Mémoires d’un critique : Pourquoi les régimes en place de l’Europe de l’Est avaient-ils chuté à la fin des années quatre-vingt ?(1)

 

Pendant les années soixante-dix, la situation politique , économique et sociale  en Tunisie était explosive ( mais objectivement beaucoup moins que maintenant )et elle avait  été couronnée le 26 janvier 1978 par des évènements sanglants qui avaient fait plus de 400 morts, la plupart d’entre eux étaient des marginaux .En cette période, j’étais professeur d’enseignement secondaire au lycée de Carthage et j’écrivais dans le journal indépendant « Arrayi »( L’Opinion) .Et comme  plusieurs jeunes intellectuels de ma génération, je suivais avec curiosité ce qui se passait dans les pays socialistes de l’Europe de l’Est qui menaient massivement des  propagandes médiatiques  dans les principales langues du monde dont la langue arabe, visant à glorifier leurs états  et louer la politique qu’ils menaient.

Un jour, j’ai participé à un concours organisé par la radio de Varsovie (Pologne) et  gagné un prix qui consistait à visiter ce pays pendant deux semaines dans le cadre d’un voyage organisé auquel devaient participer des jeunes de plusieurs pays  pour leur montrer les réalisations du régime  socialiste en place.

Mais comme le voyage débutait le 24 septembre, que l’année scolaire commençait à cette époque le 1er octobre et que la prise de contact avec l’administration des établissements scolaires  devait s’effectuer au moins deux jours avant la rentrée, j’avais décidé d’ aller à ce pays  avant la  date fixée par les organisateurs.

Après avoir reçu du  bureau de la compagnie des lignes aérienne polonaise (LOT) à Tunis le billet d’avion qu’on m’avait envoyé et acheté un autre pour mon épouse puis obtenu le visa pour nous deux de l’ambassade de la Pologne, nous primes la direction de ce pays.

A l’aéroport de Tunis-Carthage, nous étions surpris d’être les seuls passagers à prendre ce vol .Puis notre étonnement se dissipa lorsque nous sûmes que l’avion venait d’Alger et qu’il fera escale à Tunis. Puis, en y montant, nous l’avions trouvé plein d’Algériens et de Polonais .Et cela s’expliquait par le fait que l’état algérien, à cette époque, entretenait des relations  étroites avec  les pays de l’Est, tandis que la Tunisie avait pour partenaires  principaux les pays de l’Ouest.

A l’aéroport de Varsovie, une autre surprise nous attendait : tous les passagers, qu’ils soient polonais ou étrangers  avaient été soumis à des fouilles méticuleuses voire humiliantes .Pire encore, moi et ma femme qui étions les seuls tunisiens à bord de l’avion, on nous avait confiés à deux policiers  parlant un  français  difficilement compréhensible dont l’un  était  muni d’une machine à écrire et ils s’étaient mis à nous interroger pendant plus d’une heure .Puis, Ils nous avertirent que la change de la monnaie ne doit s’effectuer que dans les banques officielles et qu’il nous est interdit de prendre des photos près des bâtiments abritant les institutions gouvernementales.

Avant de sortir de l’aéroport, ma femme m’a dit de demander s’il est possible de retourner à Tunis dans le même avion, car elle n’a plus envie de rester dans ce pays. Mais, il n’y avait qu’un seul vol par semaine entre Varsovie et Alger via Tunis et il nous fallait donc rester au moins une semaine.

Dans le bus qui reliait l’aéroport au centre ville puis presque à chaque pas dans la ville , des Polonais s’approchaient de nous et nous posaient la même question : « Change money ? ».Ils voulaient presque tous échanger leur argent contre des devises pour quitter le pays .Mais comment le quitter ? Nous avions su plus tard qu’on ne laissait aller à l’étranger que les membres de familles des hauts responsables au parti au pouvoir  et des grands officiers militaires. Pouvait-on à cette époque, malgré ces restrictions, quitter le pays clandestinement ? Je ne pouvais le savoir.

Autre remarque : dans plusieurs  coins de la ville, des voitures portant la dénomination « milicja »(milice ) étaient stationnées et prêtes à intervenir. Et d’après ce que j’avais vu , la relation entre la population et cette police était tendue. En effet, j’ai été témoin d’une querelle  entre deux  Polonais : l’un d’eux tenait une boutique et l’autre était apparemment un client .Le premier cria « Milicja » (milice) et l’autre prit la poudre d’escampette comme s’il avait vu le diable en personne.

Au café oû nous nous assîmes trois fois avec une amie polonaise s’appelant Christina , une pharmacienne que nous avions rencontrée par hasard à Varsovie, qui parlait un français impeccable  et qui nous avait hébergés gratuitement , un policier en civil se joignait à nous presque automatiquement  et se mettait à nous dévisager insolemment, ce à quoi nous n’étions pas habitués en Tunisie , car nos policiers en civil s’assoient discrètement  à la table voisine de la vôtre et feignent de lire un journal.

Quant aux photos, on nous a empêchés plusieurs fois de les prendre bien que nous fûmes loin des institutions gouvernementales, contrairement à ce qu’on nous avait dit à l’aéroport .

Christina nous avait fait savoir aussi que les Polonais étaient presque coupés du monde, car toutes les radios et les canaux de télévision occidentaux étaient brouillés par l’état pour empêcher  « la propagande capitaliste et bourgeoise occidentale   d’envenimer les esprits des citoyens » et on ne pouvait capter que les radios et les télévisions de l’union soviétique et des autres pays de l’Est.

 

(à suivre)

 

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