Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor : 26–Les poèmes de Gaëtan Parisi :26-1 : Je suis au ciel

Gaëtan Parisi

Choisis ta mort

Choisis ton camp

Aborde le regard des passants

Efface de ta bouche

Mets en touche

Le remord

L’amour n’est jamais offert

A force de le taire

Il se perd

Perds ta main de fer

Passe la porte de l’enfer

Sur l’écorce douce des bouleaux

Laisse ta peau en lambeau

Choisis ta mort

Choisis ton sort

Ton sort est dans un nœud

Aimer

Aimer est un vœu

Défiguré

Torturé

Fissuré

Son silence inflige

Des blessures

Des fêlures

Le mal se fige

Quand tout se bouscule

Quand tout bascule

Quand le froid

Des nuits sans draps

Nous fait perdre la foi

Quand l’arme de ses bras

L’absence

Lancinante

Sans combat

Trucide nos sens

Choisis ta mort

La mort rassure

Comme le blanc azur

L’azur d’une promesse

Déesse

Abuse de mon corps

Use de ton cœur

Renonce au futur

Obscur

Accepte le jour

Jour après jour

Chaque jour

Creuse un thème

Ce n’est pas un blasphème

Dis je t’aime

Je t’aime

Je t’aime

Encore je t’aime

Choisis ta mort

Étale ton sang sur un parchemin

Assume ce destin

Assure un chemin

Avec une autre calligraphie

Ecris

Un lendemain

Un lien

Qui unit

Tu es pour mes nuits

Un astre qui brille

L’incandescence d’un rêve infini

La vie

Au delà de l’oubli

Tes yeux sont la panoplie

Des couleurs

De l’arc-en-ciel

Je suis au ciel.

 

Ce poème est conçu sous la forme d’un discours injonctif dont la plupart des actes de langage qu’il comporte appartiennent à ce que John Searle (né en 1932) a appelé  la catégorie des «  directifs »   c.à.d. les demandes adressées par un  locuteur à un destinataire donné pour obtenir de lui des  choses  bien déterminées .Dans le contexte ci-présent,  le locuteur a joué,  du début jusqu’à la fin  , sur le sens du pronom personnel  « tu », en  laissant dans l’ambigüité ou ,  si l’on veut  , dans le pénombre  l’identité réelle de celui ou de celle à qui il parle .S’adresse-t-il à celle qu’il appelle « déesse » citée  dans le vers 39    ? Et dans ce cas qui pourrait-elle bien être ? Une bien-aimée ou la mort ? En plus, dans les 38 premiers vers, on a  une forte sensation qu’il parle à soi-même et non à une autre personne.

En réalité, les deux notions essentielles  autour desquelles  s’articule le texte, celles de l’Amour et la Mort,  sont, contrairement aux apparences, fortement liées. En effet,  Sigmund Freud(1856 – 1939) n’a-t-il pas  attribué le vrai amour , l’amour profond et intense à l’instinct de mort qui ,  avec l’attraction vers le bas qu’il exerce sur l’être humain pour le faire revenir à l’état inanimé dont il est issu  ,  lui fait sentir un mélange de volupté et de douleur  insupportable ? (Déesse / abuse de mon corps/ use de ton cœur  – dis je t’aime/ Je t’aime/ Je t’aime/Encore je t’aime/Choisis ta mort/ étale ton sang sur un parchemin ).Et cette dualité : Amour /Mort appartient vraisemblablement à la zone irréelle de l’amoureux, voire de l’être humain en général. Ce qui en fait pratiquement une forme atténuée de folie.

Enfin  , armés de ces interprétations , le fond du texte  pourrait s’éclaircir  à nos esprits et  avoir le sens suivant  :un amour fou se serait emparé du locuteur et lui aurait  occasionné  une sorte d’extase douloureuse qui lui aurait  fait subir une mort psychologique symbolisée dans le litre ainsi que dans l’ultime vers  par  ce passage au  royaume des âmes ci-haut dans le ciel .

Sur le plan stylistique, notons le rythme frénétique engendré par l’accourcissement des vers et l’usage massif de l’anaphore .D’autre part,  le fait de placer le locuteur tout  au long du texte  au ciel en tant que mort  et la bien-aimée sur terre en vie a conféré  au poème un charme  particulier matérialisé par ce dialogue épatant entre l’ici et l’au-delà.

 

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