Ma génération par : Mohamed Salah Ben Amor

 

Je peux dire avec une grande fierté que ma génération, celle dont l’enfance avait coïncidé avec la proclamation de l’indépendance en 1956 ,était une génération gâtée. A l’école on nous servait un goûter à la récréation du matin et un autre à la récréation de l’après-midi et à midi un repas copieux gratuit pour les élèves de familles modestes et à un prix symbolique pour les élèves de familles aisées. Les élèves de familles modestes recevaient  en plus la fourniture scolaire et les habits de l’union tunisienne de solidarité sociale. Et au cours des vacances d’été, les élèves brillants étaient appelés à participer à des excursions organisées dans différentes régions du pays.
Cependant, si nous nous sentions bien entourés, protégés et soutenus socialement, le système scolaire auquel on nous avait soumis était des plus sévères . Le redoublement était très courant à la fin de chaque année scolaire , de la première jusqu’à la sixième, ainsi que l’exclusion définitive pour résultats insuffisants .Et au concours d’entrée à l’enseignement secondaire qui couronnait cette étape, seuls 25 pour 100 étaient retenus, pour cela il était un véritable écueil pour la majorité d’entre nous .Je me rappelle que pour préparer ce concours nous devions être capables de résoudre 1300 problèmes de mathématiques réunis dans un ouvrage portant ce nom , éviter de commettre moins de cinq fautes en dictée française et d’assimiler la grammaire arabe dans presque tous ses détails.
Ce qui fait que d’aucuns s’étonnent aujourd’hui quand ils entendent qu’à cette époque plusieurs fonctionnaires de l’état ne détenaient que le certificat primaire. En réalité, la formation que nous avions reçue à l’école primaire était plus solide que celle qu’on donnera à l’enseignement secondaire dans les années quatre-vingts .
Ainsi, la philosophie sur laquelle le nouvel état nationaliste avait érigé l’éducation se résumait en deux principes clairs : le premier est de donner les mêmes chances à tous les enfants du pays quel que soit le milieu social duquel ils sont issus et le deuxième est que la réussite est l’apanage des plus méritants.
Puis après l’arrêt de l’orientation socialiste dans le pays à la fin des années soixante et la montée en puissance d’une classe composée de nouveaux riches qui n’avaient pas participé à la lutte pour l’indépendance et dont l’unique but était d’accumuler les richesses , la solidarité nationale s’est peu à peu estompée , ce qui s’est répercuté gravement sur les conditions des études dans les écoles primaires et sur la qualité de l’enseignement qui y était donné. Et ce phénomène n’a pas tardé à gagner l’enseignement secondaire puis l’enseignement supérieur, ce qui a contribué à créer les conditions favorables à l’éclatement de la première révolution , celle du 26 janvier 1978 qui avait fait plus de 400 morts.

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