Les archives des commentaires poétiques de Mohamed Salah Ben Amor :37 – Les poèmes d’Assane Dieng :37 -2 :Ma plume

Assane Dieng

 

Si ma plume
Pouvait changer le monde,
Je composerais des vers si dévastateurs
Que la misère ne serait qu’un vaste désert de poussière
Esclave d’un vent intransigeant
Que mon souffle rauque engendrerait, dissipant
Les moindres atomes miséreux dans les eaux bénies.
Si ma plume
Pouvait changer le monde
Je composerais des vers résurrecteurs
Pour qu’enfin sèchent les larmes de l’orphelin maudit
Par les regards dédaigneux et inquisiteurs
D’une société inhumaine régie par un hypocrite déni de maternité
Et une sournoise compassion qui cache mal un mépris de l’humanité.
Si ma plume
Pouvait changer le monde
Je composerais des rimes salvatrices
Pour que guérissent tous les maux, même les plus intrépides.
Que règnent éternellement la paix du cœur et le bien-être chez le sage
Accablé par la chaleur suffocante du soupir flagellé par la rage
De l’être mourant sur l’autel des affamés fauves et satanées charognes.
Si ma plume
Pouvait changer le monde
Je composerais des rimes protectrices,
Pour que l’innocent esprit soit à l’abri de la hargne
Du détracteur haineux et puisse goûter avec quiétude aux délices
D’un monde sincère où honneur et loyauté seraient rois,
Et disparaîtraient alors les pâles fresques de mauvais aloi.
Si ma plume alanguie
Pouvait changer le monde
Alors je composerais des poèmes bienheureux
Qui seraient déclamés et chantés même par les nourrissons
A l’orée de la vie, pour célébrer les jours les plus heureux.
Si ma plume lasse
D’un seul jet d’encre pouvait
Enfin changer le monde
Alors j’écrirai un poème d’un seul mot
Et je mettrais un point final au dernier vers de mon sempiternel poème.

 

 

L’un des deux sens essentiels du conditionnel est l’expression de l’irréel et de l’imaginaire. Et ceci, lorsque les conditions sont impossible à atteindre. Mais si ce cas est exclu de la réflexion des scientifiques pour lesquels l’esprit humain ne peut procéder que du possible au possible, les poètes, eux, font fi totalement de cette règle , du fait que leur domaine de prédilection est la rêverie .Néanmoins, le rêve, pour le poète, n’est pas toujours un moyen compensatoire pour échapper à une réalité insupportable, car l’histoire de la littérature est lâ pour témoigner que l’impossible rêvé par des poètes devins à la sensibilité extrêmement fine se réalisa après leur mort et notamment les grands changements politiques et sociaux que personne à leur époque et dans leur entourage n’imaginait. Le grand poète tunisien Aboulkacem Chebbi ( 1909 -1934 ) n’avait-il écrit au début des années trente s’adressant au colonisateur au moment où il fêtait le bicentenaire de l’occupation de la Tunisie :
ألا أيها الظَّالمُ المستبدُ****حَبيبُ الظَّلامِ، عَدوُّ الحياهْ
سيجرفُكَ السيلُ، سيلُ الدماء****ويأكلُك العاصفُ المشتعِلْ
Ö tyran despote ! Ami de l’obscurité et ennemi de la vie !
Tu seras entrainé par le torrent, le torrent du sang
Et dévoré par la tempête déchaînée 
Dans cette même lignée, notre ami le poète sénégalais Azo Jeng ( alias Assane Dieng ) esquisse dans ce poème l’image d’un monde nouveau où disparaitront toutes les formes de misère, d’injustice et d’humiliation dont pâtissent aujourd’hui des millions d’humains ,en raison de la cupidité, de l’égoïsme, de l’arrogance et de la vanité d’une minorité qui cherche par tous les moyens qu’ils soient légaux ou illégaux à s’approprier toutes les richesses du monde que ce soit au niveau local où à l’échelle du globe. Certes, le poète est conscient de l’inefficacité des moyens dont il dispose au moment présent et qui se limitent aux mots et aux rimes (Si ma plume: 6 fois ), mais qui dit que son appel ne contribuera pas à galvaniser les générations futures qui le mettraient à exécution ?

Un poème engagé au style enfiévré et émouvant !

 

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