Les entretiens de « Culminances » :1- Avec la poète polonaise Monika Del Rio

Monkika Del Rio

Qui est Monika Del Rio ?

 

Monika Del Rio est née à Varsovie en Pologne. Elle a fait ses études à l’académie Frédéric Chopin à Varsovie puis à l’école normale supérieure de musique à Paris. Elle est une auteure multi douée, étant à la fois pianiste, peintre, nouvelliste, romancière et poète. Pianiste de renommée mondiale spécialisée dans l’œuvre de Chopin , elle donne des concerts individuels ou en duo dans les espaces les plus huppés du monde. Sa peinture est influencée par deux écoles : l’expressionnisme et l’abstrait. Quant à ses écrits narratifs ,qui sont , pour la plupart du temps , en polonais sa langue maternelle , ils sont du type expérimental et elle y exploite à fond le cauchemar et l’inconscient , étant convaincue que la vie que nous vivons sur terre n’est en réalité qu’un rêve et que l’âme qui est en elle est celle d’une autre personne qui avait vécu à une autre époque il y a des milliers d’ années .Ses écrits poétiques ,enfin, bien que tardifs, puisqu’elle ne s’y est investie qu’au cours des cinq dernières années depuis son installation à Addis Abeba ( Ethiopie ), ils font figure d’une véritable explosion, car en si peu de temps elle a écrit plus de trois   poèmes. Quant à leur contenu, il relève globalement des mêmes préoccupations psychiques et existentielles mentionnées ci-haut, tandis que sur le plan du style, on y détecte clairement les traces de ses autres dons surtout l’âme narrative qui les marque profondément et l’atmosphère sonore et les flots de couleurs dans lesquels ils baignent. Ce qui fait que les frontières entre les genres littéraires et les arts chutent dans ses poèmes spontanément et non suite à une démarche méthodologique planifiée.

Elle a à son actif deux romans : Les cauchemars terrifiants de l’inspecteur Djin( en polonais) ,Varsovie 1996 – Sur les pavés de Paris ( en français) ,Ichraq Editions, Tunis 2011 ,deux recueils de nouvelles :  Et si la vie n’était qu’un rêve ( en polonais),Varsovie 1998, puis traduit vers l’arabe par Mohamed Salah Ben Amor, Tunis 2002 – Sur les côtes de Carthage, traduit vers l’arabe par Mohamed Salah Ben Amor, Tunis 2005 et un recueil de poésie Etiopiques, Edilivre, Paris 2017.

 

Question 1: Vous aviez passé votre enfance et votre adolescence dans votre pays natal : la Pologne. Puis à la première occasion, vous l’avez quitté  vers la France avec l’intention de ne plus y revenir et vous ne vous y étiez revenue qu’après la chute du régime en place .La situation dans votre pays  était-elle tellement insupportable au point de pousser une jeune intellectuelle comme vous à l’époque  à s’enfuir à l’étranger ?

Depuis son apparition, l’homme se trouve nomade dans son âme.Je pense, qu’à l’époque, sous le régime précédent , l’impossibilité de me déplacer, m’était la plus insupportable. Nos passeports étaient détenus « prisonniers » dans des bureaux de la milice. Et moi-même je me sentais prisonnière.

En réfléchissant, je dirais que c’est surtout cet aspect qui m’a poussé à prendre la décision de rester à Paris.Évidemment, il y avait aussi le côté d’aventure. Quand on est jeune on a des rêves. D’ailleurs, j’ai toujours eu des rêves….

 

Question 2 :Votre parcours littéraire se divise en deux grandes parties :la première qui s’étale de vos débuts en 1998 jusqu’à votre installation en Ethiopie en 2010 était exclusivement narrative (2 romans et 2 recueils de nouvelles) puis tout d’un coup ,le récit a laissé la place à la poésie et avec un acharnement remarquable ( plus de 500 poèmes en huit ans ). Comment expliquez-vous ce changement brusque et  inhabituel ?

J’ai toujours écrit de la poésie. Mon premier poème, je l’ai écrit à l’âge de 7 ans. Il était intitulé « La nuit sur un col rocheux ». Dans ma tête, j’ai voyagé déjà. J’ai continué ensuite mon aventure poétique jusqu’à mon départ vers Paris. Et puis…. silence. Je n’arrivais plus à m’exprimer de cette façon. D’ailleurs je n’en avais plus envie. A partir de ce moment, j’écrivais uniquement des romans et des nouvelles, comme d’habitude, en polonais.

Ce n’était  qu’après mon  arrivée  en Éthiopienne en 2010, que j’avais  recommencé à écrire des poèmes. Les vers s’étaient mis à couler  vers moi, telle la lave d’un volcan. Et je ne comprenais pas leur provenance.  Parfois mon état me faisait presque peur. Je m’empêchais, moi-même, d’écrire pour pouvoir garder l’esprit sain. Je n’arrive pas jusqu’à maintenant à expliquer cet état de choses.

Ou bien, comme en prenant l’exemple d’un d’instrument de musique : peut-être qu’une corde sensible était touchée en moi …ce  qui avait  probablement provoqué cette avalanche de poèmes. D’un autre côté je pense que certaines langues se prêtent plus à l’art poétique que d’autres, où on s’exprime mieux en prose. En Ethiopie, j’ai décidé de composer mes poèmes en français, directement. Et je pense que c’est peut-être cela qui m’a libéré.

Question 3 : Le rêve occupe une place prépondérante dans vos écrits qu’ils soient narratifs ou poétiques. Mais certains d’entre eux  ont une teneur nettement réaliste .S’agit-il là d’une évolution ou tout simplement d’un écart passager?

Dans les rêves tout est possible. Mais je ne dirige pas mes rêves. Ils viennent comme ils le veulent, colorés, effrayants, pleins d’aventures, prémonitoires, significatifs, symboliques, presque réels ou bien tout à fait farfelus. Dans mes rêves je vole comme un oiseau, je me transforme en un animal fantasque, je prends l’aspect d’un arbre. Je peux aussi transformer les autres. Dans la vraie vie , bien entendu c’est plus difficile.


Question 4: Le voyage est l’un des thèmes principaux  autour desquels  tournent vos textes. Mais il semble qu’il s’agit plutôt de voyages entrepris à l’intérieur de l’âme et de l’inconscient et non à travers l’espace. Qu’en pensez-vous?

Je pense que le fait de rester enfermée jusqu’à l’âge de 23 ans dans ma bulle solitaire d’une pianiste-concertiste, coupée du monde extérieur, a développé en  moi cette sorte de voyage interne. J’essayais de me persuader de ce que disait   le grand philosophe, Emmanuel Kant, qu’il n’est pas nécessaire de bouger de chez soi pour pouvoir créer. Kant n’avait  jamais quitté sa ville natale. J’avais donc  voyagé عجيب à travers des livres, des contes et des poèmes que je dévorais à chaque seconde libre.

Question 5 :Vous êtes pianiste de renommée mondiale et j’étais présent au concert que vous aviez donné dans le palais du baron d’Erlanger à Sidi Bousaid en Tunisie et qui s’était déroulé à guichets fermés. Cet élément important suscite la question suivante : «  Si la relation entre la musique et la poésie est très étroite en raison de la place qu’occupe le rythme dans cet art linguistique, peut-on dire que votre âme musicale influe aussi sur vos écrits narratifs ? Si oui de quelle façon ?

La musique fait partie ma vie, depuis que je suis née. Elle m’entoure, elle m’habite. Tous mes souvenirs, toutes mes pensées sont liés avec elle. Alors il me semble tout à fait naturel qu’elle fait partie de mes écrits aussi.

Question 6 : La même question se pose aussi  concernant votre troisième don : la peinture. Vous êtes aussi peintre de renommée mondiale .Mais contrairement à la musique, l’âme picturale influe sur le récit surtout au niveau de la description. Sentez-vous qu’elle influe aussi sur votre écriture narrative ?

Les arts sont pour moi inséparables. L’un influence l’autre. La musique, l’écriture, la peinture se complètent, se composent et se recomposent ensemble, l’une à travers  l’autre.

Nombreux artistes, surtout à l’époque de renaissance, mais pas seulement, pratiquaient plusieurs arts à la fois. Dernièrement, j’ai visité une exposition consacrée à l’artiste français Odilon Redon (1840-1916) qui pourrait illustrer très justement ce cas. Redon était peintre, musicien et écrivain à la fois. Et quelle stupéfaction et plaisir pour moi d’avoir  trouvé ses peintures tellement oniriques !


Question 7 : Les écrivains européens qui ont écrit sur l’Orient et l’Afrique  (Chateaubriand, Gide Maupassant…) s’étaient laissé entraîner derrière un sentiment  explicitement exotique. Avez-vous éprouvé le même sentiment en écrivant vos textes lorsque vous aviez résidée  pendant des années en Tunisie et puis  en Éthiopie ?

Bien évidemment, l’exotisme est la première chose qu’on ressent, qu’on cherche ou bien à quoi on s’attend en visitant des pays lointains. Et puis, il vient le revers de choses. On commence à approfondir l’image. Grâce aux amitiés, à l’accoutumance à la vie quotidienne, à la culture. Mais pour cela il faut du temps. J’avais eu  le privilège d’habiter en Tunisie pendant 5 années et en Ethiopie pendant 4 ans.

Je pense aussi que l’effet d’être confrontée  à une autre civilisation enrichit l’étranger  et lui inspire  des idées nouvelles. Cela contribue aussi à déployer en toute largeur, les ailes de l’inspiration.

Question   8 : Face aux évènements tragiques qui se déroulent depuis plus de huit ans en Syrie, au Yémen , en Irak, en Libye… suite à des complots fomentés en Occident avec la complicité de certains pays arabes riches ,  pensez-vous que le dialogue entre l’Occident et l’Orient est toujours possible ?

Le dialogue – oui ! Il faut rester ouvert. Si on se ferme, rien n’est plus possible. A mon avis, il ne s’agit pas de problèmes sur la ligne Orient-Occident. Je pense plutôt que se sont des forces du Mal qui s’affrontent. Je ne suis pas politicienne, loin de là. Mais si je l’étais, je ferais TOUT pour que l’amour, la paix et la compréhension règnent dans le monde entier.

 

Question 9 : Votre appartenance  à la sélection poétique mondiale vous a-t-elle apporté quelque chose ?

Bien évidemment ! Elle m’a permis de connaître beaucoup d’excellents poètes du monde entier et aussi de faire partie d’un livre très important, regroupant tous les mouvements poétiques : « Analectes de la poésie mondiale ».

 

Question 10 :  Parlez-nous de vos prochains projets littéraires ?

Mon second recueil de poèmes, intitulé « Le pécheur d’étoiles » est déjà prêt. Il n’attend qu’un éditeur, volontaire à m’accompagner dans cette nouvelle aventure poétique.

Je suis en train d’écrire aussi un roman :intitulé  « La nuit abyssinienne ». Toujours inspirée par les voyages !  Sinon, il y a plein d’autres projets, commencés et abandonnés au cours de temps, ils attendent leur réapparition, quelque part au fond d’un tiroir.

 

 

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