Les entretiens de « Culminances » (2ème série) :5 –Avec la poétesse irakienne Afiaa Al-Asadi : 6 mars 2020 Qui est Afiaa Al-Asadi ? Afiaa Al-Asadi est née à Baghdad (Irak ).Elle s’est éprise de la poésie depuis l’âge de huit ans. Elle écrit dans les trois genres poétiques : la poésie classique dite « verticale », la poésie libre et la poésie en prose. Elle définit sa poésie en ces mots : « La douleur est le combustible de mes poèmes et je suis le combustible de la douleur ».Ses poèmes révèlent une sensibilité esthétique aiguisée et une capacité étonnante de transformer la souffrance en une source de fascination. Afiaa est une activiste politique .Elle participe activement au mouvement populaire depuis son déclenchement en Irak. Question 1 : En Tunisie , à titre d’exemple , aucun avocat ne s’est jamais distingué en poésie contrairement aux magistrats .Et il en est de même en Occident alors que vous êtes poète et avocate ? Comment expliquez-vous cette exception ? Afiaa Al-Asadi : Je ne pense pas que la profession ait une relation quelconque avec le poème. Mais je peux affirmer que je fuis vers le poème de ma profession qui m’oblige à avoir recours à l’intellect plus qu’au cœur. C’est ce que la poésie constitue pour moi : un point de passage mouillé au-dessus d’une rivière de braise . Question 2 : La grande majorité des poètes et poétesses de la nouvelle génération en Irak ont opté pour le poème en prose mais on vous voit aimer les rythmes classiques et les rimes. Est-ce un choix personnel ou bien le résultat d’une formation bien déterminée que vous auriez reçue dans votre milieu ? Afiaa Al-Asadi :Le poète puise dans son milieu environnant plus qu’il en est conscient. Et peut-être parce que mes premières lectures étaient des recueils de poésie classique conformes à la métrique ancienne, je fus séduite par le poème mesuré et trouvai ma main en train de l’écrire. Mais j’écris aussi la poésie en prose, voire je l’aime .Et il n’est pas aussi facile que beaucoup le croient. En effet, le rythme interne de la prose est l’équivalent du rythme sonore du poème classique et il est régi par des facteurs psychologiques de haute facture qu’il faut préserver .Dans tous les cas, la poésie est la poésie et elle n’est délimitée par aucune structure et ne se réduit à aucune forme unique. Question 3 : La plupart de vos poèmes sont emprunts d’un ton profondément mélancolique mêlé à un élan de rébellion ? Est-ce dû à une disposition psychologique inhérente à votre personnalité ou bien à la situation explosive qui règne dans votre pays depuis près de trente ans ? Afiaa Al-Asadi : Je pense que cet état est lié à la nature de ma personnalité – si l’on me permet d’analyser mon égo sur le papier -. Quant à la situation explosive qui prévaut en Irak sur les deux plans politique et sécuritaire, elle constitue un motif plus que suffisant à n’importe irakien pour qu’il dise ce qu’il pense et se rebelle sur tous les trottoirs que mouille le sang et non la rosée .Cette brulure dans le pays est capable de faire chuter les trônes de la corruption et d’édifier une coupole colorée de rêves en tant que mémoire collective sur le grand rêve de la liberté et la sureté. Question 4 : Votre séjour il y a quelques mois à Bordeaux en France a coïncidé avec la parution de votre recueil de poésie que j’ai traduit en langue française .Quelles étaient les réactions des Français qui l’ont lu ? Afiaa Al-Asadi : Ce recueil a suscité l’admiration de tous ceux qui l’ont lu dans les deux langues. Les amis français ont loué sa traduction fine et précise en leur langue française .D’ailleurs tous les exemplaires ont été épuisés en un temps court. Question 5 : A un certain moment vous aviez écrit beaucoup sur l’amour puis vous avez abandonné subitement ce thème. Les évènements terribles qui n’ont pas cessé de se succéder en Irak étaient-ils pour quelque chose dans cet abandon ? Afiaa Al-Asadi : Je n’ai pas arrêté d’écrire sur l’amour. Mais en cette étape de l’histoire de l’Irak, l’amour est l’amour de la terre, de l’eau, de la verdure, du drapeau, des écoles, des hôpitaux et des rues que revendiquent les manifestants libres. Aucun amour n’est au dessus de l’amour de la patrie . Question 6 : On vous voit vouée corps et âme au mouvement social en Irak .Croyez-vous qu’un tel moyen de lutte puisse aboutir à des résultats positifs puisqu’il a échoué dans d’autres pays arabes comme le Soudan et l’Algérie? Afiaa Al-Asadi : Le mouvement populaire dans le monde entier est un grand et important pas vers l’accomplissement des rêves des peuples .Qui a dit que le Soudan et l’Algérie ont échoué dans leur lutte populaire ?Les pays arabes ont découvert l’amour de la patrie selon la manière difficile. Au moment où les gens aiment leurs pays parce que ce sont des pays civilisés, les Arabes aiment les leurs dans l’espoir de guérir la terre de tous les fléaux corrompus qui les ont gouvernés .Tout pas en direction de la place de la liberté est un pas vers le soleil et un espoir qui se lève dans le cœur et qu’aucun ravage ne peut éteindre. Question 7 : Les Américains et leurs alliés avaient promis après leur invasion d’aider les Irakiens à l’Irak Housseyn d’ériger à établir un régime démocratique. Croyez-vous que la situation qui prévaut depuis dix-sept ans dans votre pays est meilleur que celle qui était sous le régime de Saddam Housseyn ? Afiaa Al-Asadi : Parler de ce sujet peut s’allonger à ne pas finir dans la comparaison de deux régimes despotiques. Mais je peux dire que l’Irak ne va pas bien depuis cinquante ans .Même la société a changé. Si vous aviez seulement l’occasion de voir des photos de l’Irak tel qu’il était avant, ou de voir les listes de livres parus à cette époque, le regret qui me serre le cœur aurait eu le même effet sur le vôtre. Question 8 : Les attitudes des poètes divergent vis-à-vis de la poésie partagée sur facebook .Quel est votre avis sur ce phénomène ? Afiaa Al-Asadi : J’ai une bien mauvaise mémoire, une mémoire délivrée du joug du nom. Je lis ce qui est écrit puis je jette un regard sur le nom de son auteur pour que ma connaissance de la bonne ou mauvaise qualité de ses écrits n’ait pas d’effet sur mon jugement. Mais le monde électronique a permis à tout le monde d’écrire : les bons et les mauvais. Et malgré ma réserve à l’égard de plusieurs écrits dont la lecture nous coûte beaucoup d’effort et de temps, il me semble que qu’écrire est meilleur que porter des armes .En effet, l’écriture est capable de vous sauver la vie. Question 9 : Le monde est dominé aujourd’hui par les grandes puissances et les multinationales dont l’unique but est de servir leur intérêt même en marchant sur les cadavres des peuples s’il le faut . Dans un tel contexte, les poètes ont-il un rôle à jouer ? 10- Quels sont vos projets proches et lointains ? Afiaa Al-Asadi : Quand un malheur s’abat sur son pays, le poète devient historien .Et je crois que cela explique tout. Question 10 : Quels sont vos projets proches et lointains ? Afiaa Al-Asadi :Je m’attelle à préparer mon recueil qui a trop tardé et qui regroupera des poèmes classiques (dits verticaux) et des poèmes libres .Il sera peut-être suivi dans un temps très proche d’un recueil de poèmes en prose .Moi je néglige l’édition et la documentation .Pour cette raison , quand j’étais petite, ma mère rassemblait mes papiers et les protégeait de moi . 2020-03-06 Mohamed Salah Ben Amor Partager ! tweet