Du cri à l’écrit : Le roman par/sur/et pour la jeunesse par : Hassan Omouloud –Agadir – Maroc

Hassan Omouloud

Il est indéniable que la jeunesse constitue le pilier de toute société . Elle est , par là même et pour toujours , au rendez-vous de toutes les disciplines qui tentent incessamment de sonder les abîmes de cette partie de la société pleine de paradoxes et sujette aux questionnements. Une base de données intarissable non pas uniquement pour la sociologie ou la psychologie qui y puisent directement , mais aussi pour l’art et la littérature qui la considèrent comme une matière première on ne peut plus fructueuse et propice à la création , à la critique , à l’étonnement , et au progrès artistique .

La littérature de la jeunesse est donc cette fuite en avant, un élan sûr vers un avenir meilleur, une ambition ferme qui se ressource des forces du “printemps de la vie”, un ténébreux orage(au sens baudelairien), mais qui arrose l’esprit de bons souvenirs avant l’automne des idées.

Et si pour Malherbe, ” la poésie ressemble à la danse et la prose à la marche ordinaire “, c’est exactement cette dernière qui importe dans ce cadre : Le roman de jeunesse représente à cet égard une marche ordinaire mais lourde de signification. Entre fascination et dédain, aspiration et désarroi, révolte et retenue, perte et constance …, l’écriture romanesque de jeunesse laisse libre cours à toutes les contradictions et offre à la critique une source intarissable de bonnes valeurs. Le roman s’avère le genre  favorable d’une jeunesse avide de changement, chargée de contestation, et assoiffée de confession.

Bref, un vaste champ d’une création  par/ sur / et pour la jeunesse.

1-Le roman par la jeunesse :

Quelle issue pour une société dont la majorité reste encore embourbée dans les ténèbres de l’analphabétisme dans un monde ultramoderne ! Telle est l’interro-exclamation qui martèle les esprits des jeunes marocains des années deux milles. La partie éclairée se doit donc de multiplier ses efforts et redoubler sa sueur pour empêcher le navire de céder aux intempéries du siècle. Les esprits éclairés (ou les têtes bien faites pour emprunter à Montaigne sa jolie périphrase) doivent créer,lutter,débattre, et sacrifier sans jamais perdre espoir. Ce qui exige, dans la lutte des lettres, un souffle long, une expression plus étendue, un travail cohérent et progressif, un verbe ferme, et surtout une âme aventureuse. C’est ainsi que le roman , notamment, en toute sa grandeur de fond et de forme, permet aux jeunes éclairés de s’engager, joignant l’utile à l’agréable, pour instruire et construire une société capable de côtoyer le modernisme imposant et non plus de le dénoncer.

Mon roman,  Le rêve errant, s’inscrit pleinement dans cette optique. Il trace l’histoire d’un rêve qui aspire à sa réalisation dans un Maroc chancelant entre déperdition accrue et espoir du regain. Bizigue , le personnage principal , dont le nom n’est rien d’autre que l’amalgame en langue amazighe de Bi= celui qui porte et izigue= le grand rocher , fait allusion à Sysiphe , célèbre figure mythologique marquée à la fois par le tragique de sa situation de condamné et la force de sa constance et son espoir infini . Le jeune romancier marocain serait donc ce Bizigue-Sysiphe alourdi par le tragique d’une société en déperdition et luttant pour une renaissance toujours possible. La montée de Bizigue au sommet de la plus haute montagne du village ( Asndrar) vers la fin du roman marque l’aboutissement d’un rêve longtemps errant . Une fin de récit douce-amère : douce par la réussite et amère par le souci des autres qui peuvent mais ne veulent pas relever le défi : ” Ce n’était pas l’effet d’une surprise, ni celui d’une fierté d’avoir atteint le sommet, qui l’envahit. C’était bien autre chose. Un autre sentiment bien plus fort et plus profond. Il tourna lentement son visage que les petites larmes mouillaient, et plongea son regard panoramique sur les villages à peine visibles, noyés dans la sécheresse,  dans la misère, dans l’ignorance et dans le feu…” p.121.

Le roman de jeunesse est alors,au prime abord, un roman parla jeunesse. Des esprits jeunes,énergiques,ambitieux, et aventureux qui “transforment leurs plumes en arme”, comme l’exige Sartre, et s’engagent,à la mesure du possible,  pour le dressage des mœurs, l’éclairage des esprits et l’élagage de notre jardin marocain. Une jeunesse qui créer tout en étant souvent elle-même la matière de son écriture.

2-Le roman sur la jeunesse:

Dans un coin de ses célèbres Essais, Montaigne s’adresse au lecteur en l’assurant que son texte n’a ni plan ni visée particulière, rien qu’une peinture se soi et un étalage confessionnel  des défauts, des passions et des aspirations. C’est au comble de sa jeunesse intellectuelle qu’il déclare ” Je veux qu’on m’y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ni artifice : car c’est moi que je peins. Mes défauts s’y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l’a permis […] Je t’assure que je m’y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre “.

L’écriture romanesque marocaine ne dérogé point à ce propos. Elle puise dans la peinture claire des défauts de la jeunesse elle-même. Cette jeunesse en désarroi, qui veut, qui ne veut pas, qui rêve, qui regrette, qui pense et qui sent . Cette jeunesse-matière, décrite par une jeunesse-créatrice, est le miroir de la société entière . Un miroir qui reflète en anamorphose l’image de la foule dominée tant par elle-même ( analphabétisme , misère , vices , chômage…) que par le système qui la voit comme source de révolte, de vandalisme , de violence et de menace et non pas comme le pilier de la pyramide sociale , ou comme source d’énergie propice au développement , ou comme berceau de création artistique qui embellit l’image du royaume dans le monde.

Ainsi , la plupart des romans contemporains marocains d’expression française ou arabe trace souvent l’histoire d’un jeune héros ou une jeune héroïne aspirant à un Maroc moderne, plus tolérant, plus accueillant , et plus dynamique. Les jeunes romanciers d’aujourd’hui comme Mehdi Kourti , de Réda Dalil , de Mohamed Ouissaden , ou Laila Slimani…partagent le même souci et choisissent pour leur chef-d’œuvre un cadre de jeunesse , et sont par là des successeurs de Moha Souag , de Mohamed Nidali , de Abdellatif Laâbi , de Tahar Benjelloun, de Mohamed-Khaire Eddine et d’autres grandes plumes qui ont sacrifié leur jeunesse à écrire sur la jeunesse.

Sur ce point ,Bizigue est aussi un jeune homme du sud, trahi par une société terriblement indifférente . Enfoui dans une foule dominée par l’argent et les fausses ambitions , qui ne porte aucun souci pour l’identité , pour la culture , pour la langue , et pour sa propre histoire : “Le monde nous inspire toujours le silence, le silence sombre lourd douloureux et insupportable, ce silence qui dévore le dedans et le dehors des jeunes cœurs dolents… une jeunesse mangée par le dedans pestant, maudissant sans cesse une existence  gâchée  par la volonté de trop posséder et par la passion de dominer “Le rêve errant , p.99

L’écriture sur la jeunesse est une double énergie : celle qui crée et celle qu’on crée. Les deux jeunesses se joignent pour plus de puissance. La jeunesse-matière et le miroir de la jeunesse-créatrice. Ainsi, le roman, genre littéraire plus généreux, offre un lieu fertile pour cette alliance. Ce n’est pas par hasard que les romanciers du 19ème siècle tels Balzac, Zola , Flaubert, Stendhal , les Goncourt, Sand, Dumas, Hugo et autres ont tous mis en scène un héroïsme jeune et ambitieux et ont laissé dans le monde des lettres des empruntes indélébiles qui ont changé la face d’Europe ( et du monde ) rien que par la force du mot , la profondeur de la pensée , et la jeunesse des personnages.

3-Le roman pour la jeunesse :

La jeunesse est certes comme l’appelle Jean Giono ” une passion pour l’inutile” , puisque nul n’est censé omettre la prédominance du ludique , du divertissement , de l’aventure , et de l’errance dans cette période si vulnérable. Or , l’écriture romanesque fait de “l’inutile” un utile pour les lecteurs , notamment les jeunes eux-mêmes. Le roman de jeunesse se tisse au prime abord pour la jeunesse elle-même. Il lui dépeint sa situation , ses paradoxes , ses vices , ses pêchées et ses complexes , lui étale les possibles de chacune de ses décisions , lui enseigne les méandres d’une vie labyrinthique , lui fait horreur des conséquences désastreuses de l’inconsistance , de l’arrivisme , de la ruse , de la trahison , de la vanité et de la cupidité , lui fait plaisir des réussites après constance , endurance , sacrifice , dévouement, fidélité et sagesse

Bref , les jeunes romanciers  mettent en scène leur “plus grand trésor”  ( au sens de Ronsard) dans tous ses états . Ils trouvent plus de facilité , de fluidité , et de sincérité à écrire sur la jeunesse qu’ils vivent pleinement et qu’ils connaissent bien. Ce qui leur permet de purger leurs passions sur la scène littéraire, de remédier à leurs douleurs et de perpétuer leur lyrisme et révolte. Le roman sera donc, par là, à la portée des jeunes contrairement à ce que croiraient certains qui disent que c’est la poésie qui est pour les jeunes et non pas le roman ” lourd , suffocant et  pas fait pour l’impétuosité de la jeunesse ” comme l’a dit Patrick Modiano. Cette même impétuosité  se transforme en énergie créatrice , en source intarissable de lutte contre les anomalies , et en berceau de morales sempiternelles. Des morales adressées par la jeunesse-créatrice à la jeunesse lectrice , intellectuelle , et critique .

 

 

 

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