Les entretiens de « Culminances » : 23 – Avec la poète syrienne Hala Shaar

Hala Shaar

 

Qui est Hala Shaar ?

Hala Shaar est née le 5 mai 1960 à Al-Salamiyya  relevant de la  circonscription de Hama (Syrie).Elle a fait ses études du primaire au supérieur à Damas .Elle est titulaire d’une licence en psychologie et d’un diplôme en habilitation éducative. Elle  a de l’expérience dans la thérapeutique comportementale. Elle travaille comme conseillère psychologique à Damas .Elle maîtrise les deux langues allemande et anglaise. Sa poésie, bien qu’elle soit  puisée dans la même source  que chez la plupart des autres poètes syriens, à savoir  la terrible tragédie douloureuse  qui a frappé et frappe encore leur peuple conséquemment à un complot fomenté par les états impérialistes avec la complicité de certains états arabes, elle attire l’attention par la convocation massive des symboles des mythes orientaux, la purification de la langue utilisée des sens référentiels et l’usage intensif des écarts et des sens seconds, tout en demeurant au niveau thématique étroitement liée au vécu angoissant.

Elle a à son actif un recueil de poésie intitulé La dynastie des cyprès paru aux éditions Les sources à Damas 2016 

Question 1 : Tous les poètes syriens qui font partie de notre sélection poétique mondiale écrivent le poème en prose. Est-ce un simple hasard ou bien s’agit-il d’une sorte de tendance nationale chez vous dans l’écriture de la poésie fondée sur la fidélité aux chefs de file poètes syriens réputés dans ce genre de poésie  :Mohamed Maghout et Adonis ?

Hala Shaar :  Il ne s’agit point d’un hasard .J’ai essayé d’écrire le poème  classique dit  vertical mais cela a altéré l’image poétique qui d’habitude coulait sans difficulté et je me suis trouvée obligée d’insérer mon image dans l’un des coins étroits du poème, parce que la priorité y est  au rythme et aux rimes. Et il en est résulté que j’ai écrit un texte ne me séant guère .

Il n’y a nul doute que l’expérience du poète Mohamed Maghout est  fortement présente dans ce que j’écris. Je ne me prive jamais aussi de suivre de près les thèses et les écrits littéraires d’Adonis.

Il se peut qu’un jour j’écrive un poème conforme aux règles de la métrique. Mais quels que soient mes essais dans ce sens, le poème en prose demeure plus capable de faire ressortir les ressentis enfouis dans mon tréfonds, avec tous mon grand  respect au patrimoine poétique classique dit vertical dont je m’approvisionne quotidiennement  .

Question 2 :Vous mettez en œuvre d’une manière massive dans votre poésie des symboles puisés dans les mythes et les religions orientaux aussi bien païens que  célestes  et vous  vous désintéressez totalement ou presque des mythes des autres nations bien que le monde soit  devenu « un village ».Est-ce un choix délibéré du fait que vous êtes une poète orientale ?

Hala Shaar : Le mythe oriental est mon univers, en plus du fait que la plupart des mythes des autres nations ont des racines orientales, ce que les études historiques ont par ailleurs prouvé. L’anthropologie et le mythe en général  sont présents dans ma poésie en prose et tout particulièrement les mythes sumériens, Cananéens et grecques. Et la cause serait que le modèle mythique oriental est présent dans mon esprit et va de paire avec le style narratif et l’idée que j’exprime et parce que aussi  je lis énormément ces mythes. Dans mes prochains écrits, je m’inspirerai peut-être de plusieurs mythes des autres peuples.

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Question 3 :Le poème en prose est régi , tel que l’ont théorisé la critique française Suzanne Bernard puis le poète syrien Adonis, par deux conditions principales , en plus de la fascination du lecteur, :l’atemporalité( c’est-à-dire absence d’éléments narratifs) et la concision extrême. Mais nous on vous voit dans vos poèmes relater des événements  sans compter qu’ils sont loin d’être concis  mais de longueur moyenne et parfois même même longs .Quelle est votre conception du poème en prose ?

Hala Shaar : En ce qui concerne le poème en prose , il est pour moi une entité littéraire cohérente dans laquelle aucun constituant littéraire ne manque comme la musicalité interne, le but envisagé et la contraction. Et le plus important dans ce genre poétique est d’y faire passer le mot de ses fonctions ordinaires à de nouvelles fonctions sémantiques. Il doit être aussi construit sur une colonnette reliant ses liens et portant  ses parties constituantes afin qu’il accomplisse un but humain et un autre esthétique. Pour moi, il n’y a aucune séparation  entre le poème que j’écris et mes prises de position humaines .Peut-être que parfois je m’étends dans l’expression conséquemment au sens général du texte et au but émotionnel qui crée au sein du poème des moteurs invisibles lesquels empêchent le texte de se détendre dans le tréfonds du récepteur jusqu’à ce qu’il fasse parvenir mon message .Moi, monsieur, j’écris dans des buts précis et je ne travaille pas tout simplement sur les mots .FJe possède  ambition ,et une position humaine et nationale.

Question 4 :Si la majorité des poètes syriens  écrivent le poème en prose,  peut-on en conclure que le public de la poésie en Syrie apprécie particulièrement ce genre de poésie ?Et étant donné que la compréhension du poème en prose exige une culture bien déterminée chez le lecteur, est-ce que cette culture est bien répandue  dans votre pays ?

Hala Shaar :Je crois que pour l’intellectuel syrien  le poème en prose est plus mûr surtout dans les clubs damasquins et syriens en général.

Le poème classique dit vertical est présent aussi et nous en entendons plusieurs textes .Il jouit d’une très grande popularité à l’occasion des déclamations spectaculaires mais malheureusement, il ne bénéficie pas de la même popularité auprès du public virtuel à cause peut-être de la diversité des préoccupations quotidiennes qu’il ne serait pas  capable de porter ainsi des les aspirations du poète et du public de la poésie.

Question 5 : Malgré la destruction que la guerre a causé et cause encore en Syrie , on ne voit pas les poètes syriens dans leurs écrits tomber dans le désespoir et le pessimisme, contrairement à leurs frères et sœurs irakiens voisins, mais ils chantent l’amour et la beauté. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Hala Shaar : Cela est peut-être dû à la personnalité historique syrienne qui a pu se relever  de plusieurs chutes et  garder sa continuité. A chaque fois, le phénix  syrien renaît sans rien perdre de son originalité qui consiste en la diversité humaine et les différentes appartenances régionales, ethniques et religieuses. Cette société a pu garder le minimum de vie  en plein milieu de la mort, ce qui a  fait que l’embryon  du bien et de l’optimisme est demeuré présent.

Question 6 : En plus des deux grands poètes syriens spécialisés dans le poème en prose Mohamed Maghout et Adonis ,  quels sont les autres poètes arabes contemporains qui vous ont marquée  le plus ?

Hala Shaar : En tant que poète, je suis née dans le giron de Mahoud Darwich, le poète brillant de la Palestine. Le grand poète arabe ancien El Moutanabbi a été aussi pour moi un camarade de route omniprésent qui m’a accompagnée au cours de toutes les étapes qui ont vu l’évolution de mon verbe. D’autre part,je me ressource  sans arrêt par la lecture de la poésie en prose des deux poètes libanais Joseph Harb et Onsi el Haj.

Parmi les poètes irakiens , je suis captivée par Bdr Chaker Sayyeb et M’Dhaffer Naoueb et je lis régulièrement  la littérature arabe publiée ici ou là. Mais je reconnais que je suis attirée tout particulièrement par la poésie de Main Bsisou et Amal Dinqual.

Parmi les poètes du Maghreb arabe, j’ai de  l’admiration pour Samah Derwich et Mohamed Hamdi.

Je subis l’influence de tous les poètes et je lis à tous les poètes mais une relation étonnante s’est tissée entre moi et la poésie de Mahmoud Darwich ,de Mohamed Maghout et de Riadh Salah Housseyn .

Question 7 :L’épopée qu’entreprend l’armée syrienne  depuis huit ans pour défendre  sa terre est unique en son genre dans l’histoire arabe. Elle n’a été à aucun moment découragée, ni par les hordes des terroristes envoyées contre elles à partir des cinq continents, ni par les bombes  larguées sur elle par les trois grandes puissances impérialistes : les USA, la grande Bretagne et la France, ni  les financements colossaux accordés par des pays  du Golfe à ses ennemis.  Que ressentez-vous en tant qu’intellectuelle syrienne devant cette épopée ?

Hala Shaar : Je n’ai quitté mon pays que pendant de brefs moments au cours de cette guerre. J’ai suivi ses détails et vécu tous les moments de terreur qu’elle a engendrés parce que je vis dans la capitale Damas.

Il n’y a nul doute que je suis fière des victoires réalisées par notre armée syrienne et je suis du fond du cœur les événements de tous leurs côtés. Je lis ce qu’écrivent aussi bien les opposants que par les partisans du régime. Mais il n’échappe jamais à mon esprit la conviction principale (notre guerre est contre l’entité sioniste), mon ennemi et l’ennemi de la nation !

Je suis de ceux  dont  le verbe de leur boussole n’a pas été  entaché par  la poussière de la guerre. Je ne prétends pas que notre pays ne souffre pas de problèmes. Mais comme tout pays en voie de  développement, nous réussissons ici et échouons lâ . Et cette guerre nous a fait revenir au temps périlleux après que nous eûmes passé par des périodes de prospérité et de tranquillité.

Monsieur, la Syrie ne se divise pas en armée et peuple. Tous les deux nous vivons la même épopée. Et dans chaque maison il y a une trace de cette guerre. Pour cela, vous pouvez dire que la résistance était au début populaire puis l’armée a apporté son soutien au peuple. Quant à la hostilité dont nous avons été l’objet , je remercie Dieu que le voile se soit levé  et aient apparu au grand jour le camp des ennemis et celui des amis .Certains  états se seraient impliqués dans la guerre contre la Syrie pour éviter qu’un danger imminent ne s’abatte sur eux  ou pour s’approcher servilement des puissances mondiales enflées d’orgueil. Quoi qu’il en soit, il reste devant mon pays beaucoup de temps avant qu’il ne dise son mot  et ne revienne au rang arabe plus fort qu’avant et avec un message plus éblouissant .

Je souhaite sincèrement qu’aucun peuple ne connaisse la même catastrophe qui noo us a frappés  mais le sphinx reviendra sans aucun doute.

Question 8 :Suivez-vous les poèmes que nous traduisons dans notre espace facebook du français en arabe ? Si oui, quelles sont les impressions  qu’ils vous ont données ?

Hala Shaar : Oui, Je tiens beaucoup à suivre tous les textes traduits que vous partagez  dans votre espace, car je crois que la traduction est une fenêtre sur la littérature de l’Autre.Sur ce, je loue infiniment votre zèle maître et je suis fière des efforts que vous déployez.

 

Question 9 : Pensez-vous que le facebook  a apporté quelque chose aux poètes et à vous tout particulièrement ?

Hala Shaar :Le facebook m’a poussée à tenir ma plume et écrire alors que j’étais âgée de  cinquante trois ans.

Aujourd’hui après cinq ans d’expérience dans l’écriture de la poésie , je jette un regard en arrière et je sens aussitôt que les années de ma vie qui ont passé et pendant lesquelles je ne reconnaissais pas mes écrits me font des reproches, car il était possible pour moi de continuer d’écrire sans l’espace virtuel. Mais l’expérience virtuelle me réjouit.

Oui, le facebook a fait sortir le génie de la poésie de la lampe magique et a rendu service au verbe et à son auteur.Il a aussi permis à la poésie de ramper à l’instar de toute créature forte et en bonne santé. Je crois qu’avec le temps des trônes occupés par  certains écrivains seront violemment secoués et une large catégorie de porteurs de plume qui est maintenant absente dans conscience poétique fera son apparition, ce qui rendra à la poésie arabe son prestige et son leadership.

Question 10 :Quels sont vos projets proches et lointains ?

Hala Shaar :J’ai un recueil prêt pour l’impression qui  comporte  des haïkus et des haibuns et que je publierai semblablement au cours de l’année prochaine.  En plus, je suis en train de préparer à la publication deux recueils de poésie en prose .Mais je ne m’empresse pas afin que j’obtienne encore plus d’approbation de la part des critiques.

 

 

 

 

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