Les entretiens de « Culminances » :2- Avec le poète tunisien Mohamed Ammar Chaabnia

Mohamed Ammar Chaabnia

 

Qui est Mohamed Ammar Chaabnia ?

Mohamed Ammar Chaabnia est né le 28 juillet 1950 à Métlao ui (Tunisie).Ses activités poétiques se poursuivent depuis les débuts des années soixante-dix. A Dirigé le festival national de la poésie à Métlaoui pendant plusieurs années. Il a fait ses premiers pas au sein du groupe « Les poètes miniers » dans sa région natale : le foyer minier au sud-ouest tunisien. Puis tout en conservant son orientation militante et engagée, ses préoccupations évoluèrent de la condition de la classe ouvrière locale à celle de la classe ouvrière mondiale et des problèmes sociaux aux questions existentielles touchant la place de l’humain à notre époque. Parallèlement, une évolution s’était produite, au niveau stylistique de son écriture, du discours incitatif visant la conscientisation du public et sa mobilisation à une langue finement ciselée et hautement poétisée. 

 Ses recueils de poésie :

Mines dans une ville innocente (Tunis 1976) –La saveur de la sueur (Tunis 1985) – la poussière du temps (Tunis 1994 ) –Trente ciels sous la terre d’Al-Khwarizmi (Tunis 2009 ) –Des pages du recueil de la révolution ( co-auteur avec Hassen Ben Abdallah) 2011.


 

Question 1 :Votre nom s’est lié depuis les débuts des années70 en Tunisie avec ce qu’on a appelé « Les poètes des mines », une appellation qui n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui de soulever un grand débat. En effet, jusqu’à quel point est-il possible de créer un mouvement littéraire sur  la   base  d’une appartenance  professionnelle ou régionale,  surtout si l’on considère que « les poètes des mines » sont apparus  dans la région du bassin  minier  située au sud-ouest du pays ?

Mohamed Ammar  Chaabnia   : Le premier poème relevant du « Mouvement des poètes des mines »  que je préfère dénommer « Le mouvement des poètes miniers » et que le grand romancier Brahim Darghouthi a désigné par une appellation plus large : « La littérature minière » englobant  tous les genres d’écriture, a été écrit au début des années soixante en langue arabe classique par feu le poète Ahmed Mokhtar El Hédi . Mais avant lui aux débuts des années 20, des poèmes  ont été écrits dans le même lieu en plusieurs dialectes (tunisien , libyen, marocain, algérien , Amazigh…), ainsi qu’en français par des poètes européens francophones . Ces poèmes avaient été inspirés de la tuerie perpétrée à cette époque par les forces coloniales contre des ouvriers qui avaient observé un sit-in dans le magasin central de  Métlaoui, un magasin  qui  appartenait  à la société du phosphate .Cette agression avait fait huit morts et vingt-quatre blessés qui ne survécurent que quelques mois.

Pour cela, il n’y a aucune limite qui empêcherait  la création d’un mouvement littéraire sur une base professionnelle ou régionale, parce que le seul mobile  qui nous pousse à écrire sur les ouvriers des mines  est notre coexistence avec eux dans le même lieu et par conséquent la bonne connaissance que nous avons de leur situation. Et nous avions eu la chance de voir nos premiers essais couronnés de succès, malgré leur spontanéité et leur simplicité, car les ouvriers des mines se comptaient par milliers et étaient rassemblés et massés dans un espace exigu géographiquement  qu’on s’est mis à  dénommer «  bassin minier au sud-ouest tunisien » à partir du début du XXIe siècle. Et si ces miniers étaient répartis seulement  par dizaines ou par centaines dans plusieurs régions du pays  à l’instar des ouvriers des chemins de fer ou de l’électricité, leurs efforts auraient été dispersés dans des lieux éloignés et  l’apparition  d’une littérature minière n’aurait jamais été possible. Pour cette raison, deux conditions s’étaient réunies pour la constitution du mouvement se proclamant d’eux :

La première est notre appartenance au plus grand  rassemblement ouvrier tunisien,

La seconde est l’ensemble des problèmes, dangers et peines professionnelles qui s’ébattent sur cet immense  rassemblement minier  et qui ont imposé à nos plumes de se positionner à ses côtés.

D’aucuns pourraient me demander quels sont les causes qui n’ont pas aidé à l’apparition d’une littérature qui s’occuperait , par exemple, des ouvriers pétroliers et qu’on aurait pu appeler « Littérature pétrolière ».Je leur réponds  que les ouvriers pétroliers  n’ont  pas  été gravement touchés par les mêmes conditions professionnelles que celles qui avaient touché et touchent encore les ouvriers des mines , en plus des effets nocifs des différents métaux , et ce,  dans toutes les régions du monde.

Question 2: La poésie minière est-elle une branche de la poésie ouvrière énoncée par le réalisme socialiste  qui avait été fondée par le penseur russe Vladimir Jdanov sous le règne de Staline ? Et si c’était le cas, comment ce courant peut-il être cohérent, surtout que des « poètes miniers » tels que feus Ameur Bouteraa et Ahmed Mokhtar El Hédi  avaient écrit aussi des louanges ?

Mohamed Ammar  Chaabnia   : Soyons d’accord que moi et ceux qui  ont partagé avec ma humble personne l’expérience de la poésie minière avions pris, au début,  comme point de départ,  des idées  dénuées de toute influence artistique ou idéologique. Nous nous étions adonnés  dans nos premiers textes  à la description et à la figuration.  Personnellement, j’ai écrit mes premiers poèmes miniers  quand j’étais élève au lycée secondaire. Et si les deux poètes feus  Ahmed Mokhtar ElHédi  et  Ameur Bouteraa avaient écrit des louanges à côté de leurs poèmes miniers, il m’était apparu clairement  au moment où le chemin avait commencé à se dessiner devant moi que le thème minier n’admet pas de la part du poète ce qui contredirait son orientation. Pour cette raison , j’avais tenu à ce que mon deuxième recueil intitulé La saveur de la sueur fût fidèle à la sueur de mon père, de mon grand-père, de mon oncle paternel , de mon oncle maternel, de mes voisins et de toutes  les personnes natives des régions minières, ceux qui avaient respiré  leur poussière et s’étaient baignés dans la sueur de ses labeurs.  Et à côté de cela, j’avais vu que l’écriture sur les miniers déblaie amplement le terrain à l’écriture sur les ouvriers en général à l’écriture sur les ouvriers en général condition que l’idéologie   n’ait pas le dessus sur le côté artistique, ce qui m’a amèné à  constater que le penseur russe Vladimir Jdanov, bien qu’il se fût aidé au cours du congrès des écrivains russes  en 1934  par le romancier Maxime Gorki  dans la délimitation des critères de la littérature réaliste socialiste, soutenait une vision pratique  selon laquelle cette littérature devrait la voix du prolétariat  et des couches sociales militantes .Et cela est , à mon avis, acceptable   dans la mesure oû le caractère réaliste de cette littérature lui impose de ne pas prêcher des choses qui dépasseraient la réalité. Et je demeure peut-être convaincu que Maxime Gorki ,le compagnon de Jdanov,  fût le principal auteur de la théorie réaliste socialiste en Union Soviétique  parce qu’il avait écrit le premier roman réaliste socialiste, en l’occurrence La mère,  paru en 1906.Mais sa mort en 1936 (il était né en 1886) avait ouvert la voie  à Jdanov, le 3ème secrétaire du parti communiste  de continuer jusqu’à 1954  à répandre cette idée et à prêcher  la littérature ouvrière qui stipulait que la fin des récits et des poèmes soient obligatoirement heureuses. Il n’est donc pas étrange que Gorki qui n’avait vécu que deux années après l’annonce de sa théorie fût oublié. Et comme le dit l’adage : « L’intellectuel réfléchit et le politicien répand le fruit de sa réflexion ».

Quant à ,moi, je suis convaincu que l’auteur de la poésie ouvrière, qui est une branche de la littérature ouvrière, doit saisir qu’elle constitue une donnée  dont la voix  ne peut être crédible s’il la lie à une autre voix qui lui est contradictoire comme le fait de l’assujettir  à une théorie idéologique dictée de l’extérieur ou d’écrire en parallèle des louanges adressées à des autorités qui n’ont rien  apporté aux ouvriers qui puisse répondre à leurs rêves et leurs actions militantes .Et il se peut que dans les poèmes que j’avais publiés dans mon deuxième recueil La saveur de la sueur paru en 1985 et après cette date , j’aie déterminé ma propre conception de la littérature ouvrière  à laquelle j’ai cru et qui devrait être une écriture  mettant à nu les obstacles qui entravent les  aspirations  des ouvriers à acquérir leur liberté,  qui font évaporer les fruits de leur labeur et qui enrayent les actions qu’ils mènent pour élever leurs peuples à un niveau susceptible de leur garantir  la dignité et la sérénité, ce dont témoignent mes poèmes intitulés : « Les douleurs d’Abi Dalef El Khazraji », « Une goutte de sueur », « Le maître des navires », « Décorations sur les os de Sinimmar », « Renonciations de Michghal Ibn Abi Kah »… !

 

Question 3: Depuis les années 90, vous aviez passé progressivement  de l’écriture sur les ouvriers des mines  à l’écriture sur le militantisme des ouvriers dans le monde entier. Mais après la révolution du 14 janvier 2011 que fit exploser le martyre Mohamed Bouazizi, tu es revenu soudain à la poésie minière pour l’abandonner une seconde fois au cours des sept dernières années. Comment expliquez-vous ces va-et-vient ?

Mohamed Ammar  Chaabnia   : Le poète qui vit pour les autres passe dans ce qu’il écrit par des états divers qui lui imposent de suivre de près les événements récurrents. Dans les années 90, j’ai arrêté d’écrire de la poésie minière pour me consacrer  aux actions militantes des ouvriers dans le monde parce que j’ai découvert que ce qui justifiait ma lutte  par le biais du verbe dans ce secteur a changé.En effet, il n y avait plus d’accidents de travail, les tunnels miniers  qui s’effondraient à titre quotidien sur les ouvriers , écrasant les uns d’entre eux et brisant les os des autres ont laissé la place  à des mines  superficielles ouvertes sur le ciel dans lesquelles on peut y demeurer pendant une année entière sans lui arriver aucun mal et  les salaires des ouvriers ont été augmentés de manière à ce qu’un nouveau embauché occupant le plus bas échelon  touche un salaire de pas moins de 1000 dinars () euros) , en plus de la multiplication des primes et des récompenses et l’instauration du treizième et quatorzième mois  , ce qui les a rendus confiants sur leur situation. Et que ceux qui leur ont envié ces délices sachent qu’ils les ont obtenues d’abord au bout de longues luttes, ensuite eu égard  le caractère périlleux de leur mission  et leur droit de jouir  d’une partie de ce qu’ils produisent .Il n’y avait plus donc ce qui justifierait par ces vers que j’avais écrit auparavant il y a plus de quarante ans :

Ma maison est une petite hutte

Et mon paie est un salaire qui est demeuré modeste

Et que je divise entre manger, habit et boire.

Et si je reporte le paiement de mes dettes,

Le boulanger,

Les vendeurs de légumes

Et l’épicier

Gratifieront ma porte

De réprimandes

Et me menaceront de plus me nourrir

Avant  qu’ils n’encaissent ses dettes.

Cependant ces travailleurs doivent réfléchir avant tout sur la destinée de leur bassin minier où rien n’a changé vers ce qui est plus beau, plus élevé et meilleur. Quant à moi, j’ai été envahi parces pensées, ce qui m’a amené , il y a deux années ou un peu plus à écrire  des poèmes miniers n’ayant aucun lien avec les ouvriers mais qui ont trait au devenir effrayant de ce bassin dont les villes risquent de devenir des villes fantômes. Et mes poèmes intitulés « Les mines », « La dynamite minière » et « Le poème des mines »que tout le monde connait confirment cette orientation.

Question 4: Peu après la révolution du 14 janvier, vous vous étiez mis à la chanter, ce qui vous a valu  de vous vous octroyer deux prix .Mais vous n’aviez pas tardé de  critiquer dans vos poèmes  la situation qui  s’en est suivie. A quoi était dû ce revirement ?

Mohamed Ammar  Chaabnia   : Pendant les dix derniers mois de l’année 2010, le pays bouillonnait, suite à l’immolation par le feu du jeune marchand de légumes ambulant Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid ( au Sud-ouest de la Tunisie) après la confiscation de sa charrette et sa balance. Je m’étais mis alors  avec mon ami le poète minier Hassen Ben Abdallah, le propriétaire de la maison « Hadil », à nous échanger sur facebook des poèmes  écrits promptement dans lesquels nous suivions pas à pas l’évolution de la situation dans le pays. Chacun de nous écrivait sur le champ à l’autre un commentaire en vers sur les émotions impérieuses et parfois irritées qu’il ressentait, avant de recevoir  la réponse dans la même journée ou dans le soir.  Ces échanges s’étaient poursuivis jusqu’aux environs du mois de février après la destitution du président égyptien Hosni Moubarek. Nous réunîmes, par la suite, ces textes dans un recueil sous le titre de « Etats divers d’une seule attente » que Hassen avait publié en deux éditions parues respectivement en mars et en juin  de la même année .Et lorsque mon ami Ezzedine Madani me demanda en 2011 de lui fournir un poème sur la révolution afin qu’il le publie dans son futur  journal « L’hebdomadaire culturel », je lui avais choisi quelques textes parmi ceux qui figuraient dans ce recueil et il les avait fait paraître dans le premier numéro   ce journal en juin 2001 sous le titre « C’est ainsi qu’une lumière nous emporte ».Quelques mois après, à l’annonce du prix Aboulkacem Chebbi consacré en cette année au meilleur poème sur la révolution publié dans une revue ou un journal, j’y avais participé et je m’adjugeai le premier prix parmi 450 participants  tandis que les 2ème et 3ème prix furent décernés aux  poètes Mohamed Ghozzi et Youssef Rzouga. Ce poème était, dans sa totalité, fidèle au rêve de se débarrasser de celui qui tenait sous son emprise le pays et la population pendant vingt trois ans .Et quelques mois après  cet événement ,  j’eus la certitude que les rêves s’étaient évaporés  et que le pays avait passé sous le joug de nouveaux gouvernants dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’étaient pas ceux que nous attendions. Tout s’était alors obscurci, le marasme s’était répandu,  la peur avait pris de l’ampleur et les crises s’étaient  aggravées.  Je fus ainsi frappé de déception et j’écrivis un long poème sous le titre « Le loup du temps a passé …malheureux » dont une partie avait été publiée dans le journal « Echchourouk ».Et lorsque la radiotélévision tunisienne avait annoncé l’organisation d’un concours sur le meilleur poème écrit sur la révolution, j’y avais participé avec ce poème sans m’attendre à ce qu’il soit consécré par le jury ou même retenu pour le concours parce qu’il était un véritable cri contre la dégradation de la situation après l’émeute de la charrette, dénonçant la politique menée par les nouveaux gouvernants et mettant à nu leurs pratiques qui n’avaient aucun lien avec le développement, la culture, la sécurité et l’économie. Mais j’avais été surpris par son obtention de l’unique prix décerné dans ce concours, ce qui  montre  qu’il avait  gagné l’admiration du jury  grâce à son ton sincère et audacieux. Puis mes poèmes s’étaient succédé  dans cette même direction et avaient trouvé un bon écho auprès des récepteurs parce que ceux-ci  y avaient trouvé ce qui reflétait leurs émotions et leurs états d’âme . Parmi ces poèmes, je peux citer :

1-« Ou bien est-ce que je mords sur un brandon de cuivre ? » que j’avais lu en août 2014  dans une soirée poétique qui s’était tenue à Ben Aous ( à la banlieue-sud de Tunis)  à l’occasion de l’anniversaire du décès de Mahmoud Darwich en  présence de l’ambassadeur de Palestine qui s’en était ému .

2-« Des mares pour un crapaud boiteux » qui avait été partagé plus de 80 fois sur facebook.

3-«  »  à l’occasion du septième anniversaire de ce qi s’était passé en Tunisie.

Et je pense que tout ce que j’ai écrit sur ce sujet restera pour les générations futures témoin sur les crises qui avaient  secoué  le pays depuis 2011 sur les plans économique, financier, culturel ,social, éducationnel, sécuritaire et du développement et tant d’autres.Ma poésie avait pris dès lors  pour but la mise à nu d’une réalité pourrie et la purification des consciences dans l’espoir qu’un jour mon poème reprenne sa limpidité   pour écrire sur une ravissante  Tunisie.

  5 : Si vous trouvez situation qui a été engendrée par la révolution du 14 janvier 2011 dégradée, vous n’ignorez cependant  pas que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis cette date sont légitimes et que le peuple a choisi la plupart d’entre eux à travers de scrutins démocratiques et transparents .Sur qui déversez-vous donc votre mécontentement ?

Mohamed Ammar  Chaabnia   : Je ne mets pas en doute la légitimité des gouvernements issus d’élections transparentes organisées par une commission indépendante qui lui leur a fourni toutes les conditions de réussite et de crédibilité.  Et  ceci du point de vue de l’organisation et la pratique constitutionnelles seulement.Car ce qui m’a  tracassé  dans ces gouvernements est ce qu’ils n’assument pas leur autorité avec le sérieux et le prestige nécessaires afin de bien gérer les affaires du pays et la protéger de la chute.La plupart d’entre eux ont cru que ce qu’on exigeait d’eux était la destruction de ce qui existe en raison de l’impossibilité d’assurer la continuité avec lui A  propos, Bakounine était sincère quand il a dit :« Pour que vous construisiez  il est indispensable de construire ».Mais ils n’ont rien construit après la destruction, parce que tous les projets qui ont été programmés depuis le gouvernement de la troïka n’ont pas vu le jour. Par contre, il y a eu l’extension de l’anarchie, l’arrêt du travail, l’aggravation de l’impériosité, l’augmentation de la contrebande , de la dette extérieure et du nombre des chômeurs .Et l’état avec ses tris présidences s’est trouvé totalement incapable d’apporter le moindre changement à cette situation .Ceci ne me conduirait pas à plus loin que le mécontentement ?

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Question 6 : Toutes les élections qui ont été organisées en Tunisie depuis 2011 ont montré que le courant libéral de droite  avec ses deux  constituants : moderniste et religieux est le plus enraciné dans le peuple, car il a récolté aux élections de 2014 près de 2.300.000 voix  d’un total de 3.200.000. Est-il possible qu’une littérature militante puisse se développer dans un contexte pareil ?

Mohamed Ammar Chaabnia : Le peuple en 2011 avait besoin d’élire une autorité  exécutive et législative pour gérer les affaires du pays et élaborer une nouvelle constitution .Mais il s’est rendu compte qu’il n’y avait  pas dans le pays des partis et des courants politiques et idéologiques bien soudés et organisés parmi ceux qui n’avaient pu se mettre en évidence sous le régime précédent à côté du parti au pouvoir : le rassemblement démocratique constitutionnel  qui leur avait barré la route. Pour cette raison , une coalition  s’était formée entre « Ennahdha », le parti qui porte  la conviction la plus répandue chez les Islamistes radicaux, le congrès pour la république et Ettakattoul .Et si ces trois mouvements avaient été considérés comme faisant parti du mouvement libéral , ils n’avaient pu au moment de la distribution des principaux rôles (président de l’état, chef du gouvernement et  président de l’assemblée constituante) exercer un pouvoir directif capable de concevoir une vision sociale, économique, doctrinale et politique  rejetant l’injustice, concrétisant  l’égalité et répandant  la liberté mais Ils ont , par contre, œuvré à  fournir du travail  et les postes  principaux à leurs proches, asséné un coup  fatal  à la culture ,ouvert la porte grade ouverte à l’hérésie des religieux intransigeants et pris parti politiquement pour des intégristes endurcis. Pour cela , ils ont été rejetés par les électeurs qui leur avaient donné leurs voix aux élections précédentes  , ce qui a eu pour effet la disparition de certains d’entre eux après les élections de 2014.Et ce qui s’était passé en cette période  ne pouvait avoir aucun lien  avec la possibilité de la floraison ou non d’une littérature militante dans le pays, parce que cette littérature si elle voit le jour, ne pourra être produite que par un grand nombre d’écrivains narrateurs et de poètes, ceux-là  qui n’ont profité que d’une seule donnée  de ce que le peuple attendait : la liberté d’expression. Et cette liberté est capable de contribuer à l’apparition d’une littérature militante, resplendissante de vie et remarquable dans notre pays.

Question 7 :Je suis critique, historien de littérature et éditeur. Et je sais parfaitement que les acquéreurs des recueils de poésie dans nos libraires se font de plus en plus rares, que le soutien du ministère de la culture au livre culturel a diminué de près de 70  pour cent, que seuls les anciens journaux ont pu subsister après le 14 janvier grâce aux revenues de la publicité …A qui s’adresse donc le poète tunisien aujourd’hui si les poèmes qu’il publie n’arrivent qu’à un nombre très réduit de lecteurs ?

Mohamed Ammar Chaabnia : Ce que vous venez de dire n’encourage pas à écrire ceux qui attendent de l’écriture qu’elle leur rapporte des rentrées financières après l’impression de leurs livres. Il n’encourage pas aussi l’écrivain, qu’il soit poète ou autre, à imprimer ses ouvrages parce qu’il ne trouve personne pour les acheter et l’aider ainsi à   couvrir une partie de ses  coûts. Avant la révolution, les maisons de culture encourageaient les auteurs qui résident tout près d’elles à l’intérieur du pays en leur achetant  des dizaines d’exemplaires de leurs ouvrages. Les lycées secondaires en faisaient de même et ils distribuaient les livres qu’ils achetaient des écrivains sous forme de prix aux fêtes de fin d’année. Tout cela fait partie aujourd’hui des souvenirs.  Et à la suite de ce qui s’était produit  , il n’est resté au poète que partager ses poèmes sur son mur de facebook , afin qu’ils soient lus par les autres chez qui la confusion est devenue totale, à la lecture de ce qu’écrivent des intrus qui se disent insolemment écrire de la poésie  alors que la poésie les désavoue totalement..Et ce qui est étrange ici est que la plupart de ces banalités acquièrent des centaines de signes d’admiration de la part de personnes aussi nullardes que leurs auteurs.

Et devant ce que je viens de dire, il vient l’idée au  poète authentique de laisser la scène toute grande  à ceux qui l’ont souillée .Mais il n’y arrive pas, parce que les gènes de la poésie ainsi que le reste des cellules actives bougent dans son esprit et l’obligent de se plier à leur ordre  chaque fois qu’ils  lui intiment l’ordre  d’écrire des vers.

Question 8 :Le phénomène de l’accroissement du nombre des poètes sur facebook est-il, selon vous, un signe  positif ou négatif , surtout que la règle qui régit la réception des poèmes qu’on publie sur ce réseau est, en général,  la complaisance .Et cela se constate dans le flot de « j’aime »s  que les amis des poètes font déverser sur leurs poèmes quelle que soit leur valeur et parfois sans même les avoir lus ?

Mohamed Ammar Chaabnia :J’ai abordé  en ce qui précède ou hâtivement le phénomène des poèmes facebookiens médiocres qui se sont révoltés contre la vraie poésie, ses poètes, ses critiques et contre Mark Zuckerberg  le créateur de facebook  lui-même  qui déteste la poésie .Et je crois que si les aides de Mark lui montrent   une cinquantaine de ces gribouillis nauséabonds qu’on prétend être de la poésie, il leur intimera  l’ordre d’interdire sur facebook la poésie  qu’elle soit  médiocre ou belle. Et c’est peut-être l’une des causes de l’aggravation de ses pertes financières ces derniers mois. Personnellement, j’imagine que si cela se réalise, les vrais poètes remporteront une grande victoire et ils prendront alors la direction des journaux et des revues qui n’acceptent pas la médiocrité par souci de garantir à leurs publications de la crédibilité.

Cependant, je ne pense pas qu’il existe un moyen dissuasif capable de faire face à ce phénomène aberrant sur facebook,  tant qu’il est ouvert à n’importe qui et tant que certains poètes connus font de la complaisance à des gribouilleuses en raison de leur attirance physiologique et non intellectuelle en posant des « j’aime » sous leur barbouillages.

Il y en a aussi qui n’ont pas honte d’inviter certaines d’entre elles à participer aux rencontres  et festivals poétiques et  à  leur prodiguer des primes généreuses pour des desseins qu’eux seuls connaissent.

Et ce qui est encore plus dangereux  est la publication par certains éditeurs  des « trucs » qui lèsent  la poésie contre des sommes d’argent.

Question 9 :Vous êtes l’un des rares poètes tunisiens à avoir bénéficié de l’intérêt des critiques dont moi- même .La critique est-elle, selon vous,  utile pour le poète ou peut-il s’en passer et lui préférer l’autocritique ?

Mohamed Ammar Chaabnia :La critique m’a aidé à revoir mes orientations et mes choix poétiques. Et étant donné que j’aspire toujours au nouveau, chaque fois que je suis  convaincu de la justesse d’un avis critique, je révise l’une de mes images  ou mon style ou mon attitude afin de me rapprocher encore pus de mes lecteurs. La critique fait découvrir au poète des mondes nouveaux qu’il n’a pas vus auparavant et qu’il ne verra pas tout seul, même s’il lit ses textes cinquante fois. Et contrairement à cela, il m’arrive parfois de lire un article sur ma poésie et de le trouver très éloigné de ce que j’ai voulu dire. Je le lis alors avec  la quiétude d’esprit qu’il faut et je n’attaque point son auteur ou me heurter avec lui. Et je demeure convaincu que tout texte qui n’a pas bénéficié  de l’intérêt de la critique est un texte mort !

Question 10 :Quels sont vos futurs projets ?

Mohamed Ammar Chaabnia :J’ai un bon nombre  d’ouvrages qui attentent  d’être publiés dont :

 

*Un recueil de poésie dont le titre sera peut-être « Quand j’ai sellé mon temps ».

*Les entretiens faits avec moi avant et après la révolution.

*Ce que les critiques ont écrit sur ma poésie.

*Des articles sur la poésie minière et la poésie ouvrière.

*Des chansons et des hymnes pour enfants

*Des improvisations ironiques sous le titre de « L’exhibitionnisme dans versification après la révolution »

*Une pièce de théâtre pour enfants intitulée « Les aigles étaient blancs ».

*Une pièce de théâtre pour enfants intitulée «  Pour le soleil ».

*Une pièce théâtrale en vers pour enfants intitulée « Le carnaval des roses ».

*La municipalité de Métlaoui du 11 novembre 1908 au  11 novembre 2008.

Et l’écriture se poursuit tant que le cœur bat et que les jours de notre vie débordent !

 

 

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