Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :30–Les poèmes de Rachel Chidiac : 30-3:Ma mémoire s’enfuit de moi

Rachel Chidiac :

 

Ma mémoire s’enfuit de moi

Gît endormie entre tes côtes,

Quémande au jasmin un brin de parfum.

Une mélodie de vie me parvient

Avec les ariettes de l’aveu. 

Je brise  à mon profit le roupillon de l’élan.

Un  résidu de féminité tressaillit en moi

Pareil à des débris sur lesquels

 Ont été imprimées les blessures.

J’appuie ma tête sur l’accoudoir du chemin

J’attends …

Une aube aux brises de soie approche.

Je ferme les paupières.

Je m’enfuis vers lui telle une fillette.

Sur les lèvres  un sourire éclot pour une larme.

Là-bas  dans les ombres de mes plaines

Il y a  un bout de spectre.

Un soupir pareil à la mélodie d’une flûte

Chatouille mes souffles.

Viendras-tu  à l’aube ?

Je t’en conjure ! Dis-moi :

Comment pourrais-tu être

Parfois un débris blessant de l’éloignement

Et parfois un baume  pour ma blessure ?

 

Etant le préfacier du premier recueil de cette poétesse intitulé Excuse-moi paru à Beyrouth en 2010 et l’auteur d’une longue étude sur ce même recueil publiée la même année,  en plus de notre suivi régulier de ses publications depuis 2009, tentons, dès le début, de résumer très brièvement  son expérience poétique afin d’aider le lecteur  à y situer ce nouveau poème. La plupart , si ce n’est la totalité, des  écrits de cette auteure, qu’ils soient en poésie ou en prose,  gravitent  autour du thème de l’amour  platonique  unique , fusionnel et permanent, consolidé par une foi chrétienne inébranlable qui conçoit la relation homme/femme comme une union pour le meilleur et pour le pire sur terre   puis éternelle après la mort .Ce qui s’exprime souvent  par le biais du procédé de l’implant (ma mémoire s’enfuit de moi,gît tout endormie entre tes côtes). Néanmoins le caractère spirituel profond de cet amour n’empêche pas de jouir du plaisir sensuel légal et dans certaines mesures que procure le contact avec la deuxième moitié,ce qui le démarque  à la fois de l’amour charnel proprement dit et de l’amour spirituel pur. Une deuxième caractéristique de cet amour est qu’il s’inscrit dans un mouvement général et absolu auquel participent toutes les créatures de l’univers, du fait qu’il constituerait l’essence même de cet univers et de l’existence qu’il abrite , d’où le recours fréquent  à la convocation des éléments naturels (  quémande au jasmin un brin de parfum- une aube aux brises de soie approche  )  .Cependant en raison de la faiblesse de la créature humaine,  cet amour sublime et idéalisé n’est jamais à l’abri des hauts et des bas relationnels, d’où l’assombrissement parfois de ses horizons par des   heurts et des signes d’incompréhension passagers (  pareil à des débris sur lesquels ont été imprimées les blessures – là-bas  dans les ombres de mes plaines – ma blessure –  comment pourrais-tu être

Parfois un débris blessant de l’éloignement) .Et c’est justement ce côté humain ambigu et insaisissable qui constitue le charme de l’amour (sur les lèvres  un sourire éclot pour une larme – comment pourrais-tu être  parfois un débris pour l’éloignement et parfois un baume  pour ma blessure ? – sur les lèvres  un sourire éclot pour une larme).

Au niveau du style, la nature particulière de la scène décrite a exigé l’emploi des deux tons lyrique et euphorique souvent entremêlés : le premier pour  l’exaltation du moi  (un  résidu de féminité tressaillit en moi ) et le second pour exprimer la joie et le bonheur voire l’extase ressentis par la locutrice (une mélodie de vie me parvient avec les ariettes de l’aveu – un soupir pareil à la mélodie d’un flûte  chatouille mes souffles ).

Un texte typique portant l’empreinte singulière de son auteure,  finement organisé aux deux niveaux formel et sémantique,  en dépit de la fluidité des sentiments qui le traversent de bout en bout.

Répondre

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués d'une étoile *

*