La chimère du sable (1ère partie) : conte de Rémy Ducassé –Bastia- France

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Rémy Ducassé

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Son premier client ou plutôt sa première cliente sonna, hésitante, à sa porte, un matin de très bonne heure. Il faisait gris, très gris, et une pluie fine tombait sur la petite bourgade de notre montagne noire. On était mi-octobre.
Il se trouva nez à nez avec un tout petit bout de femme, plutôt mince et bien proportionnée, brune, aussi bien de peau que de cheveux qu’elle portait courts, des yeux très clairs. Elle avait atteint un âge mûr, mais cela ne se vérifiait pas à son allure.
François, perçut au fin fond de ses grands yeux clairs une immense et incommensurable tristesse. Elle était presqu’au bord des larmes. Un voile brumeux recouvrait ce regard, planté dans le regard de François, qui en fût profondément troublé.
« Je passais dans votre rue et j’ai vu votre plaque. Je l’ai lue attentivement. Deux fois. C’est vrai que j’ai peur, parfois, maintenant. C’est vrai que ma vie n’est pas gaie, c’est vrai aussi que je ne rêve jamais. Je ne sais pas non plus ce qu’est un Chimériste et encore moins une chimère. Mais ce sont deux jolis mots, porteurs tous deux de beaucoup d’espoir, enfin c’est ce que j’y lis. Et en ce moment j’ai un grand besoin d’espoir, comme un rocher d’espoir sur lequel je pourrai venir réchauffer mon corps, en cas de fatigue et de tristesse ».
–  « Comment vous appelez-vous Madame ? » lui demanda François.
–  « Yaël, monsieur ». Sa voix était merveilleusement assortie à sa personne, douce, un 
peu rauque et hésitante à la fois, une voix chantante du midi.
–  « Quel nom étrange, je ne l’ai jamais entendu. A-t-il une signification particulière ? »
–  « Je crois que cela signifie « Soleil » en hébreux, mais j’ai aussi un autre prénom de la même origine que celui-ci. Mes parents, bien que n’étant pas de confession juive, m’ont donné deux prénoms d’origine hébraïque. Le second est Sarah ».
–  « Ah !! là je suis en terrain de connaissance, Sarah signifie, en langue hébraïque : Princesse lointaine. C’est très beau. Mais c’est un sentiment très personnel. Sans doute parce que, pour l’instant, vous m’êtes très lointaine.
De toute façon, que m’importe votre religion, si vous en avez une.
Un Chimériste ne se préoccupe jamais du domaine métaphysique. Voyons si je me trompe :
Vous arrivez du midi, vous étiez en vacances au bord de l’eau, de la mer, au sud d’une île, je ne puis être plus précis.
Le reste, c’est vous qui allez me le livrer, nous avons tout notre temps.
Vous êtes ma première cliente, non, cela fait trop commercial. Ma première patiente. Non, pour le coup, là cela fait trop médical, et vous n’avez pas l’air malade. Parturiente, voilà selon moi le mot qui convient. Parce que vous allez mettre au monde votre souffrance et que je vais quant à moi, tenter de la transformer en rêve, en tendresse, en ce que vous estimerez de bon et de beau pour vous ».
Yaël, soleil et princesse lointaine tout à la fois, se sentit merveilleusement comprise. Bien qu’étant de nature réservée et timide, elle se sentit mise en confiance par l’empathie qui se dégageait de façon si puissante, mais sans être pour autant écrasante, de François, mon ami le Chimériste.
Elle lui fit le récit précis et détaillé de sa rencontre, sur une plage de son île natale, avec ce bel étranger. Débarquant dans sa vie comme un météore et disparaissant de la même manière au bout d’un an de relation sans nuage, en totale harmonie réciproque. Disparition brutale, absolument sans aucune explication.
– « Je n’ai pour tout souvenir, Monsieur, que le regret des longues heures passées côte à côte, nos mains enlacées, allongés sur le sable. Ma souffrance c’est que je lui ai tout dit de moi et que je ne sais rien ou presque de lui ».
– « Le sable, le sable, s’impatienta tout à coup François, puis tout aussi soudainement que le ton de sa voix était monté, il retrouva sa douceur naturelle.
Ne craigniez rien, Yaël, je comprends tout à fait votre tristesse, ou plus encore votre angoisse. Un inconnu, ou presque, puis rien de lui, il ne vous avait presque rien dit, mais qui s’en va emportant un morceau de vous-même, quelle audace ! Quel manque de savoir vivre ! Si je n’osais le salir et cela ne doit jamais se faire dans les histoires de ruptures, je dirais qu’il s’est comporté avec vous comme hélas bien des hommes : lâchement.
Mais, vous qui habitez au bord de la mer, avez-vous jamais pris le temps d’observer ce sable si doux sur lequel vous vous êtes si souvent allongé, avec votre ami, ou toute seule d’ailleurs ? N’attendant même pas la réponse à sa question, François poursuivit : avez-vous remarqué que sous son apparente immobilité, son apparente tranquillité, ce sable est en perpétuel mouvement. Il bouge, il roule, il glisse, il se tasse sous l’effet de l’humidité de l’air, il se désagrège à nouveau, se hisse en dune, se déroule sous le souffle du vent. Avez-vous remarqué ?
Savez-vous qu’il a fallu des millions d’années, pour en arriver là ; tout cela est ordonné, programmé depuis la nuit des temps, selon un plan très précis : et certains ont cru, croient et croiront longtemps encore, qu’ils peuvent avoir une influence sur tout cela. La place des choses est immuable dans l’ordre du monde.
Nous ne sommes que des grains de sables aux regards des milliers d’êtres vivants sur cette planète. Et je parle là de tout ce qui est vivant sur terre : humains, animaux, plantes ».

 

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