Les interventions des critiques au troisième colloque de la maison Ichraq éditions et de la revue « Culminances » sur le poète Jaafar Majed qui s’est tenu le samedi matin 4 janvier 2020 au club des anciens élèves de l’école Sadiki sis au 13 rue Dar el Jild –la Kasba – Tunis

L’intervention de Mohamed El May :

Mohamed El May était l’un des amis intimes de Jaafar Majed à qui il confiait tous ses secrets contrairement à moi avec qui la relation a toujours été littéraire et il ne m’avait jamais parlé , par exemple , de sa famille. Selon El May , ce poète aimait éperdument la vie et se sentait satisfait de son parcours et de la place qu’il occupait sur la scène culturelle. Quant à sa disposition psychologique, elle se caractérisait par une hypersensibilité qui le poussait soit à l’excès de joie, soit au summum de l’énervement en plus d’une inclination à l’ironie et à la critique acerbe, ce qui lui a créé beaucoup d’ennemis dans le milieu littéraire et à l’université. Et il réagissait aux attitudes de ces adversaires par des poèmes extrêmement satiriques et caricaturaux qu’il se contentait de lire à ses amis .

El May a parlé aussi de la relation de Jaafar avec sa ville natale Kairouan et son amour pour ses enfants et surtout l’aîné Moez .

Ces témoignages émis par un ami du poète sont de nature à éclairer ses écrits car on ne peut jamais – n’en déplaise à Roland Barthes !- dissocier l’auteur de son œuvre.

L’intervention de Manoubia ben GHedahem

La critique Manoubia ben GHedahem a axé son intervention sur la structure psychique et psychologique du jeune poète Jaafar Majed à travers son recueil « Des étoiles au dessus du chemin « .Cette étude a révélé chez ce jeune poète un esprit révolutionnaire hérité peut-être de son père qui était un militant patriotique à l’époque coloniale et qui avait été arrêté et emprisonné pour ses activités politique contre les occupants .Mais l’attitude du poète à l’égard de la femme est par contre des plus arriérées car il la considère comme un corps et une source de plaisir .

J’ai appuyé la dernière constatation de ma collègue en témoignant que Jaafar me disait fréquemment que toute femme dépasse les vingt-huit ans sort définitivement du champ de ses intérêts !!

Je dois ajouter aussi une information qui n’a pas été citée dans le colloque mais qu’il faut noter pour l’histoire et pour mieux comprendre la poésie de ce poète est qu’il n’approuvait pas l’appel de Tahar Haddad à la libération de la femme. Et sur ce point, j’avais eu de longues discussions avec lui ainsi qu’avec le critique Bouzaiene Assadi qui partageait avec lui cette même idée.

L’intervention de Mustapha Kilani

L’une des autres problématiques débattues dans le troisième colloque de la maison Ichraq éditions et la revue « Culminances » est la dualité :classicisme/modernité dans la poésie de Jaafar Majed.Sur ce point , le critique Mustapha Kilani a montré que Jaafar avait une conception bien particulière de la modernité .Pour le poète qui écrit la prose poétique ou le poème libre ou le poème en prose doit d’abord faire ses preuves et démontrer ses compétences dans l’écriture de la poésie classique sinon il l’accuse d’enfourcher la modernité pour cacher son incapacité de se conformer aux règles de cette poésie en raison de sa faiblesse linguistique et sa non-maîtrise de la métrique .

En réalité Jaafar Majed sentait son appartenance à Kairouan comme une lourde responsabilité qui lui imposait de s’enraciner dans le patrimoine vu que cette ville était pendant plusieurs siècles la capitale du califat arabo-musulman en Afrique du nord et en Andalousie .Mais son bilinguisme et les études qu’ils avait menées à la Sorbonne en France le pousser à s’ouvrir sur l’Occident .Et la solution qu’il avait trouvée pour résoudre ce dilemme était d’écrire la poésie libre et le prose poétique avec un goût totalement classique.

 

L’intervention d’Amor Hfaiedh

Le critique Amor Hfaiedh connaît parfaitement le poème en prose du fait qu’il est l’auteur d’un ouvrage sur le grand poète syrien Adonis qui compte parmi l’un des meilleurs poètes arabes qui se sont spécialisés dans ce genre, en plus de la connaissance approfondie de l’intervenant des ouvrages théoriques sur le poème en prose dont le fameux ouvrage de Suzanne Bernard institué Le poème en prose de Baudelaire jusqu’à nos jours ( une thèse de doctorat d’état soutenue à la Sorbonne en 1954).

Armé de ces connaissances, le conférencier s’est penché sur les poèmes de Jaafar Majed non-soumis aux règles de la métrique .Et le résultat est que ces poèmes sont des texte en prose mais écrits avec une âme classique en diversifiant les mètres anciens dans presque chaque vers .Ainsi ne il s’agit nullement de poème en prose mais d’une poésie rénovée tout en demeurant solidement attachée au patrimoine poétique arabe .Et cette conclusion rejoint , comme on le voit, celle à laquelle est arrivé le critique Mustapha Kilani.

 

 

L’intervention de Faouzia Saffar Zaouak :

La critique Faouzia Saffar Zaouak a été choisie pour étudier les mémoires de Jaafar Majed parce qu’elle est l’auteure d’un bon ouvrage sur les mémoires du grand écrivain et poète libanais Mikhail Nouaima que j’avais eu l’honneur de relire et publier chez general Services il y a près de vingt ans. Jaafar Majed n’avait apparemment pas achevé l’écriture de ses mémoires, car il n’en avait publié que quatorze chapitres dans sa revue « L’espace du savoir » de 1998 jusqu’à l’année de sa mort 2009.Mais ce qu’il a publié jette un bon éclairage sur une son enfance, son adolescence et sa première jeunesse .Au cours de cette période s’étaient constitués les deux principales composantes de sa formation qui était bilingue : d’un côté la langue arabe et la culture arabo-musulmane ancienne qu’il avait acquises dans sa ville natale Kairouan et de l’autre la culture française d’abord à l’école franco-arabe puis à l’école normale des instituteurs à Tunis puis à la Sorbonne en France. Cette formation s’était renforcée par ses contacts avec les grands poètes kairouanais classiques Chedly Atallah et Mohamed Mazhoud qu’il considérait comme ses vrais maîtres et avec de grands penseurs et chercheurs étrangers dont Charles Pellat ,Gérard Lecomte, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir , Albert Camus, Mohamed Arkoun …Cette formation bilingue solide est la clé de toute son œuvre poétique et prosaïque qui se caractérise par l’enracinement dans le patrimoine arabo-musulman et une ouverture à vrai dire très mesurée sur le monde moderne.

L’intervenante a critiqué sévèrement la méchanceté de Jaafar à l’égard de grands symboles de la littérature et culture tunisiennes tels que le grand poète Aboulkacem Chebbi, le grand critique et ami de Chebbi Mohammed Hlioui, le grand philosophe et écrivain Mahmoud Messadi le professeur de linguistique et poète Salah Garmadi, le penseur Mahjoub ben Miled …etc…

Cette méchanceté est due soit à un gonflement de la personnalité, soit à une nature malicieuse. Quant à moi, je pense qu’il faut chercher cette tendance à minimiser la valeur des autres dans le narcissisme excessif dont aucun vrai créateur n’est exempt mais à la différence des autres grands créateurs Jaafar l’affichait au lieu de le cacher derrière une fausse modestie.

La critique Nesrine Senoussi a axé sa conférence sur les points de convergence et de divergence entre l’ouvrage de Jaafar Majed « Mohammed le prophète homme » et celui de l’écrivain égyptien Taha Husseyn « En marge de la vie du prophète ».Le point commun principal qu’elle a entrevu entre ces deux livres est la mise en évidence par les deux auteurs du côté profondément humain dans la personnalité du prophète, lequel s’est matérialisé pendant son enfance dans son état d’orphelinat et sa privation très tôt de sa mère ainsi que dans la tendresse qu’il avait trouvée chez sa nourrisse Halima Saadia , ensuite durant l’adolescence où il s’est distingué par sa sincérité et son honnêteté puis pendant sa jeunesse quant il fit l’expérience de l’amour et de la guerre, enfin à l’âge adulte lorsqu’il a réussi à rassembler ses disciples et ses partisans et à changer le système tribal en un système de nation .Il en est de même dans le livre de Taha Husseyn qui a décrit les rêves du petit garçon orphelin puis les hautes qualités morales du jeune et la perspicacité du chef adulte .D’autre part, le but de l’écriture de ces deux livres est à peu près le même, car les eux auteurs visaient à montrer l’essence humaniste de l’Islam et les hautes valeurs qui lui sont attachées comme pour répondre à ceux qui dénigrent cette religion au nom de la modernité et aux fanatiques pour qui elle est une doctrine rigide prêchant la violence et la haine .Mais les deux livres diffèrent sensiblement de par leur style :si Taha Husseyn a choisi le style narratif , Jaafar, quant à lui, a préféré traiter l’histoire de la vie du prophète poétiquement.

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