Feu Mahmoud Khaled, le directeur de mon école primaire par : Mohamed Salah Ben Amor

Moi en visite à mon école primaire en 2013

 

A mon école primaire sise à Carthage Dermech à la fin des années cinquante et au début des années soixante, nous avions un directeur au nom de Mahmoud Khaled , petit de taille, un peu gros, et portant un tourbouch (chapeau) turc.Il était extrêmement sévère au point nous ne l’avions jamais vu sourire et tout élève commettait une bêtise dans la cour de l’école ,il le faisait entrer dans son bureau et le corrigeait sans pitié avec un bâton ou sa ceinture.

Pendant tout le mois de Ramadan ,il se faisait suivre par un ouvrier portant un grand récipient plein d’eau et entrait dans les salles de classe l’une après l’autre à partir de la troisième année et obligeait les élèves à boire chacun un verre d’eau, sauf si l’élève a atteint l’âge de dix-huit ans ou présente quelques poils au visage,et ce ,  conformément aux critères cités par  le poète faquih marocain Abdelwahed Ibn Achir  (990 – 1040) dans son fameux vers :

Ou par la présence du sperme ou de poils ou si l’âge atteint est dix-huit ans

Mais bien que nous nous soumettions à cet « iftar » (rupture du jeûne) forcé, nous nous sentions lésés et agressés parce nous voulions de tout cœur entreprendre cette difficile expérience comme pour affirmer notre maturité.

Un jour, l’un de nos camarades lui vint l’idée de garder l’eau dans sa bouche au lieu de l’avaler puis dès qu’il a rejoint sa place, il s’est baissé sous la table et a craché la gorgée qu’il avait dans la bouche. Malheureusement, l’eau s’est versée sur les pieds de l’élève qui s’asseyait devant lui et celui-ci s’est plaint au directeur qui s’est vite dirigé vers l’élève fautif et l’a rossé de coups de bâton.

Agacés par cette pratique quotidienne, nous nous étions plaints au meddeb (enseignant du coran) de notre mosquée qui a récusé la légalité religieuse de ce que faisait notre directeur et nous a assuré qu’elle n’a aucune incidence sur notre jeûne parce  selon lui et d’après les règles islamiques  le jeun ne se rompt que lorsque la rupture est préméditée ou commise par mégarde, nous encourageant, de ce fait, à continuer à jeûner le temps qui reste de la journée après avoir bu le verre d’eau  que le directeur nous obligeait de boire.

Ayant eu vent des dires du meddeb, notre directeur est allé le trouver à la mosquée et une dispute spectaculaire éclata entre eux .Le directeur le menaçait de porter plainte contre lui l’accusant de soulever ses élèves contre lui et l’autre lui répondait : «  Je m’en fous de tes menaces ! Tu es ignare en religion et tu ne mérites pas le poste que tu occupes ».

C’était la première dispute à laquelle j’ai assisté  entre un conservateur partisan de l’enseignement traditionnel dans les kouttebs (écoles coraniques )puis à la grande mosquée  et un moderniste qui se faisait le défenseur de l’enseignement moderne.

Vingt ans plus tard en 1975 ,alors que je passais près du premier ministère à la Kasba dans la vieille ville de Tunis  – et j’étais à cette époque professeur au secondaire -, j’ai rencontré mon ex-directeur Mahmoud Khaled  apparemment affaibli par l’âge et portant comme toujours son tourbouch turc rouge ,qui marchait les bras tendus à l’horizontale comme s’il avait  perdu subitement la vue, peut-être à cause d’une baisse brusque de glycémie. Je l’ai vite pris par la main après m’être présenté à lui, et l’ai amené tout de suite au début de la rue Bab Bnat où je l’ai fait monter dans un taxi et prié le chauffeur de le ramener chez lui .Il ne s’est pas rappelé de moi  mais il était très content que l’un de ses anciens élèves lui vienne en aide et avant que le chauffeur ne démarre je l’ai entendu prier dieu de m’ouvrir les voies de la réussite partout ou je me dirige .

Que Dieu le couvre mon directeur et mon meddeb de sa sainte miséricorde!

 

 

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