup passent du temps à regarder vers ce passé révolu, ou à s’enorgueillir « d’avoir été », et ils perdent le vrai sens de la noblesse, celle du cœur. Alors, descendre d’un roi par sa grand-mère ne fait pas de vous une personne meilleure ; je me suis mise à méditer là-dessus en ouvrant des yeux nouveaux sur notre société française : le passé ne revient pas. Les plus pénibles, dans mon milieu social, ce sont ceux qui focalisent ce passé perdu dans une nostalgie maladive, en l’idéalisant souvent, puis en imaginant naïvement qu’un retour à l’ordre ancien – c’est-à-dire au pouvoir de la noblesse – ferait le bonheur des Français. Alors oui, pour moi, la vie des gens simples a la même valeur que la mienne, qu’on soit comtesse ou serveuse, nous serons poussière, comme tous nos ancêtres. Je n’ai pas de culpabilité, non, je n’y pense pas, sauf quand on me le rappelle : un nom à particule ouvre certaines portes, il en ferme aussi d’autres.

 

Question 2 : Vous appartenez à un pays dont l’état avait été pendant des siècles l’une des plus grandes puissances coloniales du monde. Mais vous affichez votre sympathie avec les Arabes et les Africains noirs qui étaient colonisés par votre état. Expliquons-nous aussi cette prise de position par un sentiment de culpabilité ?

Solène de Lam: La culpabilité consisterait à ce que je me dise que ces inégalités et blessures issues de la colonisation sont aussi de ma faute ; alors je plaide non coupable, je suis née en 1979, de longues années après la fin de cette triste période d’exploitation. Ma sympathie, il est vrai, a été mûrie depuis quelques années seulement, au moment où je sortais justement de cet entre soi rassurant, que je viens d’évoquer. En ouvrant les yeux sur un monde plus divers, plus riche malgré sa pauvreté, et plus souriant que celui qu’on a voulu me montrer dans ma jeunesse.

Question 3 : Vous êtes professeur de géographie et poète. Personnellement, je ne connais aucun géographe tunisien ou arabe qui s’est distingué en poésie .Y’a-t-il des liens quelconques entre votre profession et votre passion poétique ou bien elles sont totalement séparées ?

Solène de Lam : La géographie n’est pas mon enseignement préféré, d’ailleurs en France il est instrumentalisé dans les programmes scolaires ; je préfère l’histoire (et la géographie historique) ; et non comme un passé révolu, mais comme un passé qui donne les clefs pour mieux comprendre le présent. Par exemple la colonisation était la conséquence – immorale – d’un capitalisme déniant aux peuples lointains les mêmes droits de citoyenneté que ceux qu’ils défendaient ici en France pour les hommes Français (mais pas nous les femmes…) : mais aujourd’hui nous voyons ces populations se tourner vers nous, la France et les autres pays d’Europe. Ce n’est qu’une des conséquences… Alors pour répondre à l’aspect « poésie » de votre question : non ! il n’y a aucun lien. Mon goût personnel pour la poésie est né il y a plusieurs années, par réminiscence de poésies apprises et de prières par-cœur, alors que j’avais un immense besoin d’exprimer des doutes, des attentes, des souffrances profondes. Avec maladresse j’ai composé des vers, quelques sonnets académiques dont les figures avaient parfois l’heur de plaire. Pourquoi ne pas continuer ? Quand on trouve un coin de paysage où l’on se sent bien avec soi-même, on y revient le plus souvent possible !

 

Questions 4 :ans certains de vos poèmes, vous critiquez les décors somptueux avec lesquels on embellit les églises. Ne pensez-vous pas que la création artistique, quel que soit le lieu où elle est exprimée, mérite d’être admirée et encouragée ou bien votre adhésion aux idées anticléricales de la Révolution française vous fait voir du mal dans tout ce qui a trait à la religion ?

Solène de Lam: Je ne suis pas du tout anticléricale, je suis même catholique pratiquante, bien que pas nécessairement en accord avec tel ou tel point. Le mal ne vient pas de la religion, mais d’hommes qui en comprennent mal les messages de paix, d’humilité. Quand j’aborde le sujet des églises dans mes poèmes, c’est vrai que je traduis mon regard pessimiste sur leur avenir. L’art religieux qu’on y trouve m’émeut sincèrement, mais il n’est souvent que le témoin d’une gloire passée, une profusion parfois inutile pour ces espaces sacrés ; mais je ne considère pas les églises comme des musées, pour moi une église qui meurt, c’est parce que ses habitants ont disparu, c’est qu’ils l’ont abandonnée, et beaucoup de nos églises sont maintenant en ruine ou en passe d’être démolies. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire, les choses changent, et il faut les accepter telles qu’elles sont, pas telles qu’on les rêve. Beaucoup de gens font des rêves et pleurent

 

Question 5:Dans votre poésie, il y a une forte présence de la grand’mère et de la fille mais aucune trace du père ou de la mère. En êtes-vous consciente ? Si oui, pouvez-vous nous en donner une explication ?

Solène de Lam : Lorsque j’écris, ce sont des sentiments qui exultent de moi, et qu’il me faut canaliser. J’aimais beaucoup la seule de mes grands-mères que j’ai connue : c’était une femme qui a beaucoup souffert et qui restait une grande dame, d’une grande foi ; quant au bonheur d’être maman, il irrigue encore mes journées, et mon cœur bat aussi au rythme de mes enfants ! Mais ma relation avec mes parents est toute différente, je le reconnais, et je le sais… Mes sentiments ne sont pas les mêmes envers eux. Je les honore comme il se doit, et je les accompagne même dans leur avancée en âge, mais je ne ressens pas le besoin de les intégrer dans mes poésies, ni d’en dire plus sur ce point…

Question  6 : Vous comptez parmi les poètes les plus proches de feu Catherine Deschamps de Boishebert, la dame très cultivée aux connaissances solides en poésie et en grammaire française. Que représentait Catherine pour vous et vous ’avait-elle conseillée de demander mon amitié sur facebook ?

Solène de Lam :Sans être aussi proche que le dit la question, j’aimais beaucoup Catherine, sans la connaître tant que cela, mais comme tous ceux qui ont eu la chance de bénéficier de sa grande tendresse en ligne, je regrette très vivement sa disparition, il y a un an. Quant à l’amitié Facebook, je ne me souviens plus. Nos conversations se terminaient toujours par « bisous tout en tendresse ».

Question 7: Le corps occupe une place prépondérante dans votre poésie. Êtes-vous de celles et ceux qui soutiennent que le corps de l’être humain est la principale source de son bonheur ou de son malheur ?

Solène de Lam:Notre corps n’est pas la principale source de bonheur ; il est même la source de beaucoup de nos souffrances mais aussi de petites joies éphémères qui peuvent parfois prendre trop de place. Mon propre corps m’a souvent gênée ; je n’aime pas les miroirs. Jeune fille je n’aimais pas qu’on me regarde ; et puis il m’a fallu l’apprivoiser, accepter la maternité et ses transformations ; accepter peu à peu que mon corps plaise, et sans rougir. Je dois dire que l’acte de poésie a été un recours et secours ; pour transcrire des émotions nouvelles et devenir plus sereine.

Question 8 :Vous êtes très prudente sur Facebook et vous n’acceptez que rarement un ami ou une amie. Pourquoi cette peur de l’autre ? Et n’est-elle pas un peu exagérée ?

Solène de Lam : J’ose espérer que tout le monde agit avec prudence sur les réseaux sociaux, pour se préserver de possible incivilités ou harcèlement. J’accepte tout de même des amis en plus de mes connaissances, mais j’estime qu’un on ne peut avoir 1000, 2000 voire 5000 « amis » ; ce ne sont alors que des « followers » comme sur Tweeter ©, des résonnances. Je n’ai pas peur de l’autre, au contraire, j’ai eu peur – dans ma jeunesse – de l’étranger, de l’importun, du curieux, du voleur… Facebook me semble aussi voguer sur une fausse mer plate, qui n’est pas que de l’amitié, mais parfois des tempêtes se lèvent, vaniteuses ou stupides, comme les malentendus ou les mésententes qu’on vit parfois dans la « vraie vie ». Alors ma parcimonie est-elle exagérer ? Non, comme vous l’avez dit je suis prudente, pour ne pas succomber sous la chronophagie addictive ni focaliser l’attention sur moi.

Question 9: Vous suivez depuis quelques années dans cet espace les traductions en langue française de plusieurs poèmes en langue arabe. Comment les recevez-vous :Vous vous y trouvez ? Ou vous en sentez éloignée et non-concernée ?

Solène de Lam:C’est avec un certain bonheur que j’ai eu la joie, il y a quelques années, que vous me proposiez d’être traduite en langue arabe ; mais ce qui m’a beaucoup apporté dans mon travail poétique, c’est votre regard critique lorsque vous publiiez les « poèmes du jour » avec votre très fine analyse. N’étant pas capable de lire ou de parler cette belle langue arabe, dont la sonorité me plaît, j’apprécie la découverte de poésies arabes, de tournures autrement académiques, mâtinées d’une saveur culturelle qui chante autrement la vie et les émotions, le monde et les sentiments. Tout ce qui est poésie parle à mon cœur !

Question 10 Avez-vous quelque chose à nous dire sur vos projets poétiques ?

Solène de Lam: Que dire ? Sinon que l’écriture fait partie de mon style de vie, lorsque je peux me poser un peu dans les transports ou chez moi ; c’est ce que je vois autour de moi ou en moi, c’est une belle image d’art, une photo qui me touche, qui fait parler ma plume et mes émotions. Alors les premiers mots du premier m’interpellent… puis je travaille alors à écrire une suite poétique. Si je voulais tracer une route, puis suivre son chemin, j’espérerai n’écrire que des poésies qui laissent au lecteur, une petite joie céleste, un petit sourire, et peut-être une envie de l’apprendre et de la réciter. Mais là c’est mon petit orgueil qui veut ça ! A la vérité, j’aime que mes textes soient comme des nuages : on les aperçoit, parfois on les regarde, leur forme nous plaît, puis on passe à autre chose et ils passent, on les oublie… c’est aussi cela la vie !

 

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