Les entretiens de « Culminances :11– Avec la poète libanaise Rachel Chidiac

Rachel Chidiac

Qui est Rachel Chidiac ?

Rachel Chidiac est née à Rachiine (Ras Al Ein ) à Zgharta ( nord du Liban).Elle a fait ses études à l’école des sœurs antonines à Khaldiyeh à Zgharta .En 1994 elle a obtenu le diplôme de l’école normale de Beyrouth dans la spécialité de la langue française. Poétesse bilingue, elle écrit ses poèmes en arabe et en français. Dotée d’une imagination féconde et d’une sensibilité effilée, elle s’investit dans la totalité de ses écrits à dépeindre avec des touches de mots débordant de finesse un univers intérieur habité par une passion amoureuse platonique oscillant entre violence et douceur.

Ses recueils de poèmes :

Souffles sans âge, Editions Dar Al Jil, Beyrouth, 2011 – Excuse-moi, Dar Al Jil, Beyrouth,2012 préface de Mohamed Salah Ben Amor – Le jour où la pluie a dansé avec moi, Dar Al Jil, Beyrouth,2015.

Question 1 : Votre expérience poétique se fonde dans son ensemble sur l’amour spirituel. Pensez-vous que ce genre d’amour peut encore trouver un auditoire à notre époque  où le matérialisme est roi ?

Rachel Chidiac : Lorsque Dieu a créé l’homme et la femme, il en fait deux êtres complémentaires aussi bien au niveau de l’âme que celui du corps. A l’opposé de  mes écrits sur l’amour spirituel en langue arabe, mes textes en langue français ont, en revanche,  reflété l’importance de la sensualité physique et ses effets sur la relation entre l’homme et la femme et en particulier la femme orientale. Au niveau de l’expérience poétique, le poète doit parfois se libérer de soi-même et  faire sortir sa plume du cadre étroit de ses préférences  pour satisfaire tous les goûts à commencer par le sien. La poésie est le résultat d’une fusion de sensations qui  ne se placent  pas sous une même dénomination. En effet,  comme il y a des lecteurs  qui affectionnent ce genre d’amour, il y en a d’autres qui préfèrent son contraire. Oui, à notre époque l’amour spirituel a encore des amateurs  qui fouinent entre les mots  à la recherche de sa beauté, sa sublimité et  sa pureté disséminées entre les lignes.

 

Question 2 :La relation-femme  dans les religions monothéistes allie corps et âme. Quant à l’amour spirituel pur est, dit-on, un amour païen, car il a été théorisé par Platon. En êtes-vous consciente surtout que vous apparaissez à travers vos poèmes comme une chrétienne croyante ?

Rachel Chidiac   L’âme est le don le plus sacré que Dieu nous a octroyé. Et en raison sa préciosité, elle lui revient après la mort,  tandis que le corps périt et retourne à la poussière. Et tout comme l’âme est pour Platon le reflet de l’être immortel, elle est en amour le secret de son immortalité. Quant à la vie, l’équilibre ne s’y établit que par l’union de ces deux  côtés ensemble. Et en ce qui concerne la poésie, «  tout acte d’amour y est en fin de compte, un amour pour la divinité », comme le disait Saint Augustin. Pour cela, le fait d’aborder l’amour spirituel pur est une sorte de message de  foi dont le contenu est l’appel à l’amour qui est, tout comme l’amour de Dieu,  abstrait et invisible .Et cet amour demeure aujourd’hui encore sublime malgré la laideur de la réalité et le matérialisme qui la domine.

Question 3 :L’amour que vous chantez dans vos poèmes paraît être un amour unilatéral surtout que vous critiquez sévèrement et sans relâche l’homme oriental parce qu’il ne porte pas sur la femme le même regard idéaliste que le vôtre. A quel point cette impression est vraie ?

Rachel Chidiac :  Aimer quelqu’un ne veut nullement dire accepter la réalité masculiniste qui fait de l’homme oriental un dieu auquel doit se soumettre  la femme malgré toutes les réussites qu’elle a réalisées et qui grâce à elles elle l’a devancé  même dans les domaines dont il avait l’apanage. La critique sévère qui lui est adressée dans mes écrits est une tentative visant à  jeter des ponts avec lui plus qu’à l’attaquer ou  à le traiter injustement. En effet, la femme complète l’homme et n’est pas sa subalterne .Quant à lui, lorsqu’il faiblit, il ne trouve qu’elle pour le soutenir. Et c’est dans la matrice de laquelle  que la femme orientale a puisé ses traits, à savoir le respect, la considération l’honneur  et la générosité. Comment l’homme peut-il donc  avec une masculinité aveugle avorter tout ce que l’amour incarné en elle a bâti?

Question 4 :Du point de vue du style, la plupart des images poétiques dans vos poèmes sont puisées dans la nature. Cela est-il dû au fait que vous êtes d’origine campagnarde puisque vous êtes née dans un village au  nord du Liban ou à l’influence du grand poète libanais Gibran Khalil Gibran ?

Rachel Chidiac : La nature est la mère donatrice généreuse. Et ma patrie,  malgré les affres des guerres qui s’y sont succédé, ne nous a jamais privés de ses richesses. Partout où vous vous promenez, vous trouvez un lieu qui stimule  votre imagination et vous fascine. Et du coup, vous saisissez votre plume et vous vous mettez à écrire aisément sur ce qui  vous entoure .Et il est bien évident que le nord du Liban occupe une place très particulière dans mon cœur car, abstraction faite qu’il soit ma région natale, il est connu par sa beauté ravissante, la bonté de ses habitants, la générosité de sa terre et  l’élévation de ses montagnes. Il n’y est rien d’étrange que Gibran qui est originaire de cette région me captive, car  elle est connue par la sacralité de ses terres et le grand nombre des poètes qu’elle a enfantés.

Question 5 :Du point de vue style aussi, votre langue paraît répondre aux critères de l’éloquence chez les Arabes anciens aux niveaux du lexique et de la syntaxe. Auriez-vous subi l’influence de votre arrière grand père Ahmed Faris Chidiac  qui était un écrivain calé en langue arabe  classique  et qui avait laissé un grand nombre d’ouvrages de haute qualité  qu’il avait écrits dans une langue très soutenue ou bien avez-vous reçu une formation du même genre ?

Rachel Chidiac : Le fait de naître dans un foyer où la préoccupation du père et de la mère est de cultiver  et former scientifiquement leurs enfants est un bienfait que nous ne trouvons plus malheureusement aujourd’hui dans plusieurs familles.En toute franchise, mes paents ont joué un rôle important  dans le développement de ma passion pour la lecture et mon orientation vers la langue arabe classique. Les jeux électroniques  et l’internet  n’avaient pas dévasté  notre vie  comme c’est le cas de nos jours e.Et  nos soirées et réunions familiales se passaient , entre autres, dans la résolution des mots croisés et la déclamation de la poésie, ce qui enrichissait notre lexique individuel .Puis, lorsque que je m’étais élancée  dans la vie, j’avais pris l’imitative d’affermir  et consolider ce que j’ai  reçu de mes parents , tout en essayant de solliciter l’avis de professeurs dont les  compétences et l’expérience dans ce domaine sont bien reconnues. Et c’est un grand honneur pour moi  d’être l’héritière d’un tel patrimoine ,car l’éloquence a ses ténors et la langue éloquente n’admet aucune spéculation de la part de certains pseudo-poètes de nos jours mais elle les éjecte hors de son aire .

Question 6 : On  n’aperçoit  à travers votre poésie aucune influence claire des grands poètes arabes modernistes comme Mahmoud Darwich,  Mohamed El Maghout ou Adonis. Quelles sont vos principales  lectures en poésie arabe contemporaine ?Et y a-t-il d’autres poètes qui vous auraient influencée  surtout à  vos débuts ?

Rachel Chidiac : Tout ouvrage dans lequel je me trouve et je trouve ma quiétude  et peut-être aussi ma révolte et mon impulsion, je le lis  sans hésitation. Je lis des écrivains et des poètes divers comme Nazek Al Malaika ,Ahmed Matar, Said Aql,Ahlem Moustaghanmi, Onsi Al Haj et même Mahmoud Darwich même si vous ne lui avez pas trouvé de trace dans mes écrits , ni à d’autres poètes que lui .Quant à ceux qui m’ont influencée le plus à mes débuts, ce sont le poète Nizar Qabbani, l’écrivain Gibran Khalil Gibran et le romancier Gorges Zidane.

 

Question 7 : Vous écrivez de la poésie dans les deux langues arabe et française et vous aviez reçu un prix en France pour votre poésie  d’expression française. Comment vous vient le poème ? Parfois en arabe et parfois en Français ? Ou y a-t-il des sujets  qui demandent l’utilisation de l’une de ces deux langues  plutôt que l’autre ?

Rachel Chidiac : Le poème possède une intégrité   affective, spatiale et temporelle .Sa naissance est pareille à l’accouchement chez la femme .Il est surprenant mais précédé toujours d’une sensation furtive. Il n’y a aucun sujet dont le traitement exige l’usage d’une langue plutôt qu’une autre  à part cette fluidité qui se sélectionne  elle-même et s’impose  à la surface du papier. Mais je ne nie pas mon enclin pour la langue arabe lorsque je veux que le verbe soit fort et « lourd »,  comme le qualifie l’homme commun, tandis que c’est la langue française qui me séduit lorsque je suis prise d’une tristesse silencieuse !

Question 8 : Vous appartenez en même temps à la poésie arabe et la poésie francophone ainsi qu’à notre sélection de poésie mondiale qui est composée de poètes arabophones et d’autres francophones .Y a-t-il, selon vous, des différences entre les écrits de ceux-ci et les écrits de ceux-là  du point de vue préoccupations, soucis et styles ?

Rachel Chidiac : Il est naturel que les styles soient différents et qu’il y ait des différences  surtout dans la façon d’aborder les préoccupations de la vie au niveau de l’écriture. Mais l’intérieur du poète reste le  même et les sentiments qui l’envahissent demeurent les mêmes aussi. Car la tristesse, la joie, la douleur, la fatigue, la rébellion et l’abandon ne diffèrent pas substantiellement entre l’Orient et l’Occident et leur essence  est la même. Mais la manière de les exprimer ne peut jamais être discordante. En effet, le poète  est un produit de la société à laquelle il appartient et son écriture découle de la relation qu’il entretient avec lui. Pour cela, chaque fois qu’il s’imprègne de ses habitudes et s’y plonge, il acquiert un style propre bien éloigné des styles des écrivains d’autres pays même s’il subit leur influence .

Question 9 :Le facebook vous a-t-il apporté quelque chose en tant que poète ?Et y a-t-il, selon vous , des défauts ?

Rachel Chidiac : Le facebook était  pour moi d’une grade importance, du fait qu’il m’a aidée à m’ouvrir sur des poètes , des écrivains et des critiques de tous les pays du monde et par conséquent à  participer  à un domaine que j’aime. Il s’en est suivi que je sortis du cadre restreint de satisfaire le lecteur local  pour travailler sérieusement  avec des spécialistes   qui s’étaient intéressés à mes écrits .Et ce, grâce au soutien aussi bien  intérieur qu’extérieur  qui m’a été apporté, au suivi de très près dont j’avais bénéficié et la volonté sincère de diffuser mes mots.   Quant à  mon souci actuel, il est le même que nourrissent tous les épris  de la langue arabe  qui craignent qu’elle perde sa valeur non seulement sur facebook mais sur la plupart des réseaux sociaux.

 

Question 10 : Quels sont vos projets proches et lointains ?

Rachel Chidiac : Malgré le stock de textes manuscrits dont je dispose , j’ai décidé de ne pas me presser avant de publier le moindre recueil ou livre.J’ai quatre ouvrages prêts  à our la publication dont un roman ,un essai et un recueil de poésie. Mais aucunde ces livres ne verra le jour tant que je ne ressentirai  pas que le moment de sa publication est venu, car contrairement aux circonstances particulières de l’écriture, la publication exige de l’auteur qu’il lui crée les conditions favorables et la sortie d’un ouvrage doit découler d’une conviction et non  accomplie à l’aveuglette et avec précipitation .

 

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