Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi : 26 -25 : Je t’aime à en mourir

Gaëtan Parisi

Je me suis perdu
Dans une prairie d’étoiles.
Aujourd’hui l’herbe ne pousse plus.
La lumière se couvre d’un voile.
Au fond d’un trou
J’ai pris place.
Je n’ai plus l’audace
D’attendre ton retour.
Je t’aime à en mourir
Mille fois j’ai du le dire

Je meurs d’aliénation
Fou de ma passion
Je tombe
Dans la nuit
La nuit profonde est ma tombe
Je succombe à ma douleur
Merci pour le dernier bouquet de fleurs
L’amour ne peut vivre
Dans les pages blanches d’un livre

J’ai pleuré ton absence
Ton indifférence
Je t’ai offert ma soumission
Jusqu’à la déraison
Alors je pars
Puisque tu es partie
J’assume la déshérence
L’errance
J’endosse la veste de coutil
De l’exil
Il me mène à l’opposé
De là où il est bon d’exulter
Face au jet ondulant
Du désert blanc

Je n’entends plus le vent
Le froissement de l’océan
Le murmure des arbres géants
Légers comme les vagues du firmament
Je n’entends plus la houle
De pleine mer
Qui roule
Roule
Roule
Avec le souffle de l’air
Sous un ciel indifférent.
Mort
Je vis
Le sceau invisible du temps
Il cerne mes pensées
Il calme mes baisers
Il panse mes plaies

Voilà le sort
Du corps.
Rester sourd
Aux crevasses du cœur.
Le ciel se voûte
Avec les fantômes de la matière
L’âme écoute
Ces silences de terre

Dans ce cimetière humain
Où est le chemin
Ma route s’arrête
Entre rien
Et rien
Je suis ankylosé
De fantasmes
De rancœurs
De regrets
Noyé
De miasme
Je me souviens
Enfin
Non plus de nos bavardages
Non plus de ta jeunesse
Non plus de ton visage
Ni de tes caresses
Seulement
Je me souviens
D’une blessure
Un goût de neige sûre
Un vol de corbeaux
Un barbelé sur ma peau

Surpassez votre phobie du néant
Ne laissez pas les questions s’éteindre en dedans
L’être aura accès aux prothèses de l’oubli
Aux antithèses de l’ennui

J’ai entendu les prières des sages
Légères comme le taffetas des songes
Voler jusqu’à mon trépas
Pour ressusciter mon pas
Pour raviver ma foi
En toi
Que je ne connais pas
L’amour est une formidable énergie
Qui tue
Et puis redonne la vie
Je dois gravir les montagnes
Serrer des mains dans la rue
Me hisser hors du crépuscule
Mon âme bascule
J’atteins
Le secret divin
De la résurrection
L’aube est magnifique
J’entends des cantiques
Les anges s’habillent de couleurs
Je respire l’éther du bonheur
Le ciel est clair
L’éclair
Le soleil
M’inondent de lumière
Le vin coule des aiguières
Bonjour
Je t’aime à en mourir

 

Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises dans nos commentaires sur la poésie amoureuse, l’amour appartient à la même zone de la psyché humaine que la mort et la folie. Pour cette raison, rien d’étonnant de voir ce trio évoqué côte à côte dans ce poème (Je t’aime à en mourir – Fou de ma passion).Et pour saisir cette association apparemment insolite, rappelons que Freud a démontré le lien étroit entre l’amour et l’instinct de mort, du fait que ce dernier crée dans le corps humain une sorte de nostalgie voluptueuse de son origine lointaine :la terre .Ensuite , il a en commun avec la folie une grande part d’irréel et de fantasmagorie. De ce fait, on ne peut parler de vrai amour s’il n’est pas « fou » , sinon il ne peut être que de l’admiration ou de l’amitié ou même un égoïsme camouflé. Et ce caractère déraisonné est d’autant plus fort lorsque l’amour est unilatéral, soit dès le début, soit à la suite d’une rupture d’un seul côté, comme c’est le cas dans ce long poème où l’accent est intensément mis, par le locuteur lui-même , sur l’ébranlement qui a touché son dispositif affectif , à cause du départ définitif de sa bien-aimée (Tu es partie ).

Ceci, en bref, est le noyau sémantique duquel a été généré le texte. Quant à la façon avec laquelle le poète l’a traité, il a usé de deux procédés concomitants : le premier est la division temporelle de son état d’âme et d’esprit en deux phases opposées (l’abattement à l’avant-mont / le bien-être à l’après-mort ) et le second est l’amplification à l’extrême de ce même état au cours des deux phases , tout en déployant de grands efforts de métaphorisation, du début du poème jusqu’à sa fin , nous gratifiant de belles images telles que ( Je me suis perdu dans une prairie d’étoiles – Face au jet ondulant du désert blanc -le murmure des arbres géants légers comme les vagues du firmament – Rester sourd aux crevasses du cœur. le ciel se voûte avec les fantômes de la matière…).

 

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