Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :32–Les poèmes de Mohammed Derkaoui : 32-4:Le tain éphémère

Mohammed Derkaoui

 

La petite fille

Aime bien se regarder

Son miroir teinté

Par le reflet des couleurs

Simule son bonheur

Sa symétrie

Au milieu des objets

Laissés derrière son dos

Gonfle son égo

 

Le petit garçon

Aime jouer au pistolet

Il aime voir son image

Faire des grimaces

Son miroir

Lui sert de parloir

Il veut y voir

Ce qu’il veut être

Ce qu’il croit ne pas être

 

La fille essuie sa glace

Avec délicatesse

Elle caresse chaque objet

Comme s’il était vrai

 

Le garçon en a marre du comparse

Qui lui fait face

Il brise le miroir

Se débarrasse de cette carapace

 

Le temps passe

Le tain du miroir s’efface

Leurs rides se retrouvent face à face

Chacune voit dans l’autre la même vie gâchée

Par trop d’amour-propre

Par trop de sentiments impropres

Elles ne peuvent se toucher

Elles peuvent juste se regarder

À deux doigts l’une de l’autre

La vitre sépare leurs corps fatigués

Avides d’amour

Ils ne peuvent s’enlacer

Que faire du temps qui reste

Sinon transcrire des mots qui flattent?

 

Ce poème est du genre  allégorique qui consiste à  représenter une idée abstraite par le biais d’une histoire ou une image concrète donnée. Et pour être exploitée en poésie, cette idée doit être originale ou du moins pertinente pour créer l’effet esthétique escompté et espérer fasciner le récepteur (auditeur ou lecteur) , le but visé de tout poète. Ce à quoi répond l’idée charnière   traitée dans ce texte et que l’on peut résumer en ces mots : pour aimer vraiment quelqu’un,  il faut  l’aimer en soi et non à travers soi. Et selon la division de l’image du couple en deux parties temporelles distinctes, la façon d’aimer contraire à cette prescription  et que le poète désapprouve énergiquement s’acquiert à la première enfance au cours de laquelle la fillette ou le petit garçon ne trouve personne pour l’apprendre à refouler ses penchants narcissiques  (la petite fille aime bien se regarder son miroir teinté par le reflet des couleurs simule son bonheur  sa symétrie au milieu des objets laissés derrière son dos gonfle son égo  –  le petit garçon aime jouer au pistolet il aime voir son image faire des grimaces son miroir lui sert de parloir il veut y voir ce qu’il veut être ce qu’il croit ne pas être) . Et les conséquences fâcheuses de cette déviation affective ne seront ressenties qu’à l’âge adulte  (   le temps passe le tain du miroir s’efface leurs rides se retrouvent face à face ) lorsque le couple se trouvera incapable de s’aimer sainement après le désastre causé par l’amour de soi à l’intérieur de chacun d’eux  (chacune voit dans l’autre la même vie gâchée par trop d’amour-propre par trop de sentiments impropres elles ne peuvent se toucher elles peuvent juste se regarder à deux doigts l’une de l’autre la vitre sépare leurs corps fatigués avides d’amour ils ne peuvent s’enlacer    ).Il en résulte une société qui déprécie l’amour et  discrédite la chaleur humaine, ce e qui crée  un terrain favorable à la haine de l’Autre et constituera ainsi une menace réelle pour la vie en groupe. Un texte riche en enseignement qui  donne aux lecteurs une leçon de vie .

Stylistiquement, il  est finement conçu et bien structuré.

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*