L’homme au perroquet (1) : nouvelle de Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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Monika Del Rio – écrivaine polonaise

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1-

Venez, venez… entrez à l’intérieur. Permettez-moi, que je me présente – Leonardo… oui, oui, justement… comme l’artiste…
Il a du remarquer le regard étonné, que j’ai jeté au fond du salon.
Mon perroquet est parti en vacances… qu’est-ce que je raconte, il est parti en pension chez mes parents, car c’est justement moi qui dois partir en vacances… ou plutôt, je m’en vais en voyage de noces. Veuillez regarder, voilà la robe de mariée, elle est toujours accrochée dans le hall.
Une cage gigantesque ! – cette pensée me traversa l’esprit en contemplant l’objet immense et hautement décoratif qui prenait la moitié de l’espace du salon, s’imposant avec ses barres bleues, pareil à ceux que j’ai vus auparavant à Sidi Bou Saïd. La perche balançait encore légèrement, exactement comme si l’habitant de la cage venait de quitter son domicile il y a seulement un instant.

2-

L’espèce est d’une rare beauté… parlant – je senti sur mon cou le souffle chaud de Leonard – elle s’appelle Jaco, un perroquet gris royal.
Maman se déplaça deux pas plus loin et touchait avec ses doigts nerveux la soie blanche de la robe de la mariée, décorée avec une multitude de dentelles et accrochée sur le bord extérieur d’une immense armoire. L’habit de fête luxueux de la fiancée ou plutôt, déjà, de la femme, richement brodé de perles provoqua chez ma mère des cris aigus d’admiration et détourna l’attention de l’Italien de ma personne.

3-

Une belle armoire, n’est-ce pas ? – il s’enthousiasma de sa propre acquisition – je suis un admirateur de vieux meubles – il continuait de jacasser – de toute façon je suis un admirateur de plein de choses… Cet appartement est mon chouchou. A vrai dire, j’avais l’intention de l’offrir à ma ravissante élue, mais… – sa voix se brisa – elle a constaté que ce n’est pas assez grand. Ah ! Ces femmes… rien n’est jamais assez pour elles !
J’admirais, avec un vif intérêt pour mon avenir, l’appartement-trésor choyé par Léonard pendant que ma mère lui posait des questions sans fin, concernant la surface, l’essence de bois choisie pour le parquet et surtout, ce superbe carrelage dans la cuisine, ainsi que l’endroit où il a acheté le magnifique revêtement de sa salle de bain, et même combien de fois par semaine arrose-t-il un certain gardénia, même s’il était clair que le gardénia ne sera plus là au moment de notre éventuel emménagement. Il disparaîtra définitivement avec son propriétaire, ce bavard homonyme du maître a Vinci. Quoique… notre adorable Leonardo ne comptait nullement renoncer à la possibilité de retrouvailles avec son « appartement-chéri » prévoyant déjà des visites régulières, annoncées ou pas, afin de vérifier l’état des lieux ainsi que l’intégrité du parquet.
– On ne sait jamais. Parfois ces dames se déplacent dans leur appartement chaussées de talons aiguilles ! Et quand il s’agit du choix de l’agent nettoyant, je vais vous indiquer qu’est-ce qu’il faut acheter…

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Évidement, bien évidement – maman l’accompagnait toute pleine de compassion – je me rappelle quand…

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…Car certains produits peuvent abîmer le bois…

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Oh ! Je vois que pour le lavage – elle essayait de nouveau à rentrer dans son discours – vous utilisez la lessive « Blanche Neige »… Moi, également, je…

 

7-

Maman, monsieur est peut-être pressé…
Ma remarque passa inaperçue. L’emploi de temps de Monsieur Léonard ne semblait pas avoir de l’importance à ses yeux. De la lessive « Blanche neige » elle passa vers nos voisins actuels en arrivant jusqu’aux instants de leur vie la plus intime. Les « Ah ! » et les « Oh ! » de Léonard entrecoupaient parfois ce bavardage.
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Regardez ce revêtement du sol dans le hall ! – cria t-il soudainement avec admiration. – du frêne ! C’est moi-même qui l’ai choisi. J’ai veillé personnellement à sa pose. N’est- ce pas une merveille ?!
Un instant plus tard, ils étaient tout les deux agenouillés, caressant le sol tendrement.

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Pouvez-vous imaginer qu’il y a longtemps, très longtemps… tu étais encore un garçon… – ajouta- t- elle en se tournant dans ma direction – quand nous partions en Italie en vacances…

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Maman – je l’ai interrompue, impatient – ça n’intéresse certainement pas Monsieur.

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Mais, bien au contraire ! – s’écria Léonard – Passionnant ! Passionnant ! Continuez. Je suis un grand amateur de voyages. De tout de façon je suis un amateur de tas de choses…
J’ai commencé à ne plus pouvoir tenir en place et avec inquiétude, passant d’un pied sur l’autre, j’attendais anxieux le moment où des détails embarrassants de notre voyage familial allaient être révélés. Heureusement, la sonnette de la porte fendit bruyamment l’air avec sa sonorité tranchante et notre interlocuteur cria avec effroi – Santa Madonna ! J’ai complètement oublié mon cours de piano !
En traversant la porte nous croisâmes une fille à grosses lunettes, habillée modestement dans un sorte de vieux sac gris. Voilà, à quoi ressemble toujours le professeur de piano – j’ai pensé à elle dans ces termes peu flatteurs. Ma mère s’arrêta encore une fois commentant à haute voix des détails de sa garde-robe. La fille était tellement plongée dans ses pensées, qu’elle n’a heureusement rien entendu.

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Tu sais à qui elle me fait penser ? – continua maman surmontant, non sans difficulté, la descente à pic – A Marie Curie ! – cria- t- elle triomphalement. – Tu n’a vraiment rien remarqué dans son habit sobre et dans son regard sévère ?

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Non, je n’ai rien remarqué, j’ai faim – soulignai-je .

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Qu’est-ce que ça à voir ? – elle répliqua instantanément. – Est-ce que tu as vu son pull-over gris ? Je te le décrirai mieux, surtout avec quelle maille il était confectionné, mais attends  qu’on soit en bas, car je manque de souffle.
Qu’est-ce que ça peut me faire la maille d’un pull – je pensais désespérément. Mais elle, sans faire attention à mes états d’âme, continua :

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…car c’était un point rare et peu utilisé de nos temps. Un point très caractéristique. Dommage que les chaussures n’allaient pas avec, tu vois…
Cet après-midi nous avons prévu de visiter encore deux appartements. Notre recherche désespérée d’un gite, durait depuis deux semaines. Mes congés étaient bientôt terminés et nous étions toujours plantés à l’hôtel. Il faut avouer que malgré la présence de plusieurs annonces dans des agences immobilières et dans la presse bruxelloise, jusqu’à là, nous n’avions pas encore trouvé un logement convenable. Chaque jour, cependant, nous rencontrions toutes sortes de gens et cette galerie de personnages me hantait encore la nuit dans mes rêves, prenant des formes diverses, des plus recherchés et des plus fantastiques. Chaque nuit, je criais, il parlait, si je peux croire ma maman qui dormait dans la chambre à côté. Mais, c’était tout à fait possible, car avec les murs si fins de cet hôtel, j’étais capable de détecter les bruits de brossage de dent de mon voisin du dessus.

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Maman, viens, nous serons en retard – j’ai gémi.

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Tant pis, il attendra – elle coupa la discussion en se consacrant pleinement à l’admiration d’une vitrine de joaillier toute rayonnante d’éclats dorés.
Il attendait, il attendait… depuis presque une heure, il nous attendait avec toute la bonhomie et la patience d’un Belge. Par un vieil ascenseur détraqué, nous avons atteint le sommet de l’immeuble. Avec angoisse et en comptant les étages, nous calculâmes combien de fois par mois nous serions obligés d’utiliser cette antiquité. A proximité d’un salon tellement vaste qu’il pouvait servir de la salle de bal, deux petites chambrettes nous accueillirent timidement. Elles pouvaient être qualifiées, sans exagération, de trous de souris, mais dans l’annonce elles étaient décrites comme de vastes et agréables chambres à coucher. Le propriétaire, complètement désespéré, essayait de nous expliquer, avec douceur, que ces pièces ne servent que pour dormir et que le reste du temps on le passe d’habitude à l’extérieur, au travail ou à faire des courses, ou bien à régler des affaires administratives et que si on avait des invités le salon était toujours là pour les recevoir. Pour atteindre à ces deux habitations de rongeurs, il fallait longer un interminable couloir vers lequel toutes les portes s’ouvraient, empêchant la sortie conjointe de deux habitants, l’un quittant la salle de bain pendant que l’autre essayait de s’échapper de sa cage à dormir.

Quelles différences de regard de plusieurs personnes au vu de la même chose ! Les points importants pour les uns deviennent  des complètements sans valeur pour les autres. De notre recherche d’un local d’habitation à Bruxelles nous aurions pu créer un œuvre en forme de l’ « Ulysse » de James Joyce, mais pour y parvenir il faudrait un peu plus de temps et beaucoup de renoncement. Or, je manque aussi bien de l’un que de l’autre. Des personnages pittoresques passaient donc devant nos yeux comme dans un kaléidoscope, avec leurs points de vue différents du nôtre.
Par exemple, cet Égyptien, ce matin, un homme extrêmement sympathique et ouvert (il faut souligner que tous les habitants de Bruxelles sont ouverts et sympathiques), qui vantait l’emplacement de son logement, se délectant de la proximité des échoppes louant des films vidéo, des magasins vendant du matériel informatique, des restaurants ou des bars à vin, pendant que nous étions désespérément à la recherche d’une boulangerie, d’un supermarché, d’une pharmacie. En plus, le point sombre qui hantait maman, c’était la question concernant les poubelles. De tous les points de vue, mais surtout à cause – de la vermine.
Nous admirions donc un appartement exclusif et la première question qui lui brûlait les lèvres c’était : –… et où jette-on les ordures dans cet endroit ?

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-=Partout autour vous trouverez plein de photocopieuses – s’enthousiasma notre nouvel ami. – Vous pourrez faire des photocopies à chaque pas.
* * *

Plongés dans le chant des oiseaux, sujet sur lequel maman était une grande spécialiste et qui, pour moi, se résumait aux termes génériques de piaf ou pigeon, nous marchâmes d’un pas tranquille en mangeant nos appétissants sandwiches à l’ombre de la verdure touffue des arbres centenaires du parc Wolveandael.
Tout à coup, parmi la verdure et le marron du sentier de terre battue de l’allée du parc, je remarquais « notre » prof de piano. Elle marchait d’un pas rapide et léger, courbée légèrement vers l’avant, dans la posture typique d’un myope. Les petits bouts de ses chaussures donnaient des coups à des cailloux invisibles. En s’approchant, elle souleva sa tète et nous jeta un sourire énigmatique de reconnaissance ou d’accord mystérieux. Evidemment ma mère n’arrêta pas même pour une seconde son discours sur le chant des oiseaux malgré le bâillon de son sandwich. Tant mieux, on s’est passé de commentaires.
Soudain, le sang se glaça dans mes veines. Une dizaine de mètres plus loin, notre Léonard, pareil à un chien de chasse à la démarche oblique d’un lévrier fleurant le gibier, courrait avec le nez à terre. Il s’avança dans un coup de vent ne voyant pas sa proie mais attrapant dans ses narines son odeur insaisissable.
– Est-ce que tu écoutes au moins ce que je te dis ? – elle semblait irritée.
– Bien sûr, maman.
– Alors, répète ma dernière phrase.
Sans hésitation je remplissais ce contrat. Mon cerveau bien entraîné enregistrait automatiquement comme un magnétophone. Elle sourit avec contentement et une certaine fierté – Et si on allait boire un café, je l’offre – proposa t- elle généreusement.

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Nous avons encore deux apparts à voir aujourd’hui et un demain – elle jeta un coup d’œil dans son agenda.

20-

Tu sais qu’on doit absolument se décider dans les jours qui viennent. A partir de lundi, je recommence à travailler. Et si on jetait encore une fois un coup d’œil sur le logement de cet Italien. Tu le trouvais pas mal…

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Quel Italien ? – elle semblait perdue, ce qui était tout à fait légitime.

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Celui avec le prénom du maître da Vinci – j’ai essayé de plaisanter.

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Ah ! De ce jeune homme adorable…Je ne le qualifierai ni de jeune ni d’adorable, mais bon.

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Nous irons chez lui encore une fois, demain, aujourd’hui nous n’avons plus de temps – elle décida – mais tu as raison, il régnait chez lui une ambiance spéciale… – elle coupa soudainement – quelque chose de difficile à préciser…
Oui – j’ai pensé – une odeur étrange, la senteur cadavérique du jasmin ; je n’ai jamais supporté ce parfum. Je frissonnai rien qu’à penser au retour dans cet endroit.
* * *
Léonard, visiblement perturbé nous a ouvert la porte. Un courant d’air violent gonfla, pareil à une voile, la robe de mariée toujours suspendue au bord de l’immense armoire et la projeta vers moi comme une toile d’araignée, m’enlaçant le visage et les mains. Emmêlé dans ces falbalas, je poussai un cri d’effroi incompréhensible. Ils m’ont libérée tout les deux de cet étouffement « jasminique » et m’ont conduite, pâle comme un mur blanc vers un canapé en me proposant un verre d’eau.

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Mon « pauvrounet », depuis deux semaines sur ses jambes, il n’arrête pas de marcher, et toujours rien… toujours rien… – elle s’apitoya – …mais, nous vous dérangeons peut-être ? Vous deviez être occupé – elle s’intéressera soudainement.

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Je ne faisais rien – il s’ébranla sans raison et ses petits yeux vrillaient nerveusement. J’observais sa lutte intérieure au travers de la main avec laquelle j’essuyais mon front couvert de gouttes de sueur froide.

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Quant à l’appartement, si vous vous décidez quand même, il vous faudra attendre un peu. Il s’avère qu’il me reste quelques détails tout à fait inattendus à régler.

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Dommage, car nous sommes pressés, nous sommes très pressés, Monsieur. Mon fils…
Le fils remua à nouveau avec inquiétude. Le pied gauche de Leonardo tentait sans résultat de pousser quelque chose sous le canapé. Hélas, je n’ai pas réussi à observer ce que cela pouvait être. Quel maniaque de l’ordre et de la propreté – je pensais, en reprenant lentement des couleurs.
L’Italien agitait toujours ses jambes. Visiblement, il était pressé, énervé et impatient, mais son amabilité innée ne lui permettait pas d’exprimer cela d’une façon plus claire.
Nous nous sommes levés brusquement pour sortir, prenant définitivement congés de l’expansif propriétaire des lieux, qui, à nouveau, ventait les charmes de son absente petite femme. Mon regard se promena pendant un moment vers la cage gigantesque, dont le locataire passait justement un agréable séjour en pension chez les parents de Leonardo.
En plein milieu, juste à côté d’un abreuvoir et d’une mangeoire s’étalait un pull-over gris, brodé avec un point rare et caractéristique, identique à celui que portait le professeur de piano.

Monika Del Rio

 

A suivre…

 

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